L'ITALIE DANS LE VISEUR DE LA COMMISSION EUROPEENNE

Italie : sévère rappel à l’ordre de l’Europe vis-à-vis de Giorgia Meloni pour sa politique à l’égard des médias

La Prtemière ministre italienne, Giorgia Meloni et son gouvernement épinglés par la Commission européenne notamment pour le sort qu'ils réservent aux médias. AFP

Une semaine après la reconduction d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne, la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, et son gouvernement font l’objet de lourdes critiques dans le rapport annuel sur l’état de droit publié, ce mercredi 24 juillet, par la Commission européenne. Le gouvernement Meloni est invité à prendre des mesures rapides et à cesser d’intervenir auprès des médias d’information, au risque de voir le soutien de l’Europe s’affaiblir. Sans appui européen, c’est l’économie italienne dans son ensemble qui pourrait s’effondrer. A moins que l’agenda national de Madame Meloni ne prime sur toute considération européenne… Le double jeu politique est en tout cas de plus en plus difficile à mener pour la dirigeante italienne la plus à droite depuis 1945.

La Commission européenne publie ce mercredi 24 juillet son rapport annuel sur l’évolution de l’état de droit dans les 27 pays européens. Entre autres remarques, la Commission signale une régression significative de la liberté des médias publics et privés italiens et réclame des réformes urgentes et significatives. Pression éditoriale de la part du gouvernement, journalistes régulièrement intimidés, manque de pluralisme, temps de parole des opposants politiques réduit sur le service public, structures de surveillance affaiblies, blocage au Sénat d’améliorations juridiques urgentes, opacité dans l’acquisition des médias privés, sont les griefs qui sont faits à l’Italie dans son ensemble et au gouvernement Meloni en particulier.

L’an dernier déjà, la Commission européenne s’inquiétait de la trop grande porosité entre le pouvoir politique et les médias italiens.

L’an dernier déjà, la Commission européenne s’inquiétait de la trop grande porosité entre le pouvoir politique et les médias italiens. Des recommandations avaient été adressées à l’exécutif italien qui ne les a vraisemblablement pas respectées puisqu’aujourd’hui, il fait l’objet de recommandations encore plus sévères. Cette situation risque de ternir l’entente de façade entre Ursula von der Leyen (la présidente de la Commission européenne fraichement reconduite dans ses fonctions) et Giorgia Meloni, à la tête du gouvernement italien depuis septembre 2022.

Giorgia et Ursula : petits arrangements entre amies

Le rapport 2024 de la Commission européenne sur l’état de droit, particulièrement défavorable à l’image de l’Italie, était attendu début juillet. Pourquoi ne paraît-il qu’aujourd’hui ? Selon plusieurs sources concordantes, sa publication ce mercredi 24 juillet ferait suite à un retard volontaire, notamment pour ne pas mettre Madame Meloni de mauvaise humeur avant le vote décisif pour la présidence de la Commission qui s’est tenu la semaine dernière. Rien de surprenant dans ce cas à ce qu’un tel rapport, peu flatteur pour l’Italie, soit publié incognito, en plein cœur de l’été, à un moment où les projecteurs ne sont plus braqués ni sur Bruxelles, ni sur Strasbourg.

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La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen est accueillie par la Première ministre italienne Giorgia Meloni à son arrivée au complexe hôtelier Borgo Egnazia pour le sommet du G7 organisé par l’Italie dans la région des Pouilles, le 13 juin 2024 à Savelletri. (Photo par Ludovic MARIN / AFP)

Le 18 juillet dernier à Strasbourg, le parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia, et le groupe des Conservateurs européens qu’il co-préside faisaient partie des groupes pivots qui ont permis une victoire confortable de la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, candidate à sa reconduction.

Magnanimité des conservateurs à l’égard d’Ursula von der Leyen

Ce 18 juillet-là, par l’intermédiaire de Nicola Procaccini, membre du parti de Giorgia Meloni, les Conservateurs européens n’ont pas donné de consigne de vote à leurs membres. La magnanimité des Conservateurs a favorisé la reconduction haut la main de la Présidente de la Commission, contrairement aux Patriotes pour l’Europe, l’autre groupe européen de droite nationaliste, qui a clairement appelé à faire barrage contre Ursula von der Leyen.

Des promesses importantes faites à Madame Meloni, comme celle d’un soutien accru aux pays du pourtour méditerranéen pour gérer l’immigration.

