QUAND LA MOBILISATION EN FAVEUR DES PALESTINIENS DEVIENT UN REPOUSSOIR

Après des sponsors français, l’Américain Frank McCourt coupe les vivres à l’Institut de sciences politiques

Des manifestants participent à un rassemblement devant l'Institut d'études politiques (Sciences Po Paris) alors que des étudiants occupent un bâtiment, avec une barricade bloquant l'entrée, en soutien aux Palestiniens, à Paris le 26 avril 2024. AFP

Pour certains, c’est la « fabrique des élites ». Pour d’autres, c’est « l’école de l’excellence ». Nombreux sont ceux et celles qui y ont étudié et qu’on retrouve encore aujourd’hui dans les sphères politiques, financières ou encore artistiques. Fondé le 10 juillet 1872 par l’écrivain et politologue Emile Boutmy (1835-1906), l’Institut d’études politiques, communément appelé Sciences po, traverse ces temps-ci une crise grave qui a pris une dimension encore plus importante depuis le 7 octobre 2023 suite aux attaques du Hamas palestinien en Israël. Ainsi, au printemps dernier, des étudiants pro-palestiniens ont bloqué la rue Saint-Guillaume, siège parisien de l’établissement, occupé des amphis, empêché des professeurs et des étudiants juifs d’accéder aux salles de cours… Le philosophe Alain Finkielkraut qui y a enseigné disait alors : « C’est la chienlit… Sciences po, c’est devenu le royaume du wokisme »… Depuis lors, l’Institut perd ses sponsors à tour de rôle. Le dernier en date est le milliardaire américain, Frank McCourt, propriétaire du club de foot de l’Olympique de Marseille.

Ces jours-ci, alors que l’année universitaire tire à ses fins, le quotidien économique « L’Opinion » assure que « les mauvais signaux s’accumulent ». Et une journaliste décrypte à la radio « la dégringolade d’une institution » qui compte près de 15 000 étudiants français et étrangers qui paient plus de 10 000 euros pour le premier cycle d’études pour environ 1 400 enseignants, répartis dans sept villes (dont Paris) à travers la France.

Désertion des sponsors

Financé pour un tiers pour l’Etat, Sciences po a été, suite aux événements de mars dernier, immédiatement privé de sa subvention annuelle d’un million d’euros par la présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse. « J’ai décidé de suspendre tous les financements de la Région destinés à Sciences-Po tant que la sérénité et la sécurité ne seront pas rétablies dans l’école », avait-elle fin avril dernier sur le réseau social X (ex-Twitter). « Une minorité de radicalisés appelant à la haine antisémite et instrumentalisés par la LFI et ses alliés islamo-gauchistes, ne peuvent pas dicter leur loi à l’ensemble de la communauté éducative », avait poursuivi Valérie Pécresse. Et au nom de la Région « Ile-de-France », elle avait plaidé pour « un sursaut d’autorité » face « aux renoncements de la direction ». L’aide régionale à Sciences Po comprend notamment une enveloppe d’un million d’euros prévu pour 2024 dans le cadre du Contrat de plant Etat-Région (CPER). Il est aussi question de mettre en suspens les subventions octroyées dans le cadre des « contrats-mentors » et de la politique de soutien à la mobilité internationale des étudiants, soit un total de plus de 100.000 euros.

Sponsor de la garden-party des anciens élèves de Sciences po qui, chaque année en fin de printemps, réunit près de six cents convives, le groupe LVMH, dirigé par Bernard Arnault, n’a pas financé l’édition 2024 et envisage la même attitude pour les années prochaines. Quant à la famille de l’économiste Jean-Paul Fitoussi, elle a mis fin le mois dernier au financement de bourses sur les politiques économiques (dont le montant n’a pas été rendu public).

Et la « dégringolade » ne semble pas arrivée au point final. En effet, un autre acteur vient d’annoncer sa décision de mettre fin à son mécénat qu’il avait signé en 2021. En effet, le milliardaire Frank McCourt, 70 ans, promoteur immobilier à Boston, Massachussets, et propriétaire du Marathon de Los Angeles ainsi que du club de football de l’Olympique de Marseille, s’était engagé à verser sur dix ans à Sciences po 2,5 millions d’euros par an pour « financer des projets de recherche annuels ou pluriannuels à fort impact, issus de l’ensemble des domaines de recherche de Sciences Po sur des sujets relatifs à la « Tech for the common good », en particulier sur les politiques publiques et les questions éthiques et légales ».

L’instabilité de la gouvernance en cause

Précision de McCourt Global : « C’est moins l’agitation étudiante que l’instabilité de la gouvernance de la Rue Saint-Guillaume qui a fini par agir comme un repoussoir ». En moins de quatre ans, Frank McCourt a déjà eu affaire à trois directeurs différents : Frédéric Mion (qui a dû démissionner après la révélation du « scandale Olivier Duhamel » accusé de pédophilie par sa belle-fille), Mathias Vicherat démissionnaire en mars dernier suite à une affaire de violences conjugales, et Jean Bassères, administrateur provisoire jusqu’à la nomination le 19 septembre prochain d’un nouveau directeur…

La ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau veut rester optimiste sur l’avenir de Sciences po et affirme que « l’établissement ne va évidemment pas mettre la clé sous la porte dans quinze jours. L’actuel directeur effectue un bon travail de remise au carré pour terminer l’année et préparer la rentrée ».

Mais au définancement (même partiel) de Sciences po, vient s’ajouter un nouveau problème : en privé, de nombreuses entreprises confient qu’elles hésiteront avant de recruter des étudiants, ce qui laisse penser que cette « fabrique des élites » n’est plus à la hauteur de sa réputation d’excellence…

Serge Bressan (correspondant à Paris)