Jean-Christophe Cambadélis : « la page du Hollandisme est tournée, le PS français a besoin d’une nouvelle doctrine »
Jean-Christophe Cambadélis, ancien premier secrétaire du PS, auteur du livre, « Le Big Bang social-démocrate, réflexions sur la nécessaire transformation doctrinale, politique et stratégique de la gauche en France », nous livre son analyse. L’entretien avait été enregistré, à un mois, des élections européennes de ce dimanche 9 juin. Sa parole éclaire sur la situation du PS français. Il estime que la gauche ne répond pas aux problèmes d’aujourd’hui. Il accuse le président Marcon et son gouvernement de mener une politique libérale et que la théorie du ruissellement laisse des miettes à la population. Jean-Christophe Cambadélis envisage la création d’un nouveau parti dans la perspective de la présidentielle de 2027.
Vous étiez premier secrétaire du PS en 2017, ce qui correspond à l’élection de Macron, pourquoi avez-vous disparu des écrans ?
Je suis toujours présent dans le PS et en dehors du PS, mais je crois que les médias s’intéressent moins aux déclarations dans le parti socialiste et en dehors du parti socialiste. Avant tout, il manque au parti socialiste une nouvelle doctrine. Nous ne pouvons pas être ni pro marconiste, ni pro mélenchonistes, mais le refus de ces deux leaders ne fait pas une ligne directrice. La page du « Hollandisme » (référence à l’ancien président, François Hollande, ndlr) est tournée, il est nécessaire de construire une nouvelle doctrine. Tant que les socialistes n’auront pas défini une nouvelle doctrine, c’est d’ailleurs le problème qui est posé aux sociaux-démocrates et aux socialistes de toute l’Europe, et bien il sera inaudible pour nos concitoyens d’aujourd’hui, ou renvoyé aux périodes précédentes qui n’ont pas été jugées, à tort ou à raison, bonnes.
Je suis toujours présent dans le PS et en dehors du PS, mais je crois que les médias s’intéressent moins aux déclarations dans le parti socialiste et en dehors du parti socialiste.
Comme quoi par exemple ?
Je ne suis pas de ceux-là, mais le jugement sur les années Hollande (référence à l’ancien président français, François Hollande entre 2012 et 2017, ndlr) n’a pas été positif. On voit bien que lorsque l’on veut évoquer un futur de la gauche, ce passé est renvoyé. Le seul moyen d’en sortir est de construire une doctrine nouvelle, avec une stratégie nouvelle et peut être une incarnation nouvelle.
Une vraie doctrine de gauche pro-européenne ?
Evidemment ! Une vraie doctrine de gauche de gouvernement, mais de gauche, avec une stratégie qui lui corresponde. Nous sommes un peu dans la même situation que la SFIO avant le congrès d’Epinay en 1971, où il était très difficile pour la SFIO d’organiser la vie politique à gauche qui était dominée par le Parti communiste et l’extrême-gauche. Nous sommes dans la même situation, et c’est ce qui a fait la force et la renaissance du PS dans les années 80. C’est la constitution d’une doctrine nouvelle, d’une stratégie nouvelle, et d’un homme qui n’était pas nouveau, mais qui incarnait ces pensées, François Mitterrand.
Jean Luc Mélenchon était le troisième homme des dernières élections présidentielles. Pour les élections législatives qui suivaient, les partis de gauche en France ont formé une force commune, la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale, regroupant les Verts, les communistes et le PS à l’Assemblée nationale, ndlr). Elle est arrivée en tête du premier tour des élections législatives. Étiez-vous favorable à cette alliance ?
Moi je suis de ceux qui pensent que c’était un vote utile, pour Jean Luc Mélenchon, pour essayer de faire en sorte qu’il n’y ait pas de tête à tête Marine Le Pen/Emmanuel Macron au deuxième tour, ce n’est pas pour autant qu’il y avait une adhésion à Jean-Luc Mélenchon. Mais la gauche l’a pris comme tel et a voulu sauver les meubles et a fait un accord aux législatives avec Jean-Luc Mélenchon, ce qui lui a permis de multiplier par trois son nombre de parlementaires, sans que les autres forces de gauche ait eu leur mot à dire. Le problème de cette alliance, c’est que dans un pays qui va de plus en plus à droite, très identitaire, on a le centre de gravité de la gauche révolutionnaire. Nous n’avons pas la capacité de répondre aux problèmes du pays d’aujourd’hui.