Des promesses importantes faites à Madame Meloni, comme celle d’un soutien accru aux pays du pourtour méditerranéen pour gérer l’immigration, avaient été soigneusement intégrées au discours de candidature d’Ursula von der Leyen comme autant de clins d’œil favorables au Gouvernement italien. Pourtant, dès le lendemain, Giorgia Meloni a tenu à faire savoir dans les colonnes du Corriere della Sera qu’elle avait appelé à voter contre la Présidente de la Commission, peu convaincue par son discours. Comme le vote se fait à bulletin secret, tous les doubles discours sont possibles. Cela permet à la présidente du Conseil italien de garder la face tout en ayant, dans les faits, préservé une stabilité européenne et un soutien économique vital pour l’Italie, lourdement endettée.

Rai et propagande : les raisons de la colère

Depuis mai dernier, un mouvement de contestation sans précédent secoue les différentes rédactions de la Rai, la radio-télévision de service public italienne désormais surnommées Télé-Meloni par l’opposition. Quand la Commission européenne réclame des mesures urgentes pour garantir l’indépendance des médias, c’est principalement à la Rai qu’il est fait référence. En cause, de longues interviews complaisantes de la présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, sur la première chaine (Rai1). En cause également, un traitement exagérément prudent des erreurs commises par le personnel politique de droite sur la chaine publique d’information en continu (RaiNews24) et des omissions délibérées donnant lieu à un traitement exagérément positif de la situation économique du pays, en décalage croissant avec la réalité vécue par la plupart des Italiens.

A cela, rien de tout à fait inattendu puisque depuis 2015 (sous l’impulsion des sociaux-démocrates à l’époque), il est d’usage qu’après les élections, le parti vainqueur nomme à sa guise les principaux dirigeants de la radio-télévision publique italienne. Arrivée en tête aux élections législatives de septembre 2022, Giorgia Meloni ne s’est pas privée de ce privilège en nommant des personnalités inféodées à son parti de droite nationaliste Fratelli d’Italia aux postes stratégiques de la Rai. Rapidement, la radio publique, les chaines Rai1, Rai2, Rai3 et RaiNews24 ont affiché des lacunes journalistiques caractéristiques d’un média de propagande (absence de débat contradictoire, traitement partiel des faits, hiérarchie de l’information biaisée).

Censure de l’écrivain Antonio Scurati

La manifestation la plus visible de la torsion de l’information par les dirigeants de la Rai a eu lieu le 21 avril dernier quand un écrivain de renom, Antonio Scurati, spécialiste du fascisme et particulièrement hostile au double discours mélonien, a été décommandé au dernier moment d’une émission dans laquelle, à l’occasion des commémorations de la fête nationale, il devait prononcer un texte sur l’histoire du fascisme et ses résurgences aujourd’hui.

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L’écrivain italien, Antonio Scurati, censuré sur la Rai. Il est très critique vis-à-vis du double discours mélonin.  (Photo par Jean-Christophe MILHET / AFP).

Cet acte de censure a donné lieu à une grève de cinq jours au sein de la Rai et à une libération de la parole sans précédent de la part des employés des médias publics italiens d’habitude plutôt silencieux face aux changements de cap de leurs dirigeants politisés. Ensuite, les cadres de la Rai n’ont pas tenté de calmer la colère, ils sont même allés plus loin dans leur interventionnisme. Le 7 juillet dernier, le soir du deuxième tour des élections législatives en France, alors que le camp nationaliste de Marine Le Pen ne pouvait plus espérer la victoire écrasante que la droite nationaliste italienne attendait, la Rai n’a consacré aucune édition spéciale à l’évènement (ce que les chaines privées ont fait), préférant diffuser la captation du festival culturel identitaire de Pomezia qui a fait également l’ouverture des différents journaux télévisés.

C’est au chamboulement de la hiérarchie de l’information que l’on reconnaît un média de propagande comme la Rai est en train de le devenir. Selon Luca Tomini, Professeur de sciences politiques à l’ULB « Les contraintes qui pèsent sur les journalistes de la Rai sont en fait les mêmes qu’avant, mais elles sont bien plus nombreuses aujourd’hui. Et la qualité des programmes s’en ressent. À cela s’ajoute l’exode de certains visages bien connus vers les chaînes privées. Il règne actuellement un climat d’épuration à la Rai ».

Saluts fascistes et glorification de Hitler : benvenuti in Italia

La pression constante exercée sur les grilles du service public est en train de faire tache d’huile sur les médias indépendants italiens qui sont désormais les seuls garants d’une presse critique du pouvoir en place.

