Olivier de Wasseige (Les Engagés) : « L’expérience de gestion d’entreprise appliquée au monde politique est cruciale »
Pendant toute la campagne électorale, L-post a initié une série de rencontres avec les nouveaux candidats aux élections régionales, fédérales et européennes. Cette fois, nous vous proposons le parcours d’Olivier de Wasseige, un nom bien connu dans le paysage économique wallon. Avec plus de 36 ans de carrière, il a marqué le monde de l’informatique, de l’entrepreneuriat et du leadership patronal. L’homme s’engage pour la première fois en politique sur la liste des Engagés aux élections régionales du 9 juin. Il fait ses constats et détaille ses solutions pour relancer la Wallonie.
Dès ses jeunes années, Olivier de Wasseige rêvait de devenir ingénieur architecte. « Quand j’étais jeune, je passais mon temps à dessiner des plans de maison », se remémore-t-il avec une lueur nostalgique. Après des études en humanités gréco-latines chez les Franciscains de Marche-en-Famenne, il se lance dans une spéciale maths, une année préparatoire pour l’examen d’entrée d’ingénieur civil. Mais le destin le guide vers l’informatique, une décision déterminante pour sa carrière. « Permettre à une entreprise de s’informatiser, autrement dit, l’informatique au service de et non de l’informatique pour l’informatique, sera mon fil conducteur », affirme-t-il.
À mon arrivée à son QG du parti à Liège, l’ancien patron de l’Union wallonne des entreprises (UWE rebaptisée AKT) est au téléphone, orchestrant les détails de sa campagne avec une énergie débordante. Ses yeux pétillent, révélant une volonté inébranlable et un esprit infatigable.
Absence de vrais débats
La tête de liste pour les régionales pour les Engagés à Liège exprime son mécontentement face à la structure des débats politiques : « Chacun prend la parole à tour de rôle sans véritable discussion. C’est lassant et frustrant. Les partis passent leur temps à se critiquer au lieu de collaborer pour trouver des solutions concrètes ». Visiblement agacé, il poursuit : « Récemment, un entrepreneur a dénoncé cette approche, déplorant que nous nous affrontions plutôt que de proposer des solutions pratiques. Je partage ce sentiment. Je préfère corriger les erreurs avec des chiffres justes et montrer que nous pouvons dépasser ces joutes verbales ».
Pour bien comprendre ce qui motive l’homme, il est impossible de ne pas évoquer sa carrière. Olivier de Wasseige a travaillé en France, dans une spin-off de l’UNamur, pour des clients tels que la RATP (Régie autonome des transports parisiens), et EDF-GDF (désormais Engie). Le point culminant de sa carrière comme cadre d’entreprise a été son rôle de directeur Wallonie chez IBM Global Services.
Les débuts du projet Win
A l’été 1996, le Gouvernement wallon avait lancé le projet Win (Wallonie Intranet) sous l’impulsion de Michel Lebrun (PSC), ministre wallon des Télécommunications de l’époque. IBM, bien que n’ayant pas encore une forte présence dans le secteur des services en Wallonie, saisit cette opportunité et engage Olivier de Wasseige. « C’était une super belle place », dit-il, avec une pointe de fierté dans la voix. « On a répondu à ce projet Win et on l’a remporté avec Belgacom. C’était au début d’Internet, en 1996-1997. On n’en avait pas vraiment conscience, mais on était à l’aube d’une révolution technologique. Tout était nouveau et excitant. J’ai structuré toute une équipe pour mener à bien ce projet », ajoute-t-il.
En 1999, il quitte IBM pour créer son entreprise. « J’avais 37 ans. C’était le moment de me lancer. Tout le monde m’a pris pour un fou », explique-t-il. Ma décision était en partie inspirée par mon père, qui avait perdu son emploi. Il a eu du mal à retrouver du travail et est devenu entrepreneur. Je me suis toujours dit qu’un jour, je serais entrepreneur moi aussi », confie-t-il.
En faisant des missions de consultance avec ma société Defimedia, je tombais sur des jeunes sociétés qui se créaient, qui avaient besoin d’argent mais qui ne l’avaient pas.
Notre conversation se poursuit sur les différentes étapes de sa carrière. Je suis surpris par l’avant-gardisme du candidat lorsqu’il évoque la création d’Internet Attitude, le premier fonds d’investissement wallon dédié aux startups du numérique. Créé avec 14 amis, ce fonds a permis de générer 50 emplois locaux. « En faisant des missions de consultance avec ma société Defimedia, je tombais sur des jeunes sociétés qui se créaient, qui avaient besoin d’argent mais qui ne l’avaient pas. Et de l’autre côté, j’avais des amis qui me disaient, Olivier, toi qui es à la pointe de l’informatique, pourquoi ne pas créer un fonds pour aider ces startups ? », raconte-t-il.
