CARTE BLANCHE ENTREPRENEURIAT FÉMININ EN BELGIQUE

Allons-nous attendre 2081 pour ajouter quelques milliards au PIB belge ?

Béatrice Delfin-Diaz, présidente des Femmes Cheffes d’Entreprises de Belgique (FCE). BELGA

En 2023, le taux d’emploi des femmes en Belgique était de 68,5%. Seulement 10,6% d’entre elles exercent une activité indépendante (entrepreneure). D’après l’OCDE, en portant le taux d’emploi des femmes en Belgique au niveau de celui de la Suède, l’un des pays les plus performants, le produit intérieur brut (PIB) de la Belgique augmenterait de 66,8 milliards d’euros par an, soit 12 % du PIB. Vous avez bien lu ! L’association « Femmes cheffes d’entreprises de Belgique » fêtera ses 75 ans cette année. A travers cette carte blanche, sa présidente Béatrice Delfin-Diaz et l’entrepreneure, Loubna Azghoud plaident pour hâter le pas des réformes. « La Belgique est remontée dans le peloton des 10 premiers dans l’Index Mondial des inégalités de genre (gender gap) selon le dernier rapport du Forum Economic Mondial. Un score qui redescend lorsqu’on analyse les sous-catégories, critères de l’étude. Raison pour laquelle, nous adressons ces recommandations au monde politique et un wake call au monde de l’entrepreunariat. Soutenir d’autres projets en faveur de l’entreprenariat féminin est essentiel, nous sommes dans un écosystème et nous devons nous soutenir », observe Béatrice Delfin-Diaz.

D’après le rapport Global Gender Gap (2023) du Forum économique mondial, il existe un lien étroit entre l’égalité des genres, la prospérité économique et la compétitivité. Il est à noter que les entreprises dirigées par des femmes sont plus performantes, que le retour sur investissement est deux fois plus important par euro investi et que les faillites sont moins nombreuses chez les femmes que chez les hommes.  D’après ce même rapport du FEM, il faudra plus de 100 ans pour atteindre une égalité de genre du point de vue économique.

Dans moins de 100 jours, nous allons élire nos futures représentant.e.s pour les différents gouvernements. Nous souhaitons attirer leur attention, mais aussi lancer un Wake Up call à tout l’écosystème entrepreneurial! En effet, un peu plus d’un indépendant sur trois est une femme en Belgique, les femmes représentent 35,4% des travailleurs indépendants en Belgique. Il faut aussi tenir compte des femmes aidantes ou ayant une activité complémentaire qui enregistre la plus forte progression ces dernières années.

Les femmes sont encore trop souvent sollicitées pour les soins à apporter à la famille et aux tâches ménagères.

Encore du chemin à faire pour arriver à l’égalité des genres

Cela fait quelques années que l’ on observe une augmentation significative de création d’entreprises par les femmes. Mais, d’après la dernière étude d’Unizo, à taux de croissance similaire à celui des trois dernières années, il faudra attendre 2081 pour atteindre une égalité de genre dans l’entrepreneuriat belge.

D’après le dernier Baromètre de la plateforme Women in Business de Hub.Brussels, la part des femmes indépendantes est de 28.9% à Bruxelles. Cela nous indique que la parité est encore loin d’être atteinte avec un nombre d’entrepreneurs hommes de 71,1%. Ils sont donc près de 2,5 fois plus nombreux que les femmes à exercer une activité professionnelle sous ce statut. En revanche, le nombre d’indépendantes augmente plus rapidement que celui des indépendants (+ 12,6% contre + 9,8% respectivement), les femmes sont plus enclines à entreprendre en Flandre (+ 13.8%)  et un peu moins en Wallonie (+ 12.3%). Soit des taux de croissance plus élevés que pour leurs homologues masculins (respectivement +10.9% en Flandre et +5.7% en Wallonie). Les femmes indépendantes représentent une part croissante que l’on ne peut plus négliger dans le paysage entrepreneurial belge.

