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Opinion. La diplomatie des otages : quand l’Occident continue à céder au chantage du régime iranien


Le 12 juin dernier, la France a annoncé la libération de Louis Arnaud, un otage détenu de longue date. Peu après, le 15 juin, la Suède a proclamé la libération de Johan Floderus, diplomate de l’Union européenne, détenu en Iran pendant plus de deux ans, ainsi que d’un autre otage irano-suédois. Il y a un peu plus d’un an, le 26 mai 2023, c’était Olivier Vandecasteele, travailleur humanitaire belge, qui revenait en Belgique après 15 mois de captivité. Trois ressortissants français demeurent toujours otages en Iran, et une dizaine d’Occidentaux y sont encore détenus. Cette diplomatie des otages, initiée au Liban dans les années 80, reste l’outil de prédilection de la théocratie iranienne. Mais certains évènements donnent l’impression que l’Iran d’autres armes pour persécuter l’opposition à l’étranger.

La libération d’un innocent otage est naturellement source de soulagement. Cependant, les Etats gardent le silence sur les contreparties. A chaque libération, des coïncidences troublantes sèment le doute.

Revenons en France, le 12 juin, quelques heures avant l’annonce de la libération de Louis Arnaud. Vers 15h, à Saint-Ouen-l’Aumône, près de Paris, l’Urssaf (Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales), les pompiers et la police aux frontières ont mené des contrôles administratifs au sein de l’association Cima, productrice de documentaires vidéos sur les droits humains en Iran. Cette association est proche des opposants iraniens, les Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI).

L’opposition toujours cible d’attaque

Cette association avait déjà été la cible d’attaques il y a un an. Des terroristes avaient tiré des coups de feu contre le siège de l’OMPI et lancé des engins incendiaires sur le bâtiment sans faire de victimes. Le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), dont l’OMPI est la composante principale, avait alors dénoncé une agression de Téhéran.

L’Iran a pu surveiller cette opération en direct. Nous ne laisserons aucun lieu sécurisé pour les terroristes.

Le 12 juin de cette année, vers 17h, l’opération d’ordre purement administratif a été présentée par la chaîne de télévision LCI comme une « descente de police dans les locaux de l’OMPI », ce qui n’était pas le cas. Curieusement, le tweet de la journaliste de LCI a intégré cette opération administrative locale sous le titre « France/Iran » !

Les médias d’Etat iraniens relaient l’info

Presqu’immédiatement, les médias du régime iranien, en particulier l’agence Tasnim affiliée à la force Qods des Gardiens de la Révolution, se sont empressés de relayer et d’amplifier cette information banale, prétendant même que des armes avaient été découvertes sur les lieux, ce qui fut évidemment démenti par les autorités françaises, mais sans précipitation. Le soir même, Emmanuel Macron annonçait la libération de Louis Arnaud.

Le plus surprenant fut l’annonce, le lendemain, de Kazem Gharibabadi, adjoint du chef de l’appareil judiciaire iranien, qui déclarait sur X (ex-Twitter) : « L’Iran a pu surveiller cette opération en direct. Nous ne laisserons aucun lieu sécurisé pour les terroristes ».

AFP

Le ministre iranien du pétrole, Bijan Namdar Zanganeh (à droite), et Kazem Gharibabadi, ambassadeur d’Iran auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), arrivent à la 177e réunion de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) à Vienne, en Autriche, le 5 décembre 2019. (Photo par JOE KLAMAR / AFP).

Odieux marchandages avec Téhéran

Lors de ce contrôle, la police des frontières avait placé trois bénévoles présents dans le local en rétention administrative. Mais la justice française a immédiatement ordonné leur remise en liberté, leurs papiers étant en règle. Leur avocat, spécialisé en droit des étrangers, a déclaré au journal Parisien : « Je n’avais jamais vu ça ».

Il est évident que ce 12 juin, les marchandages les plus fous entre Téhéran et Paris avaient cours. Kazem Gharibabadi est en fait l’homme clé de ces tractations concernant les otages.

Le 15 juin en Suède, lors de la libération des otages suédois ; le responsable iranien Hamid Nouri, condamné à perpétuité par la justice suédoise pour sa participation au massacre des prisonniers politiques en 1988, dont une majorité de militants de l’OMPI, a été libéré en échange et accueilli à l’aéroport par… Kazem Gharibabadi.

Lors de la libération d’Olivier Vandecasteele, c’est un autre criminel, le diplomate Assadollah Assadi, condamné à vingt ans de prison en Belgique, pour avoir voulu faire exploser une bombe lors du grand rassemblement du CNRI à Villepinte au nord de Paris en 2018, qui a été libéré et accueilli en Iran, devinez par qui ? Oui, encore Gharibabadi.