Logiquement, il intègre le premier Conseil du numérique mis en place par l’ancien ministre wallon de l’Economie, Jean-Claude Marcourt (PS) en 2015. « On disait déjà qu’il fallait numériser l’administration wallonne. Quand je vois ce qui reste encore à faire alors que c’était déjà une priorité en 2015, c’est frustrant », se souvient-il.
Les raisons du retard de la Wallonie dans le numérique
Je lui demande pourquoi, malgré ce catalogue de bonnes intentions, la Wallonie n’est pas un leader dans le monde du numérique ? Son analyse est chirurgicale. « Il manquait une vision. On n’a pas donné suffisamment de moyens. Un écosystème, ce n’est pas l’addition des éléments qui le composent, c’est leur multiplication. Si dans un écosystème il manque un des éléments clés, la multiplication donne 0 comme résultat ».
Il continue : « Aujourd’hui, on a un écosystème numérique en Wallonie, mais il n’est pas aussi développé que dans d’autres pays. Les belles startups, quand elles ont besoin de plus de financement, vont à Paris, Amsterdam ou Londres pour trouver de gros financements. Regardez en termes de capitaux privés aujourd’hui, qui a remplacé Internet Attitude ? On n’a pas mis autant de focus sur le numérique que sur d’autres domaines. On a créé six pôles de compétitivité en Wallonie mais pas l’équivalent pour le numérique. Il ne fallait pas un Pôle comme les autres car la matière est transversale, mais un écosystème équivalent ».
Nous n’avons pas assez mis en évidence l’importance des carrières STEM. En Europe, 25 % des diplômés du supérieur, universitaires ou non, viennent d’une filière STEM. En Fédération Wallonie-Bruxelles, ce chiffre n’est que de 15 %.
Il souligne l’importance de l’approche transversale. Il déplore aussi le manque de stratégie au niveau fédéral « Au niveau belge, il n’y a pas de pilote dans l’avion. Prenons l’exemple de l’intelligence artificielle. Qui coordonne aujourd’hui l’IA en Belgique ? Quand on devra envoyer quelqu’un pour les AI Acts, on enverra qui ? Une délégation des quatre Dalton, avec un représentant de chaque région et du fédéral ». Son parti demande la nomination d’un commissaire au digital, « un peu comme le commissaire Covid. On ne peut pas créer un brol supplémentaire, mais il faut une coordination efficace ».
Le programme des Engagés propose la création d’une « EuroTech Alliance » à l’image du projet Airbus. D’après lui, elle permettra la mise en commun de l’expertise et l’uniformisation du marché numérique européen devrait le permettre.
Miser sur la formation
Durant notre discussion, Olivier de Wasseige est interrompu quelques secondes par des bénévoles venus chercher des tracts à distribuer. Il reprend le fil de l’échange à son retour pour parler de la formation. Sa vision est claire. « Nous n’avons pas assez mis en évidence l’importance des carrières STEM (Science, technologie, ingénierie, mathématiques, ndlr). En Europe, 25 % des diplômés du supérieur, universitaires ou non, viennent d’une filière STEM. En Fédération Wallonie-Bruxelles, ce chiffre n’est que de 15 %. Nous avons donc un écart de 10 % par rapport à la moyenne européenne », observe-t-il.
Avant d’embrayer sur un autre aspect du problème : « Un tiers des jeunes qui, dans l’enseignement secondaire, suivent une filière STEM, quittent cette filière avant d’arriver à l’université. Pourquoi ? Parce qu’on ne leur explique pas quels métiers ils pourraient exercer avec ces compétences. Les jeunes cherchent du sens dans leur vie, leur carrière, et même dans leurs études. On ne leur dit pas que faire de la chimie, ce n’est pas seulement travailler avec du pétrole, mais aussi créer du verre intelligent, plus isolant ».
Nous devons instaurer de façon permanente le dialogue et la sensibilisation aux métiers dans les écoles, dès la cinquième primaire.
Comme à chaque constat, l’ancien patron des patrons wallons propose une solution et relie son expérience personnelle à ses idées. « Je pense qu’il est important d’avoir aussi des gens de l’extérieur qui viennent dans les cours. C’est pourquoi j’ai toujours voulu le faire et que je donne encore cours à la Louvain School of Management (UCLouvain), où j’enseigne l’actualité économique. J’invite des patrons d’entreprise à intervenir dans mes cours ».