Des obstacles à l’entrepreneuriat féminin

En tant qu’ actrices engagées sur le terrain, nous faisons encore le triste constat d’obstacles persistants, malgré les politiques et initiatives pour sensibiliser et soutenir l’ entrepreneuriat féminin.

  • L’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. Les femmes sont encore trop souvent sollicitées pour les soins à apporter à la famille et aux tâches ménagères. Le manque de place dans les crèches et le soutien extrascolaire sont une charge mentale en plus pour les femmes. Elles en subissent les conséquences en choisissant souvent de sacrifier une partie de leur carrière ou d’arrêter leur activité au privilège de leur famille.
  • Le syndrome de l’imposteur ou la peur du risque. On en parle beaucoup, pourquoi celui-ci devrait-il incomber plus aux femmes ? N’y a-t-il pas des biais inconscients ou conscients légués par notre éducation et la société qui ont conditionné les femmes à certains métiers et trajectoires ? Certainement !
  • Le manque d’accès au financement. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les femmes font face à un taux de refus de crédits plus important que les hommes. En 2022, elles n’ont seulement levé que 0,9% du capital à risque en Europe ! Les témoignages sont sans appel, le secteur financier reste encore trop masculin, ne saisissant pas encore que les marchés portés par les femmes représentent le futur de l’investissement ! On retrouve une part importante de femmes entrepreneures dans le secteur du bien-être, des solutions durables et novatrices, de l’éducation et de la santé. Pour donner un exemple, le marché de la FemTech représentera à lui seul 50 et 70 milliards de dollars d’ici 2025. Il s’adresse théoriquement à la moitié de la population mondiale, proposant aux femmes de nouvelles solutions autour de leur santé et de leur bien-être. A bon entendeur!

Les témoignages sont sans appel, le secteur financier reste encore trop masculin, ne saisissant pas encore que les marchés portés par les femmes représentent le futur de l’investissement !

Fondatrice de High Her, Loubna Azghoud, fait cause commune avec l'association Femmes cheffes d'entreprises pour réclamer des mesures en faveur des femmes entrepreneures. Crédit: Ahmed Bahhodh

Fondatrice de High Her, Loubna Azghoud fait cause commune avec l’association Femmes cheffes d’entreprises de Belgique pour proposer des solutions pour permettre aux femmes d’entreprendre davantage. Crédit: Ahmed Bahhodh

Ouvrir le débat avec des propositions concrètes

Cette liste n’est pas exhaustive. Notre souhait est d’ouvrir le débat et de ne pas passer à côté de ce sujet lors de la formation des prochains gouvernements. Nous appelons à une mobilisation collective afin de faire de l’entrepreneuriat des femmes une priorité ! Ces 10 dernières années, il y a eu des avancées en faveur de l’entrepreneuriat féminin tant au niveau fédéral que régional, elles sont à saluer. Mais, nous souhaitons aller plus loin, car les problèmes ne se règleront que s’il y a une concertation cohérente entre les différents niveaux de pouvoir. C’est pour cette raison que nous avons souhaité vous partager  quelques recommandations :

