Qui est Keir Starmer le nouveau premier ministre britannique et quel est son programme ?

Sir Keir Starmer a été fraîchement nommé ce vendredi matin, 5 juillet, au Royaume-Uni après les élections législatives qui ont eu lieu hier la veille. Et c’est conforté par une majorité absolue pour son parti que le leader des travaillistes accède au 10 Downing Street. Mais qui est le nouveau Premier ministre travailliste ? L’homme de 62 ans a eu une ascension fulgurante au sein du parti travailliste dans une bagarre interne qui a complètement redéfini l’orientation politique du Parti de gauche. Désormais au pouvoir, il entend améliorer les conditions de vie des travailleurs et des classes moyennes qui ont beaucoup souffert de l’austérité ces dernières années. Les Travaillistes veulent introduire une taxe sur les bénéfices des grandes entreprises pétrolières. Le Labour veut annuler le programme de déportation des migrants au Rwanda. Des budgets colossaux sont annoncés pour la transition énergétique et les projets d’énergie renouvelable.

Avant de s’engager en politique, Keir Starmer était d’abord un fonctionnaire dévoué. Il a, pendant des années, été procureur général au sein du ministère public en se spécialisant sur les Droits humains et l’immigration, de 2008 à 2013. Puis il a été élu au parlement en 2015 dans sa circonscription du Nord de Londres, à Holborn & St Pancras.

En 2016, il se positionne contre le Brexit, mais le camp pro-européen n’arrive pas à convaincre et le Royaume-Uni vote pour sortir de l’Union européenne. La même année, les travaillistes sont toujours dans l’opposition, mais Keir Starmer est désigné ministre de l’Immigration au sein du cabinet de l’ombre. Au Royaume-Uni, le parti d’opposition forme « cabinet de de l’ombre » (un shadow cabinet), c’est-à-dire que le parti nomme des ministres d’opposition qui font face à leurs homologues du gouvernement lors de sessions au parlement. Souvent ces « ministres de l’ombre » sont les figures montantes du parti d’opposition et ça a été le cas pour Starmer puisqu’en 2020, il est élu à la présidence du parti travailliste et devient le nouveau leader de l’opposition. Mais cette nomination ne fut pas sans mal, car beaucoup de membres du parti ont considéré que qu’il avait poignardé son prédécesseur, Jeremy Corbyn, dans le dos.

Tolérance zéro sur l’antisémitisme

Mais dans les faits, Jeremy Corbyn, déjà affaibli par les derniers résultats des législatives de 2019 qui avaient été la plus grande défaite depuis l’avant-guerre pour les travaillistes, a été évincé du parti pour des propos antisémites qu’il aurait lui-même tenus. Il était aussi reproché à Jeremy Corbyn sa bienveillance à l’égard d’autres membres du Parlement qui avaient tenus des propos similaires aux siens. C’est donc sur un axe de tolérance zéro vis-à-vis de l’antisémitisme que Keir Starmer s’est positionné pour gagner les primaires de son parti. Il a depuis « purgé » sans ménagement les parlementaires et membres du parti accusés de propos antisémites.

Au-delà de sa posture contre l’antisémitisme, Keir Starmer a une coloration politique différente de celle de son prédécesseur, Jeremy Corbyn.

De son côté, Jeremy Corbyn, lui, a depuis quitté le parti travailliste et s’est présenté comme indépendant lors de ces législatives et a remporté son siège. Mais au-delà de sa posture contre l’antisémitisme, Keir Starmer a une coloration politique différente de celle de son prédécesseur. Il est en effet plus centriste et moins charismatique que Jeremy Corbyn présenté à l’époque comme le « Mélenchon britannique ».

En 2020 donc, une séparation s’est opérée entre les pro-Corbyn plus à gauche et les pro-Starmer plus au centre. Loin de se le desservir, cette séparation a joué en faveur de Keir Starmer et lui a permis de rassembler finalement son parti.

Mais si les Britanniques ont largement plébiscité son parti ce jeudi 4 juillet, ce n’est pas par ralliement à son idéologie, mais plutôt une posture de rejet ferme contre les Conservateurs. Il a désormais la lourde tâche de convaincre sur le fond, au risque de creuser un peu plus le fossé entre les politiques et les citoyens.

Quel est le programme de Keir Starmer ?

Le nouveau Premier ministre britannique promet de la création de richesse pour les travailleurs. Cette mesure a pour objectif d’améliorer les conditions de vie des travailleurs et des classes moyennes qui ont beaucoup souffert de l’austérité ces dernières années. Le parti travailliste espère notamment diminuer l’inflation dans les prochaines années en encourageant davantage d’investissements dans plusieurs secteurs. Ce nouveau plan de financement devrait investir dans les secteurs de l’éducation, la technologie et les bâtiments.