Dans un reportage du média en ligne Fanpage, le monde entier a découvert en juin dernier, par l’intermédiaire d’une journaliste infiltrée, les pratiques de nombreux militants de la Jeunesse Nationale (Gioventù Nazionale), mouvement de jeunes militants affilié à Fratelli d’Italia et premier parti de jeunes en Italie. Dans ce film de douze minutes, on entend des propos insultants à l’égard des juifs et des personnes de couleur, une glorification de Hitler ou de Mussolini, on voit des saluts romains et des salutations fascisantes ; on entend également des déclarations sur le financement de la structure qui laissent entendre que le Gouvernement italien dévie illégalement certains fonds pour alimenter les finances de la branche jeunesse du parti au pouvoir.

Un reportage accablant, images à l’appui, dans lequel les jeunes militants recommandent régulièrement à leur jeune recrue de bien se tenir en présence de journalistes, ne sachant pas qu’elle est elle-même journaliste et qu’elle est en train de les enregistrer. Plutôt que de réagir sur le fond de l’affaire (ce qu’elle a fait quelques jours plus tard), c’est sur les méthodes journalistiques utilisées pour réaliser ce reportage que Giorgia Meloni a tenu à réagir.

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De gauche à droite, le Premier ministre islandais Bjarni Benediktsson, le Premier ministre canadien Justin Trudeau, le Premier ministre italien Giorgia Meloni et le président finlandais Alexander Stubb discutent avant le début d’une réunion du Conseil OTAN-Ukraine lors du sommet du 75e anniversaire de l’OTAN au Walter E. Washington Convention Center à Washington, DC, le 11 juillet 2024. (Photo par SAUL LOEB / AFP)

Alors qu’elle était en déplacement à Bruxelles pour un sommet européen, le 27 juin dernier, et que ce scandale commençait à inquiéter ses homologues étrangers, elle s’est indignée « de méthodes d’investigation propres aux régimes autoritaires ». Cette déclaration victimaire, comme si elle était encore dans l’opposition politique alors qu’elle exerce le pouvoir depuis près de deux ans, ce retournement des faits et des valeurs, sont en fait caractéristiques de la communication mélonienne.

Dans la foulée, le porte-parole de la présidente de la Commission européenne a condamné fermement toute nostalgie du fascisme, sans conséquence immédiate pour le Gouvernement italien puisqu’Ursula von der Leyen était en campagne pour sa reconduction et que, dans de telles circonstances, chaque voix compte, même celle provenant d’une droite nationaliste aux relents xénophobes.

Faire le ménage en coulisses

Giorgia Meloni s’est engagée à faire le ménage dans ses rangs, se disant surprise et indignée qu’un tel « folklore » nostalgique des années sombres de l’histoire italienne existe encore parmi les jeunes militants de son parti.

Pour Marco Bresolin, correspondant à Bruxelles pour le journal italien La Stampa « il est peu probable que Giorgia Meloni n’ait pas été au courant de ce type de pratiques au sein de Gioventù Nazionale. Elle a longtemps été jeune militante dans cette formation politique qui dépend directement de son parti, Fratelli d’Italia, qui lui-même fait partie des héritiers du parti fasciste ».

Il est peu probable que Giorgia Meloni n’ait pas été au courant de ce type de pratiques au sein de Gioventù Nazionale.

Les éléments mis à jour dans cette enquête ne nuiront probablement pas à la popularité nationale de Meloni dans l’immédiat. Par contre, ils pourraient retarder, voire empêcher, l’opération plus ou moins sincère de normalisation de la politique mélonienne à l’international, comme le souligne Luca Tomini, Professeur de sciences politiques à l’ULB : « Giorgia Meloni sait bien que les militants de son parti (surtout les jeunes) entretiennent une certaine nostalgie pour le fascisme. L’enquête de Fanpage montre des choses qu’on savait déjà en Italie. Des choses qui, en revanche, surprennent beaucoup en Europe et qui la mettent dans l’embarras ».

La jeunesse militante de Giorgia Meloni

Adolescente, Giorgia Meloni militait au sein de l’aile jeunesse du Mouvement social italien, formé par des partisans de Mussolini après la seconde guerre mondiale. Dans une vidéo régulièrement exhumée sur les réseaux sociaux, on la voit encore adolescente, interviewée en français par les équipes de France 3, définissant Benito Mussolini comme un bon politicien qui n’aurait fait qu’œuvrer pour le bien de l’Italie.

