Elections historiques en Afrique du Sud : les résultats partiels confirment la perte de la majorité pour l’ANC
Ce sont les élections législatives probablement les plus attendues depuis la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Les bureaux de vote ont fermé mercredi soir et les résultats sont encore partiels. Le parti de l’ANC, le Congrès National Africain, de l’ancien président feu Nelson Mandela qui avait lutté contre un des régimes les plus ségrégationnistes de l’histoire contemporaine, a régné sans partage sur le paysage politique du pays et sans discontinuer depuis 1994. Les choses pourraient changer : l’érosion du pouvoir, des espérances et peut-être l’envie de nouvelles voies politiques pour le pays pourraient conduire pour la première fois à la formation d’un gouvernement de coalition.
Attention : l’ANC n’est pas morte, bien loin de là. Mais avec le résultat de ces élections de fin mai 2024, elle serait en passe de perdre la majorité absolue des sièges et risque de devoir probablement composer de manière inédite avec d’autres partis pour espérer former un nouveau gouvernement à l’issue du scrutin. C’est un signe donné par la population qui crie son ras-le-bol d’une ANC toute-puissante, qui ne se renouvelle pas et qui est accusée de ne pas beaucoup se soucier du sort des Sud-Africains.
Vers un gouvernement de coalition ?
Pour autant, malgré les résultats des élections en cours, le Président sud-africain, Cyril Ramaphosa, leader de l’ANC, pourrait rester en place. Mais il faudra désormais compter sur le principal parti d’opposition, l’Alliance Démocratique, les Combattants pour la Liberté Economique et un autre nouveau parti de gauche radicale, pour diriger le pays.
Les résultats partiels publiés jeudi en fin d’après-midi (18h GMT) par la Commission électorale semblent confirmer la perte de la majorité pour l’ANC. Après le dépouillement de 35% des votes, le parti de Nelson Mandela, était en tête du suffrage, mais il se plaçait sous la barre de 50% avec 42,3% des suffrages exprimés.
Depuis la mort de Mandela, de nombreux problèmes ont vu le jour au sein du parti libérateur qui a avec le temps laissé beaucoup trop de questions en suspens. Le parti a même clairement laissé les problèmes s’aggraver sans apporter de solution durable : un taux de chômage de 42% de la population, un taux de criminalité énorme qui ne cesse d’augmenter depuis des années, un niveau très élevé de la corruption, un clientélisme dévastateur en faveur des amis de l’ANC, l’effondrement des services publics gangrénés par une mauvaise gestion, des problèmes d’approvisionnement énergétique.
Situation économique inquiétante
Onze mois sur douze, les Sud-Africains doivent faire face à des coupures d’électricité. Trente ans après la fin de l’Apartheid, la situation économique est inquiétante : le pays qui faisait partie des grands espoirs économiques du continent en rejoignant le groupe des BRICS, voit sa croissance désormais stagner et 1/3 de la population est au chômage. Pire : 60% des chômeurs sont des jeunes surdiplômés. De là à envisager un futur sans le parti du Congrès ? On en est loin, tant il est encore présent dans toutes les strates socio-économiques du pays.
En réalité, l’Afrique du Sud est un pays jeune. 31% de ses habitants ont moins de 15 ans. La majorité des jeunes qui votent et voteront bientôt n’ont jamais été confrontés à l’apartheid. Ils ont toujours connu l’ANC et l’assimilent désormais au parti unique ou presque, à la corruption, et le rendent directement responsables de tous leurs malheurs. Ils veulent du changement et surtout essayer autre chose.
Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense), à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (IEGA Paris), au Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire Géostratégique de Genève (Suisse).