Récolter 8 milliards de livres en impôts

C’est l’objectif financier des travaillistes : récolter 8 milliards d’impôts. Si Keir Starmer a promis de ne pas augmenter les impôts locaux et sur le revenu, il prévoit cependant de mettre fin au statut de « non-dom ». Ce statut financier permet jusqu’à présent aux personnes qui perçoivent des revenus au Royaume-Uni et à l’international d’être taxées uniquement sur leurs revenus perçus au Royaume-Uni. Ce statut avait fait largement débat lorsqu’il a été révélé que la femme du Premier ministre Rishi Sunak bénéficiait de ce statut et avait économisé plus de 20 millions de livres d’impôts.

Au-delà de la suppression de ce statut qui jusque-là bénéficiait majoritairement aux personnes les plus fortunées, les travaillistes veulent appliquer la TVA sur les revenus des écoles privées.

Au-delà de la suppression de ce statut qui jusque-là bénéficiait majoritairement aux personnes les plus fortunées, les travaillistes veulent appliquer la TVA sur les revenus des écoles privées, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent puisque les écoles privées ont le statut d’associations caritatives. Cette nouvelle taxe sur les frais de scolarité des écoles privées sera utilisée pour payer les enseignants des écoles publiques. Enfin, les Travaillistes veulent introduire une taxe sur les bénéfices des grandes entreprises pétrolières.

Construire 300 000 logements par an

L’une des principales crises au Royaume-Uni c’est celle du mal-logement. Le pays construit très peu de nouveaux logements, notamment de logements sociaux ; Conséquence, le secteur locatif privé a vu les loyers exploser et beaucoup de Britanniques n’arrivent plus à louer et encore moins à devenir propriétaire. Sachant aussi que l’âge moyen auquel les Britanniques accèdent à la propriété est 34 ans, ce qui donne peu d’espoirs aux jeunes générations d’accéder à la propriété et qui sont donc souvent en première ligne face à la crise du mal-logement.

Au cours de la dernière décennie, en moyenne, 152 000 logements ont été achevés chaque année. Le Labour estime que les promoteurs ont été freinés par les règles d’urbanisme et le prix des terrains, le parti souhaite donc alléger la bureaucratie associée à la construction de nouveaux logements.

Interdire la vente de voitures à essence et diesel en 2030

Le Labour affirme qu’il rétablira les plans visant à interdire la vente de nouvelles voitures à essence et diesel à partir de 2030, arguant que cela donnerait une échéance connue aux fabricants pour s’adapter au changement.

Le Labour affirme qu’il annulera immédiatement le programme du Rwanda, dont l’objectif est de dissuader les personnes arrivant par petits bateaux à travers la Manche.

Cela revient sur la décision du gouvernement conservateur prise en septembre dernier de prolonger le délai jusqu’en 2035. Certaines entreprises automobiles ont accueilli favorablement la mesure, mais d’autres ont estimée qu’elle pourrait dissuader les consommateurs de passer aux véhicules électriques.

Les syndicalistes du secteur automobile, le SMMT, soutiennent que les acheteurs ont besoin de « carottes, pas de bâtons ». En d’autres termes, il souhaite voir plus d’incitations pour encourager le changement, alors que des obstacles comme les prix élevés et une infrastructure de recharge inégale persistent.

Quid de l’immigration ?

Le Labour affirme qu’il annulera immédiatement le programme du Rwanda, dont l’objectif est de dissuader les personnes arrivant par petits bateaux à travers la Manche. Le parti prévoit donc d’affecter les 75 millions de livres de ce programme à une nouvelle « Commande des Frontières et de la Sécurité ». Sir Keir soutient qu’il souhaite donner aux enquêteurs des pouvoirs similaires à ceux de la lutte contre le terrorisme pour surveiller et restreindre les activités des suspects de trafic.

C’est donc une ligne dure que Keir Starmer a adoptée contre l’immigration dans un désir d’apaiser les Britanniques qui se situent très à droite sur la thématique de l’immigration.

Près de 24 milliards de livres pour les initiatives écologiques

L’engagement de dépenses le plus important du Labour, en plus des budgets départementaux existants, est de 23,7 milliards de livres pour les mesures écologiques durant la nouvelle législature. C’est plus que les dépenses supplémentaires pour la santé ou l’éducation. Cela s’explique par le fait que les politiques écologiques sont au cœur des plans de croissance et de prospérité du parti, ainsi que du climat.

