Conflit au Proche-Orient : « le Procureur de la CPI ne met pas Israël et le Hamas dans le même panier »
Avocat au barreau de Liège et chargé de cours de droit international (Helmo), Me Jean-Pierre Jacques apporte son éclairage sur les demandes de mandats d’arrêt introduites par le Procureur de la Cour pénale internationale à l’encontre du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu et des responsables du Hamas. « Ce ne sont donc pas les mêmes faits qui justifient les demandes de mandats d’arrêts et les preuves sont bien différentes d’une situation à l’autre », résume Me Jacques. Il rappelle également que la Cour peut enquêter sur des faits commis par le ressortissant d’un Etat même si ce dernier n’a pas reconnu la CPI, il suffit que les faits visés soient commis sur le territoire d’un Etat partie ou par un ressortissant d’un Etat partie.
Le Procureur de la CPI demande des mandats d’arrêts contre des dirigeants israéliens et des dirigeants du Hamas : pourquoi est-ce que cela relève de la compétence de la Cour pénale internationale alors que la Palestine n’est pas un Etat et Israël n’a pas reconnu la compétence de la CPI ?
La CPI est compétente pour la situation dans l’Etat de Palestine depuis que la Chambre préliminaire de la CPI l’a admis le 5 février 2021. Cette Chambre a considéré que sa compétence territoriale s’étendait à Gaza, à la Cisjordanie y compris Jérusalem-Est. La CPI n’a donc pas attendu les attaques terroristes du 7 octobre pour enquêter : elle le fait depuis que le Gouvernement de l’Etat de Palestine a déclaré son acceptation de la compétence de la Cour à partir du 13 juin 2014 par le biais d’une déclaration en vertu de l’article 12(3) du Statut de Rome. L’Etat de Palestine a accédé au Statut de Rome le 2 janvier 2015. Le Statut est donc entré en vigueur à l’égard de l’Etat de Palestine le 1er avril 2015.
Pour les deux dirigeants israéliens, le Procureur a également enquêté et a abouti à la conclusion que les faits qui lui étaient dénoncés pouvaient être qualifié de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Le fait qu’Israël n’ait pas reconnu la compétence de la CPI (elle n’a pas ratifié le statut de la Cour) n’empêche pas la CPI d’être compétente. En effet, elle est compétente si le crime a été commis sur le territoire d’un Etat partie ou par un ressortissant d’un Etat partie. Ceci explique qu’elle soit compétente pour les crimes commis en Israël et commis par les terroristes du Hamas dont trois dirigeants font également l’objet d’une demande de mandat d’arrêt. Elle est enfin compétente pour des crimes qui seraient commis par des ressortissants d’Etats non parties sur le territoire d’un Etat partie.
Renvoyer dos à dos Israël et le Hamas en demandant en même temps des mandats d’arrêts pour le Premier ministre et le ministre de la Défense israéliens au même moment que trois dirigeants du Hamas, n’est-ce pas les placer dans le même panier et donc assimiler des dirigeants d’un Etat démocratique à un mouvement terroriste ?
Clairement, non. Le Procureur ne les met pas dans le même panier. Il doit enquêter, à charge et à décharge (comme le ferait un juge d’instruction chez nous en Belgique). C’est son job. Il est obligé de le faire, lorsque des faits lui sont dénoncés et qu’il considère qu’ils sont suffisamment établis et graves. Aux termes de son enquête, il a constaté que les crimes commis le 7 octobre ont été commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique menée par le Hamas et d’autres groupes armés dans la poursuite de la politique d’une organisation. Ces faits largement documentés par des vidéos et des témoins entendus par l’office du Procureur répondent à la définition de crime contre l’humanité, mais également dans un contexte de conflit armé et donc constituent aussi des crimes de guerre.
Aux termes de son enquête, le Procureur de la CPI a constaté que les crimes commis le 7 octobre ont été commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique menée par le Hamas.
Pour les deux dirigeants israéliens, le Procureur a également enquêté et a abouti à la conclusion que les faits qui lui étaient dénoncés pouvaient être qualifié de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Ils visent notamment le fait qu’Israël a « délibérément, systématiquement et continuellement privé la population civile de l’ensemble du territoire de Gaza de moyens de subsistance à sa survie » en interdisant totalement l’accès aux trois points de passage de la frontière de Rafah, Kerem Shalom et Erez à partir du 8 octobre puis en limitant arbitrairement l’acheminement de la nourriture et des médicaments par ces points de passage après leur réouverture. Ils mentionnent également des attaques visant des personnes dans les files d’attentes pour obtenir de la nourriture ou des attaques visant le personnel humanitaire. Ce ne sont donc pas les mêmes faits qui justifient les demandes de mandats d’arrêts et les preuves sont bien différentes d’une situation à l’autre.