Que faire pour que le Parti socialiste retrouve la confiance de la population ?
D’abord il faut partir d’une constatation, cette idée du « en même temps » chère à Emmanuel Macron, Président de la République française, a permis son élection à la présidence. Mais elle n’a pas fait émerger une force politique capable de réorganiser le paysage politique. On a abaissé les partis traditionnels de gouvernement de gauche et de droite, on les a pour certain brisés, c’est le cas du Parti socialiste, et affaiblis pour ce qui est de la droite conservatrice. Mais on ne leur a pas substitué une forme d’organisation. De là, les populistes ont pu surgir dans cette nouvelle situation. Alors que faire ? il faut construire une nouvelle doctrine, c’est ce que nous tentons de faire avec le laboratoire de la social-démocratie qui est un regroupement d’un certain nombre de clubs. Nous travaillons sur une nouvelle offre, une nouvelle donne, une offre globale, idéologique qui soit une réponse aux Français d’aujourd’hui dans la France d’aujourd’hui.
Cette idée du « en même temps », chère à Emmanuel Macron, Président de la République française, n’a pas fait émerger une force politique capable de réorganiser le paysage politique.
C’est donc l’univers que vous imaginez après ce que vous appelez le « big bang » de la démocratie ?
La sociale démocratie oui le big bang oui.
Que pensez-vous de la réforme des retraites ?
La réforme des retraites, c’était une réforme qui visait à envoyer un signe aux marchés financiers, leur indiquer que la France est capable de juguler ses déficits, et qu’il n’est pas nécessaire d’avoir de mauvaises notations par les agences de notations. Mais elle ne règle en rien la réforme des retraites, et elle a provoqué un séisme social sans comparaison en France. C’est le second après les gilets jaunes, et avant les émeutes de banlieues. La politique menée par ce gouvernement et ce Président est une politique classiquement libérale à savoir que les élites s’enrichissent, tandis que le reste du pays récolte des miettes, c’est ce qu’on appelle la théorie du ruissellement. Elle ne fonctionne pas, parce que les inégalités, les injustices, les blessures sociales s’aggravent. Et le pays devient de plus en plus ingouvernable et passe par le chemin de l’extrême droite.
Oui, mais on voit bien qu’à chaque fois en France, l’extrême droite ne passe jamais au deuxième tour…
C’est précisément le sujet du jour et c’est pour cela qu’il faut une nouvelle offre politique globale. Emmanuelle Macron ne se représentera pas. Il est peu probable que son successeur à Renaissance fasse les mêmes performances que le Président sorti et pas sortant. Dans ces conditions vous avez un, deux ou trois candidats de ce que l’on appelle le centre droit, et en face, une Marine Le Pen qui tutoie les 30%. Dans ces conditions, le deuxième tour sera extrêmement difficile. Seuls les sociaux-démocrates peuvent rassembler le pays contre l’extrême droite, parce que la droite s’est disqualifiée dans les réformes de Macron en soutenant par exemple la réforme des retraites. Et elle est extrêmement divisée. Il vaut une offre d’une gauche responsable que d’une gauche révolutionnaire qui ne permettra pas de réunir le pays.
Comment faire pour que les Français reprennent goût à la politique ?
Les Français doivent reprendre goût à une gauche des réformes, à une gauche responsable. Il faut fixer un dessein pour une France plus équitable et plus juste. Plus écologique, plus crédible. Expliquer en quoi nous avons un projet articulé et structuré, charpenté pour cet objectif. C’est la théorie du big bang, c’est de créer les conditions en rassemblant toutes les forces de centre-gauche, en changeant la forme organisationnelle pour que les Français voient dans ce que nous proposons un élan face au marasme et aux crises qu’ils traversent.
Vous pensez réussir ce pari d’ici les présidentielles de 2027 ?
Oui bien sûr, cette année nous devons et nous espérons produire un effort doctrinal sous la forme d’un programme fondamental, un peu comme le fait le SPD (Parti Social-Démocrate d’Allemagne) tous les 10-20 ans, puis après créer les conditions du rassemblement des sociaux-démocrates à l’intérieur du parti socialiste et à l’extérieur dans l’objectif d’établir une plateforme commune en vue des municipales et des élections présidentielles.
Quid des élections européennes par exemple ?