Keir Starmer veut affecter 1,7 milliard de livres par an à sa très médiatisée entreprise Great British Energy visant à accélérer le déploiement des énergies renouvelables et de l’énergie nucléaire. L’objectif est de créer 650 000 emplois d’ici 2030 et de stimuler le renouvellement industriel tout en réduisant les factures et sécurisant l’approvisionnements en énergie propre. Il est question aussi de dégager un budget de 1,1 milliard de livres par an pour aider à améliorer l’efficacité énergétique des logements vétustes du Royaume-Uni. Ici aussi, l’objectif est de créer des emplois, de réduire les factures et de diminuer les émissions.

Un engagement « absolu » envers le nucléaire et l’OTAN  

En matière de défense, Sir Keir Starmer souhaite que son Parti travailliste soit perçu comme fondamentalement différent de celui de son prédécesseur Jeremy Corbyn lors des élections de 2019. Il n’y a eu aucun changement de fond dans la politique du Labour sur les armes nucléaires. Cependant, Sir Keir veut tout de même montrer qu’il y a eu une rupture nette avec le passé. Le manifeste déclare que l’engagement du Labour envers la dissuasion nucléaire est « absolu ». Il n’y a pas d’équivoque. Un ton similaire est utilisé lorsqu’il s’agit de parler de l’adhésion à l’OTAN. L’engagement du parti envers l’alliance militaire est décrit comme « inébranlable ».

40 000 rendez-vous et opérations supplémentaires pour le NHS

Keir Starmer veut empoigner la problématique de la santé. Pour rappel, le service de santé publique britannique, le NHS, est dans une situation dramatique, notamment avec des listes d’attente pour voir un spécialiste qui peuvent atteindre des années. Cette situation coûterait la vie à 500 personnes par mois en moyenne.

Il est donc urgent d’investir davantage dans le système de santé. Le Labour promet donc 40.000 opérations, examens et rendez-vous supplémentaires par semaine en Angleterre, soit 2 millions par an, en introduisant davantage de services le week-end et en faisant appel au secteur privé. Il affirme que l’argent proviendra de la lutte contre les régimes fiscaux des non-domiciliés.

Le plan représente une augmentation de moins de 2 %, mais d’après les experts, il pourrait suffire à remettre les temps d’attente sur les rails. Le manifeste du Labour indique que le budget augmentera au-dessus de l’inflation, mais cela ne nous en dit pas beaucoup. Traditionnellement, le NHS reçoit environ 4 % supplémentaires par an au-dessus de l’inflation, mais cela n’a été suffisant que pour maintenir le statu quo.

Plan pour les violences faites aux femmes

Ici, le Labour a promis de diviser par deux les violences faites aux femmes notamment en formant davantage les services d’urgence.

Les Travaillistes promettent aussi de réduire les délais de jugement pour les cas de viols. En effet, il y a des délais record et croissants dans les tribunaux en Angleterre pour les jugements de viols, avec plus de 68 000 procès en attente. Le Labour affirme qu’il réservera des espaces dans les cours d’assises pour les affaires de viol afin de commencer à résorber les arriérés. Il ne s’agit pas de nouvelles dépenses, mais d’une réorganisation des ressources existantes.

La vie privée de Keir Starmer

On connaît peu la vie privée du nouveau Premier ministre travailliste. Il est marié avec sa femme Victoria Alexander depuis 2007. Le couple a deux enfants qui ne sont jamais apparus dans les médias. Dans un souci de préserver ses enfants qui ont 16 et 18 ans, Keir Starmer a déclaré qu’ils ne résideront pas avec lui au 10 Downing Street, la résidence officielle des Premiers ministres britanniques.

On sait aussi que le nouveau Premier ministre britannique a des origines modestes, il en a d’ailleurs fait un argument de campagne face à Rishi Sunak dont la fortune serait plus élevée que celle du roi Charles III.

Il avait répété avec fierté, lors des débats avec son prédécesseur, qu’il était le fils d’un ouvrier et d’une professeure des écoles et qu’il savait ce que cela faisait d’avoir des parents qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois.

Autre différence de Starmer, c’est son parcours scolaire. Alors que pratiquement tous les Premiers ministres Conservateurs sont passés par les prestigieuses universités de Cambridge ou d’Oxford, le nouveau locataire du 10 Downing Street a obtenu son diplôme de droit à l’Université de Leeds dans le Nord du pays, ce qui contribue à lui donner une image plus « proche du peuple » et contraste avec celle d’une élite qui a pu s’offrir les meilleures écoles privées pour arriver au pouvoir.

Enfin, Keir Starmer se dit très fier et attaché aux services publics, notamment au NHS, puisque son épouse et sa sœur travaillent toutes les deux en tant qu’infirmières au sein du système de santé publique.

Léna Job (à Londres)