Depuis qu’elle est au pouvoir, Giorgia Meloni met davantage en avant son patriotisme et l’héritage libéral de Berlusconi dont elle a été la plus jeune ministre. Il est vrai qu’elle est à la tête aujourd’hui d’une coalition de centre-droit comme il est vrai qu’elle s’est régulièrement employée à prendre ses distances avec l’héritage postfasciste de son parti. Mais certains signaux ne trompent pas. Elle a notamment conservé la flamme tricolore du logo de son parti, ce qui est un rappel de l’iconographie fasciste et un signal clair envoyé à sa base radicale.

Double jeu des droites extrêmes européennes

Il est évident que les droites extrêmes européennes ont appris à jouer un double jeu pour accéder au pouvoir. La fameuse dédiabolisation du Front National devenu Rassemblement National en est l’exemple le plus clair. Mais pour Marco Bresolin, correspondant à Bruxelles pour le journal italien La Stampa, les choses sont moins retorses dans le cas de l’Italie : « On ne peut pas vraiment dire que Giorgia Meloni et son parti aient un double visage. C’est plutôt une question d’attitude, comme quelqu’un qui aurait appris à se comporter d’une certaine manière dans les diners en ville et dont le naturel reviendrait au galop, de temps en temps, parmi les siens ».

Est-elle la leader d’un parti extrémiste (qui représentait 3 à 4% des Italiens) ou celle de la droite italienne conservatrice (c’est-à-dire environ 27% des électeurs) ?

Pour que son naturel revienne également « au galop » dans les cénacles internationaux, Giorgia Meloni espérait une percée des droites nationalistes à l’issue des dernières élections européennes. C’est plutôt à leur division en plusieurs groupes discordants qu’on assiste actuellement. « Maintenant Giorgia Meloni va devoir trancher. Est-elle la leader d’un parti extrémiste (qui représentait 3 à 4% des Italiens) ou celle de la droite italienne conservatrice (c’est-à-dire environ 27% des électeurs) ? Jusqu’ici elle a maintenu l’ambiguïté entre ces deux options, sans trancher. Mais ses déclarations récentes semblent indiquer qu’elle optera pour la seconde solution. Jusqu’à quel point ? Il est encore difficile de le dire » analyse le Professeur de sciences politiques Luca Tomini (ULB) en rappelant que « depuis son élection, en revoyant immédiatement ses positions sur l’Europe ou sur l’Ukraine, Giorgia Meloni a effectivement entrepris un parcours de normalisation sur le plan international ».

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La Première ministre italienne Giorgia Meloni assiste à une réunion du Conseil OTAN-Ukraine lors du sommet du 75e anniversaire de l’OTAN au Walter E. Washington Convention Center à Washington, DC, le 11 juillet 2024. (Photo par SAMUEL CORUM / AFP).

Double discours du gouvernement Meloni : stop ou encore ?

Si à l’international c’est la voie de la modération et de la normalisation que Giorgia Meloni est contrainte de choisir, en Italie c’est la voie de l’omnipotence qu’elle emprunte obstinément avec en ligne de mire, d’ici quelques années, une réforme importante de la Constitution italienne qui pourrait permettre l’élection directe du Premier ministre à l’issue des élections législatives.

Cela offrirait au pays une stabilité politique dont il ne jouit pas pour l’instant. Mais l’instabilité politique italienne est prévue par la Constitution, c’est un principe né après-guerre (il rappelle le fonctionnement de la Belgique) qui a pour but d’éviter qu’un parti s’empare seul du pouvoir. Le projet de réforme de la Constitution italienne pour donner plus de pouvoir au chef du gouvernement est donc un projet politique lourd de sens, et Meloni le sait bien.

Si Giorgia Meloni restait aussi populaire dans les prochaines années qu’elle l’est aujourd’hui, elle pourrait s’offrir la possibilité de diriger l’Italie sans partage.

Cela dit, le processus sera très long : il faut deux lectures du texte, l’une à la Chambre et six mois plus tard une autre lecture au Sénat, suivies d’un référendum national. Rien n’est joué, notamment parce qu’en Italie, les autres forces politiques en présence – bien que désorganisées aujourd’hui – auront leur mot à dire et qu’elles se serviront certainement d’un tel référendum pour se refaire une santé.

Par ailleurs, le passé récent a montré que les Italiens se lassent vite de leurs dirigeants. Si Giorgia Meloni restait aussi populaire dans les prochaines années qu’elle l’est aujourd’hui, elle pourrait s’offrir la possibilité de diriger l’Italie sans partage, ni compromis lors d’un second mandat, dès 2027 et les rapports successifs de la Commission européenne sur l’état de droit n’y feront rien ou pas grand-chose.

Julien Bal