  • Afin de répondre aux différentes barrières auxquelles font face les entrepreneures, et fournir une réponse forte, coordonnée et cohérente, nous proposons de créer une conférence interministérielle entre le fédéral, les régions et les communautés pour traiter des questions fiscales, administratives, de l’éducation, de la petite enfance (crèche), santé (mentale et congé de parentalité), économie, numérique, égalité des chances, cohésion sociale.
  • L’Etat détient et/ou est actionnaire de plusieurs fonds d’investissement et banque, comme le SFPIM, les fonds d’investissement régionaux, des plateformes d’investissement financées en partie par l’argent public qui provient aussi des impôts des 52% de la population, les femmes. Il est donc normal d’avoir des exigences d’équité et des objectifs genrés pour financer tous les projets de société.
  • Obtenir des chiffres clairs et des données sur le financement octroyé, avoir des KPI (indicateurs de performances, ndlr) et un budget spécifique pour les femmes entrepreneures, surtout pour les phases d’amorçage et de croissance.
  • Sensibilisation et accompagnement : soutenir davantage les structures qui mettent en place du réseautage et du mentorat, ainsi qu’un accompagnement à la création et la croissance d’entreprise. Créer des solutions structurelles au niveau des régions pour informer et former les porteuses de projets. Afin de ne pas reporter cette mission sur les acteurs de la société civile. Un appel aux régions à prendre leurs responsabilités.
  • Intégrer dès la petite enfance une éducation inclusive, encourager les compétences entrepreneuriales et l’utilisation de nouvelles technologies dans les apprentissages. Il faut casser les stéréotypes dès la maternelle et insuffler l’esprit d’entreprendre le plus tôt possible.
  • Créer plus de places de crèches avec un horaire plus long et étendre l’offre extrascolaire. Permettre aux mamans entrepreneuses ‘starters’, d’avoir accès aux crèches d’Actiris à Bruxelles et, de pouvoir être secondées par un CEO intérimaire pendant leur congé de maternité. Dans le but de bénéficier d’un vrai moment de repos et de soins avec son nouvel enfant.
  • Encourager les femmes à exporter. Les missions économiques et royales sont une opportunité unique pour déployer son activité, pouvoir être encadrées et bénéficier du rayonnement de la présence des autorités belges et de la famille royale, est un vrai atout. Malheureusement, les femmes entrepreneures sont encore peu présentes dans ces missions. Encourageons-les par des programmes d’accompagnement et d’information sur les opportunités à l’export. Mettre en place un incitant financier, comme par exemple, un remboursement plus important de leur participation à la mission, une déduction fiscale pour les frais de garde d’enfant lors de la mission.
  • Faciliter l’accès au marché public. Les entreprises dirigées par les femmes sont de plus petites tailles (moins de personnel) que celles des hommes. Cela les rend moins facilement éligibles lors de marché public. Il faudrait assouplir les conditions d’éligibilité.
  • Création de chèques-services spécifiques pour la garde d’enfants ou pour aller chercher l’enfant à l’école. Les femmes entrepreneures ne comptent pas leurs heures. S’arrêter à 15h pour aller chercher son enfant à l’école peut s’avérer très compliqué. Pour les mamans commerçantes et les papas qui ferment leur boutique à 18h, il est impossible d’aller les récupérer à cette heure-là. Allonger les horaires de garderie est impératif.
  • Création d’un statut d’indépendant intermédiaire entre le statut complémentaire et à titre principal, offrant plus de sécurité aux femmes désirant se lancer à temps plein dans l’entrepreneuriat. Le taux d’indépendantes complémentaires est en forte augmentation chez les femmes ce statut leur permettrait un passage à une activité à titre principale plus fluide et sécurisé.
  • Rendre le congé paternité égal pour la mère et pour le père afin de partager les soins à donner au nouveau-né et de vivre ces moments précieux pour les deux parents. La parentalité doit être une responsabilité partagée qui n’incombe pas juste à la mère. Cette mesure permettrait d’arrêter les discriminations dirigées exclusivement envers les femmes qui font le choix d’être mère, choix généralement décidé avec le conjoint.

L’égalité des genres dans l’économie ne peut être reléguée au second plan. Ce n’est pas seulement une question sociale ou éthique, mais c’est aussi un réel enjeu de croissance économique et de prospérité pour notre pays. ll est temps de passer à l’action et de transformer ces aspirations en réalité !

Béatrice Delfin-Diaz, présidente des Femmes Cheffes d’Entreprises de Belgique (FCE)
& Loubna Azghoud, entrepreneure et fondatrice de High Her.