Les élections européennes, il est maintenant clair qu’il n’y aura pas de liste commune de la NUPES. Il faut que le Parti socialiste place ses pas dans ceux du Parti socialiste européen. Seul le Parti socialiste européen peut faire face à la vague nationaliste d’exclusion, qui se déploie sur toute l’Europe. Quand on voit les scores de Vox en Espagne, ou annoncé de l’AfD en Allemagne, mais aussi la présence au pouvoir en Italie, en Finlande, en Estonie, en Pologne en Hongrie des courants libéraux.
Il faut constater que la NUPES est caduque, et tirer les enseignements de cet échec.
Donc vous allez bientôt créer un autre parti de gauche ? Que pensez-vous de la Convention de Cazeneuve ?
Oui, on va essayer de créer un rassemblement pour un nouveau parti. Cette Convention fait partie de ces regroupements qui doivent concourir au rassemblement des forces de gauche, à l’intérieur et à l’extérieur du Parti socialiste, en vue d’une mutation du Parti socialiste pour créer quelque chose de nouveau.
Et Olivier Faure, l’actuel premier secrétaire du parti socialiste est-il favorable à cela ?
Je ne pense pas qu’à cette étape il soit favorable à cela, mais si une majorité se dégage, il devra la prendre en compte.
Que pensez-vous de l’attitude du Président de la République, Emmanuel Macron, dans le conflit au Moyen-Orient ?
Le Président de la République a pris deux positions, on peut les juger contradictoires. La première est qu’il a proposé une espèce de front contre le terrorisme en se déplaçant à Tel Aviv et en rencontrant Monsieur Netanyahou. Par ailleurs, une fois rentré en France, il a accepté la résolution des Nations Unies, avec une grande majorité des Etats et des nations, indiquant qu’il était pour le cessez le feu et depuis il s’est tenu à cette position. On ne peut pas dire qu’il ne prenne pas position, il a eu des positions contradictoires, mais il a eu des positions.
Quel est l’avenir de la NUPES et comment recréer un vrai parti de gauche en dépit de LFI ?
Il faut constater que la NUPES est caduque, et tirer les enseignements de cet échec. Soit la gauche construit un avenir commun avec un programme commun, soit elle sera sur des alliances électorales ponctuelles. Avant de penser alliance il faut penser le fond. Le grand problème qui est posé à la gauche, c’est l’absence tonale, du Parti socialiste qui ne sait plus où il habite. Le Parti socialiste doit se refonder, il doit fonder une nouvelle doctrine. On ne peut pas aborder des sujets qui sont ceux de citoyens aujourd’hui avec des théories et des éléments doctrinaux forgés dans les années 60, et qui ont été mises en place dans les années 80. Il faut parler aux Français d’aujourd’hui dans la France d’aujourd’hui.
Comment parler aux français aujourd’hui ?
C’est le sens de ce que nous avons travaillé dans le cadre du laboratoire de la social-démocratie. C’est un programme fondamental, le pouvoir d’agir, qui cherche à répondre à toutes les questions. Tout aussi bien aux questions quotidiennes des Français, que les questions géopolitiques ou d’identité. Une fois cette doctrine posée il faut une nouvelle stratégie, et la nouvelle stratégie ne peut pas être la subordination au « Mélenchonisme ». Une stratégie qui permet de rassembler tout à la fois les déçus de « Macronisme », ce qu’on appelle le « Macronisme » de gauche, les déçus du « Mélenchonisme » qui ont été utiles pour Jean Luc Mélenchon pensant qu’il pourrait être au deuxième tour de l’élection présidentielle, et ceux qui se sont abstenus car ils ne se retrouvaient pas dans l’offre à gauche. Il faut donc développer une stratégie du « en même temps électorale » si je puis dire à gauche. Et enfin il faut sélectionner un candidat ou une candidate à l’élection présidentielle, parce que c’est l’élection majeure dans notre République. On ne peut pas agir si on ne présente pas un candidat à l’élection présidentielle. Il incombe d’avoir une unité des réformistes, des sociaux-démocrates, et une primaire qui permette de désigner un candidat ou une candidate.
Il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui Mélenchon se prépare à être candidat pour les présidentielles de 2027.
Comment voyez-vous l’élection présidentielle de 2027 ?
Il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui Mélenchon se prépare à être candidat, il n’était pas fixé au point de départ, il voulait laisser tout ouvert. Il ne voulait pas que l’on mette en avant la possibilité que les nouvelles générations seraient mieux que lui, la critique au sein des insoumis, l’éclatement de la NUPES, le bouleversement international, la montée des nationalismes et des populismes. Mélenchon se prépare à replonger dans la présidentielle.
