LES LENDEMAINS DES LEGISLATIVES EN FRANCE

Après les législatives, la difficile mission de trouver une coalition pour gouverner la France

Le fondateur du parti de gauche La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon (au centre), s'exprime aux côtés des membres du parti de gauche La France insoumise (LFI), Mathilde Panot (à gauche) et de la députée Danièle Obono (à droite), lors de la soirée électorale du parti suite aux premiers résultats du second tour des élections législatives françaises à La Rotonde Stalingrad à Paris le 7 juillet 2024. AFP

Dominé par La France insoumise, le Nouveau front populaire (NFP) a du mal à s’entendre sur un nom à proposer au Président de la République pour lui forcer la main. La Droite républicaine (Les Républicains) refuse de travailler avec Emmanuel Macron. En attendant, celui-ci a confié au Premier ministre démissionnaire, Gabriel Attal, de gérer les affaires courantes. Mais personne ne sait pendant combien de temps durera cette période d’intérim.

Coalition… Le mot sur les lèvres, dans les bouches de tant de personnages politiques au lendemain du 2ème tour des élections législatives françaises, ce 7 juillet, et l’arrivée en tête des sièges à l’Assemblée nationale du Nouveau Front Populaire (NFP, gauche et gauche radicale), devant Ensemble pour la République (groupe du Président de la République) et le Rassemblement National (RN, extrême-droite) et ses alliés. Coalition parce qu’aucun des trois blocs n’a récolté la majorité absolue, soit au moins 289 des 577 sièges de députés de l’Assemblée nationale.

Gestion des affaires courantes

Ainsi, en fin de matinée de ce 8 juillet, le Premier ministre, Gabriel Attal a présenté au Président de la République Emmanuel Macron sa démission ainsi que celle de son gouvernement, comme le veut la tradition républicaine après une défaite électorale. Le Président de la République a accepté la démission et, dans la foulée, demandé au Premier ministre de rester, avec son gouvernement, en place pour assurer les affaires courantes et garantir la « stabilité du pays ». « Pour le moment », a-t-on précisé au Palais de l’Elysée. La question surgit alors : combien de temps va durer ce « moment » ? Des observateurs laissent entendre qu’il pourrait durer quelque temps, au moins, jusqu’à la fin des Jeux olympiques (26 juillet-11 août) et paralympiques (28 août- 8 septembre) de Paris.

 Hors de question de gouverner avec LFI ou le RN. Hors de question de gouverner avec les extrêmes.

A l’issue de ces élections législatives anticipées et consécutives à la décision de dissolution par le Président de la République après la lourde défaite de son camp aux européennes le 9 juin dernier, le RN et ses alliés sont arrivés en tête avec 143 sièges (88 dans l’Assemblée sortante) et deviennent ainsi le premier parti à l’Assemblée nationale ; LFI, avec 71 à 78 sièges, est en 3ème position derrière Renaissance (le parti d’Emmanuel Macron) avec 99 députés. Dans l’entre-deux tours, le Président de la République avait déclaré : « Hors de question de gouverner avec LFI ou le RN. Hors de question de gouverner avec les extrêmes ». Coalition, disent-ils…

Tiraillement au sein de la coalition de gauche et d’extrême gauche

Dans les trois minutes qui ont suivi les premiers résultats de ce 7 juin, Jean-Luc Mélenchon, éternel ( ?) « lider maximo » de LFI, lança : « Nous sommes prêts à gouverner. Le Président de la République a le pouvoir, le devoir de nous confier le gouvernement ». Et dans la nuit, les quatre partis du NFP ont tenu réunion pour s’entendre sur le nom de la personne qu’ils proposeront à Emmanuel Macron pour la succession de Gabriel Attal à Matignon.

Il faut que dans la semaine, nous puissions être en mesure de présenter une candidature pour Matignon et faire en sorte d’obliger le chef de l’Etat à tenir compte de cette situation.

Mais plusieurs problèmes sont apparus : LFI martèle que le prochain Premier ministre doit sortir du plus important groupe en sièges parmi les quatre partis du NFP et, curieux hasard, LFI est ce parti ! Jean-Luc Mélenchon a glissé, à de nombreuses reprises, qu’il est prêt pour le poste, alors qu’il est la personnalité politique la moins inspirante selon différents sondages et que Parti socialiste (PS), le trouve beaucoup trop clivant. Le PS, par la voix de son Premier secrétaire Olivier Faure, considère qu’« il faut que dans la semaine, nous puissions être en mesure de présenter une candidature pour Matignon et faire en sorte d’obliger le chef de l’Etat à tenir compte de cette situation ». Quant aux Ecologistes, ils ne savent pas encore sur quel pied danser : accord ou non avec le bloc central…

Les plans de l’Elysée

A l’Elysée, ça fuse autour d’une question, une seule : avec qui gouverner ? Et dans les couloirs du pouvoir, on évoque une autre possible coalition autour du bloc Ensemble pour la République ! Emmanuel Macron aurait imaginé un plan machiavélique et la constitution d’un bloc qui irait des socialistes et écologistes modérés aux membres d’une droite raisonnable. En arrière-plan de cette entreprise, le Président de la République mettrait alors une ultime touche à son projet d’atomisation de l’échiquier politique avec l’éclatement de la gauche, la mise hors-jeu de LFI et de son « gourou » Jean-Luc Mélenchon. Problème, à ce jour : l’un des poids lourds de LR, Laurent Wauquiez, a annoncé bien qu’il est hors de question de travailler avec Emmanuel Macron.

Alors, les noms circulent pour le prochain résident de Matignon pour succéder à Gabriel Attal, reviennent ceux de Laurent Berger, ancien secrétaire général de la CFDT (Confédération française démocratique du travail) ; de Yannick Jadot, écologiste historique qui, depuis 2017, échange régulièrement avec Emmanuel Macron ; de Raphaël Glucksman (Place publique) qui a mené avec succès la liste de la gauche lors des européennes le 9 juin dernier ; de Marine Tondelier, la patronne de Les Ecologistes et révélation médiatique de ces législatives, ou encore de Clémentine Autain, dissidente LFI…

Que les élus se montrent dignes de la confiance placée en eux. Que la société civile continue de veiller, de proposer, de mobiliser.

Des observateurs de la chose publique rappellent aussi qu’avec Emmanuel Macron, on peut s’attendre à une surprise. Car, avec une coalition gauche-centre, le Président de la République pourrait proposer Matignon à François Hollande, son prédécesseur à l’Elysée (2012-2017) et élu ce 7 juillet député en Corrèze, ou même, dans le cas d’une coalition centre-gauche- droite, à Gabriel Attal…

Privilégier le compromis

Sur son compte Instagram, romancier (« Les silences des pères », 2023), islamologue, politologue et enseignant, Rachid Benzine ne désespère pas : « Que chacun prenne sa part de responsabilité. Que les élus se montrent dignes de la confiance placée en eux. Que la société civile continue de veiller, de proposer, de mobiliser. Et que tous ensemble, ils écrivent une nouvelle page de l’histoire de France, où le compromis n’est pas une faiblesse, mais une force, celle de la démocratie vivante et vibrante ».

De son côté, sociologue et philosophe, penseur de la « complexité », Edgar Morin fête, ce 8 juillet, ses 103 ans, et envoie un message aux différents responsables politiques françaiss : « Les tragédies se succèdent avec des différences et des traits communs. Ce qui se répète, c’est l’inconscience et le somnambulisme des gouvernants et des peuples lorsque l’on vit et subit la course vers les désastres ». Voilà qui est dit…

Serge Bressan (correspondant à Paris)