L’homme est déterminé. « Je vais continuer à me battre pour ça. Nous devons instaurer de façon permanente le dialogue et la sensibilisation aux métiers dans les écoles, dès la cinquième primaire. Et cette sensibilisation ne doit pas seulement être faite par des enseignants, mais aussi par des responsables d’entreprise. Ce serait encore mieux si ce sont des jeunes eux-mêmes, qui travaillent dans l’entreprise, qui viennent parler aux élèves. Un patron peut vendre la huitième merveille du monde, mais un jeune professionnel peut vraiment inspirer les élèves ».
Il conclut en insistant sur la nécessité de financer de manière pérenne les structures qui gèrent ces projets de sensibilisation : « Pour cela, il faut des financements. Les porteurs de projets ne devraient pas se demander constamment si leur projet pourra continuer ou non ». La logique reste la même pour les incubateurs.
Un homme d’action au service de la communauté
Fidèle à son habitude, le candidat se révèle être un homme d’action et de projets au service de la communauté. « En 2001, j’ai eu la chance de devenir administrateur à l’Union wallonne des entreprises (UWE/AKT). Je découvrais le rôle d’une fédération patronale et son impact. Je me suis pris au jeu. J’étais extrêmement présent, je venais à toutes les réunions du CA, et je trouvais cela passionnant », raconte-t-il.
Il est nommé administrateur délégué de la fédération patronale en septembre 2017. Mais le 13 avril 2018, il reçoit un coup dur : « C’est comme l’oiseau qu’on tire en vol. J’ai un cancer. Je m’en souviendrai toute ma vie. J’ai appris ça deux heures avant d’aller enregistrer une émission (le grand oral) organisé par Le Soir et la RTBF. C’était la douche froide. Je me suis dit : Ce n’est pas vrai, il y a 6 mois que je suis à l’UWE, je décolle et puis ce cancer me tombe dessus ».
Il ose un conseil, tiré de son expérience : il encourage les personnes atteintes de maladies graves à continuer de travailler si elles le peuvent, car cela permet de se concentrer sur autre chose et de maintenir un certain équilibre.
La Wallonie a des entreprises dont on ne soupçonne peut-être pas assez la reconnaissance mondiale qu’elles ont.
Nous arrivons tout doucement à la fin de l’interview, et je lui demande s’il croit encore que la Wallonie peut se relever. À ce moment-là, il se redresse, et avec une passion palpable, il me fait une longue liste à la Prévert des atouts de la Wallonie. On sent le futur homme politique qui aime sa région et veut porter un message positif malgré les défis restants. « On a des entreprises dont on ne soupçonne peut-être pas assez la reconnaissance mondiale qu’elles ont. Et ça, c’est quand même un premier atout. Deuxième atout, c’est que si on a de belles entreprises, c’est aussi parce qu’on a des super entrepreneurs qui ont osé prendre des risques. On a des collaborateurs très compétents. Si on a des collaborateurs compétents, c’est parce que nous avons de très bonnes universités. Et enfin, on a un super territoire en termes d’espace. Quel est le pays qui a encore autant potentiellement d’espace à disposition des entreprises ? Il y en a peu. Même les Flamands sont contents de venir chez nous ».
A la question de savoir pourquoi les électeurs devraient lui faire confiance et voter pour lui, il répond avec gravité : « L’expérience de gestion d’entreprise appliquée au monde politique est cruciale. Les principes de bonne gouvernance d’une entreprise ne sont pas suivis dans le secteur public. Le CEO d’une entreprise équivaut au Ministre-Président, le comité de direction au gouvernement, et le CA d’une entreprise au Parlement. En entreprise, le CA rend compte aux actionnaires, c’est-à-dire les électeurs. Pourtant, aujourd’hui, la transparence fait défaut, comme lorsque Elio Di Rupo (ministre-Président wallon sortant, ndlr) a refusé récemment de faire le bilan de la Wallonie devant le Parlement ».
Avant de conclure sur la nécessité d’une gestion financière saine des affaires publiques : « La gestion publique diffère de celle des entreprises, mais avec le plan de relance, nous devrions auditer et évaluer. Actuellement, on utilise des fonds européens ou des emprunts wallons pour des dépenses courantes sans priorité claire. Prenons l’exemple de l’EVRAS (Décret prévoyant l’Education à la vie relationnelle, affective et sexuelle dans les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il a fait polémique, ndlr) : c’est important, mais ce n’est pas un investissement pour relancer l’économie. Une fois les fonds dépensés, que ferons-nous ? ».
P. F.