Vous qui l’avez bien connu au parti socialiste, quel regard portez-vous sur lui aujourd’hui ?
J’ai connu le militant socialiste marxiste de gauche, fasciné par la gauche latino-américaine et ancien trotskiste. Il puise ses références dans le péronisme latino-américain, dans l’anti-impérialisme. Ce Mélenchon n’est pas celui du Parti de gauche, car quand il fonde le Parti de gauche, il est dans une alliance avec le Parti communiste et dans une logique qui est plus radicale que celle qu’il avait au Parti socialiste, mais qui est une logique due à son histoire. Mais quand il fonde La France Insoumise, il l’adosse à une théorie qui est le populisme de gauche. Il rompt avec son passé politique. Je ne retrouve pas le Mélenchon républicain, anti-calotin, laïc, homme de gauche et de culture de gauche. Je trouve, un populiste de gauche.
Pourquoi a-t-il fait ce virage ?
On ne peut pas lui reprocher d’avoir réfléchi. Il a réfléchi sur la situation, sur l’impossibilité pour la gauche radicale de prendre le pouvoir, d’être toujours dominée par la gauche réformiste. Il a réussi à construire une doctrine populiste de gauche qui lui a réussi puisqu’il a réussi à dominer la gauche réformiste, mais qui est aussi la limite de son exercice. L’objectif n’est pas de gouverner, mais d’incarner le peuple.
Pensez-vous qu’il a conscience d’être « populiste » ?
Je pense qu’il a parfaitement conscience de ce qu’il fait. C’est un homme qui pense son action et son action est pensée. Il a bien en tête qu’il essaie de bâtir quelque chose de nouveau qui est une nouvelle radicalité à gauche, qui, pour lui, est un débordement des formations politiques qui existaient depuis la deuxième guerre mondiale.
Le monde est bouleversé en ce moment par les événements au Moyen-Orient. Quelle est votre opinion dans ce concert international ?
Nous sommes rentrés dans le dérèglement du monde. Il y a eu plusieurs phases dans l’histoire du monde. La dernière était après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique, la domination sans partage de l’empire américain. Cette domination sans partage, est née dans la défaite de l’Union soviétique en Afghanistan, et s’est achevée dans la défaite des Américains en Afghanistan. Ils ont dû quitter précipitamment ce pays. On est rentrés dans un nouveau cycle, dans un monde que j’appellerais apolaire, où la Chine et les Etats-Unis tentent d’organiser un semblant d’équilibre. Mais le monde est apolaire, c’est-à-dire qu’il n’a pas de pôle. Il est en train de se construire une conflictualité entre le monde occidental qui a dominé la planète depuis le XIVe siècle, et un monde anti-occidental qui ne veut plus vivre dans l’hégémonie culturelle, politique, militaire, économique de ce dit « monde occidental ».
La Chine est anti-occidentale car elle veut bâtir sa propre route de la soie, qui ne soit pas dépendante, des Etats-Unis, des dollars, etc.
Vous pensez que la Chine aujourd’hui est anti-occidentale ?
Oui je le pense. Elle veut retrouver sa place, c’est-à-dire l’Empire du milieu. L’Empire du milieu, c’est d’être au milieu. C’est-à-dire faire tourner les événements et la situation internationale autour d’elle. Elle est anti-occidentale car elle veut bâtir sa propre route de la soie, qui ne soit pas dépendante, des Etats-Unis, des dollars, etc. C’est elle qui est derrière les nouvelles organisations des pays non-alignés. Elle tente de trouver une place hégémonique en s’appuyant sur les pays, qui refuse la domination du monde occidental.
Est-ce que la guerre entre le Hamas et Israël confère un avantage au Président russe Vladimir ?
D’abord médiatiquement oui. La guerre faire rage sur le terrain. Ce n’est pas parce que l’on n’en parle plus que des gens ne meurent pas dans le Donbass, mais médiatiquement oui, géopolitiquement et publiquement oui. L’Amérique s’inquiète, elle est face à une situation économique difficile avec des déficits colossaux, le dollar est remis en cause. Quand on a tous à la fois comme Biden aujourd’hui, à gérer le soutien à l’Ukraine, et la situation au Moyen-Orient, on ne peut pas exercer une pression aussi forte qu’on le souhaiterait, vis-à-vis de la Russie ou vis-à-vis de Chine. Évidemment ces deux conflits sont des difficultés pour l’Amérique qui traverse une crise démocratique majeure.
Entretien : Léonore Queffelec