En demandant des mandats d’arrêts contre des responsables politiques démocratiquement élus, n’est-ce pas nier à un Etat le droit de se défendre après une attaque terroriste sans précédent ?
Le Procureur reconnait à Israël le droit de prendre des mesures afin de défendre sa population, mais il rappelle qu’en utilisant ce droit, un Etat ne peut pas se soustraire au même moment de ses obligations de respecter le droit international humanitaire. Depuis les conventions de La Haye de 1899 et 1907, il est désormais acquis qu’il y a des limites à ne pas franchir quand on décide de faire la guerre. Tout n’est pas permis quand on décide de recourir à la force armée. Ce sont ces balises qui encadrent la manière dont on doit mener les hostilités qui constituent aujourd’hui le droit international humanitaire. Un pas supplémentaire a été franchi en 1998 quand les Etats ont décidé de créer la Cour pénale internationale et en lui donnant la compétence de poursuivre et de juger justement les personnes qui n’aurait pas respecter ce droit humanitaire en commettant des actes graves que sont le crime de génocide, le crime contre l’humanité et le crime de guerre et, depuis le 1er janvier 2017, le crime d’agression. Ironie du sort, c’est l’Etat de Palestine qui a été le 30ème Etat à ratifier les amendements de Kampala en 2016 et qui a permis à la CPI d’être compétente pour ce crime.
Depuis les conventions de La Haye de 1899 et 1907, il est désormais acquis qu’il y a des limites à ne pas franchir quand on décide de faire la guerre.
Mener des hostilités ne permet pas de s’en prendre délibérément à une population civile. Ni en l’attaquant lorsqu’elle participe à un festival de musique, ni lorsqu’elle fait la file pour obtenir une aide alimentaire. Dans les deux cas, il s’agit d’infliger de grandes souffrances et des atteintes graves à l’intégrité physique de la population civile. Et donc il s’agit de crime de guerre ou contre l’humanité.
Pourquoi le Procureur doit-il demander à la Chambre préliminaire la délivrance de mandats d’arrêt ?
Ce choix de contrôle par la Chambre préliminaire a été voulu par les Etats qui ont créé la CPI en 1998. Ils ont eu peur de donner trop de pouvoir au Procureur ou que celui-ci ne s’en arroge de façon excessive. Il a donc été prévu que lorsque le Procureur envisage l’arrestation d’auteurs présumés qu’il entend poursuivre, ses éléments de preuve et son dossier devra être examiné par la Chambre préliminaire composé de 3 juges internationaux. Ils devront décider si le dossier du Procureur est suffisamment étayé et complet pour justifier que des mandats d’arrêt soient délivrés. A ce stade donc, et contrairement à ce qu’on pu dire trop rapidement certains médias, il n’y a pas encore de mandats d’arrêt de la CPI contre les 5 personnes visés. Il faudra attendre la décision de la Chambre préliminaire dans les semaines qui viennent.
N’est-ce pas exagérer d’envisager un mandat d’arrêt à l’égard d’un chef d’Etat démocratiquement élu et en exercice ? Ne bénéficie-t-il pas d’une immunité le temps de son mandat ?
Dans le système voulu par les Etats dès 1998 à la création de la CPI, il a été expressément prévu que l’immunité dont bénéficie un ministre ou un chef d’Etat ou de gouvernement ne pourra jamais faire obstacle à des poursuites de la part de la CPI. En d’autres termes, qu’il soit en fonction, au pouvoir, avec une qualité officielle ou chef de l’Etat, toute personne est susceptible d’être poursuivie par la CPI dans distinction. Tel fut déjà le cas dès 2009 lorsque la CPI a émis un mandat d’arrêt international à l’encontre de Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Président du Soudan pour les crimes qui lui sont reprochés au Darfour. Le 17 mars 2023, la Chambre préliminaire a émis des mandats d’arrêts à l’encontre de Vladimir Poutine et Maria Alekseyevna Lvova-Belova. Depuis cette date, le Président russe n’a plus osé entreprendre de visite à l’étranger…
Propos recueillis par Philippe Lawson