Etonnantes interactions

Mais ce n’est pas tout, d’autres interactions étonnantes sont à relever : quelques jours avant l’annonce de la libération de l’otage français, le 6 juin, un transfuge de l’OMPI, collaborant avec une filiale du ministère des Renseignements iraniens nommée Nejat, chargée du harcèlement des familles des résistants, a annoncé que son histoire paraîtra samedi prochain « dans l’un des plus crédibles et des plus grands médias d’Europe ».

Le 8 juin, soit seulement quatre jours avant l’annonce de la libération de l’otage, le journal Le Monde publie curieusement un article de quatre pages à charge, reprenant les accusations du régime iranien contre l’OMPI.

Le 8 juin, soit seulement quatre jours avant l’annonce de la libération de l’otage, le journal Le Monde publie curieusement un article de quatre pages à charge, reprenant les accusations du régime iranien contre l’OMPI, prétendant que les Moudjahidine du peuple auraient enrôlé leurs enfants dans les combats contre les Gardiens de la Révolution ! L’une des trois sources de l’article a pourtant diffusé une vidéo affirmant que les Moudjahidine du peuple n’autorisaient jamais les adolescents à prendre part aux combats.

Curieux parallèle avec la Suède, en début d’année, une télévision suédoise a fait la promotion d’un documentaire sur le même sujet, réalisé par une Iranienne, avec les mêmes accusations portées contre l’OMPI. Le personnage principal du documentaire est le même accusateur que dans l’article du Monde ! Il est connu dans la diaspora comme étant un collaborateur du régime en place.

Diabolisation des opposants iraniens dans les médias à l’étranger

Il est manifeste que la diabolisation médiatique de l’OMPI et la libération de criminels condamnés pour des crimes contre la Résistance iranienne font partie d’un ensemble de tractations entre le régime iranien et l’Occident. En cédant à la diplomatie des otages de l’Iran, les gouvernements européens et les Etats-Unis estiment pouvoir sauver leurs ressortissants des mains des ravisseurs sans trop de dégâts. Cependant, ce comportement teinté parfois de lâcheté coûte bien plus cher qu’il n’y paraît.

Il est manifeste que la diabolisation médiatique de l’OMPI et la libération de criminels condamnés pour des crimes contre la Résistance iranienne font partie d’un ensemble de tractations entre le régime iranien et l’Occident.

Le prix n’est pas seulement celui des rançons ou des souffrances des innocents dont les morceaux de vie ont été volés et qui vont en garder des séquelles très longtemps. Il inclut aussi l’abaissement devant une dictature religieuse et cruelle, piétinant les principes d’humanisme, de justice et de démocratie.

Le plus grave est que chaque fois qu’un Etat cède au chantage des mollahs, diffame ou entrave la Résistance iranienne, ou libère un criminel du régime, il contribue à prolonger la vie d’un régime voyou et mafieux qui continue de prendre des otages.

AFP

Cette capture d’écran tirée d’une vidéo de pool diffusée par la chaîne de télévision LCI montre le citoyen français Louis Arnaud entouré de sa mère et de son père à son arrivée à l’aéroport du Bourget, au nord de Paris, le 13 juin 2024, après sa sortie de détention en Iran. (Photo par POOL / AFP)

Rapport de l’ONU

Or, en s’acharnant sur les Moudjahidine du peuple, en faisant d’eux une monnaie d’échange pour la libération des otages, le pouvoir en place en Iran désigne ouvertement l’alternative à son pouvoir qu’il craint le plus. Le rapport récent du rapporteur spécial de l’ONU dévoile que durant des décennies la cible principale du régime des mollahs sont bien les Moudjahidine du peuple qui ont été les victimes de crimes contre l’humanité.

Alors que j’étais parti voyager pour faire la preuve de la bonté de l’homme en tous lieux, ce que j’ai vécu, ce que j’ai vu, m’a amené à douter.

Au lieu de saisir et de considérer, l’existence d’une telle force d’opposition remarquable et résiliente, depuis quarante ans, les Gouvernements occidentaux entravent ainsi les actions de la Résistance iranienne pour mettre fin à ce régime criminel, découragent le peuple iranien qui fait des sacrifices énormes pour obtenir la liberté, et encouragent les mercenaires d’un régime qui prétend dicter sa volonté au reste du monde.

En menant cette politique de complaisance, les Occidentaux ont, au contraire, encouragé le régime à retenir davantage d’otages et ont retardé le renversement de cette théocratie maléfique par le peuple iranien.

Nourrir un cercle vicieux

Au lieu de jouer à ce jeu dégradant, les Etats européens devraient unir leurs forces pour faire libérer tous leurs otages, non pas en se pliant, mais en menaçant d’expulser les agents du régime iranien et de fermer ses ambassades, véritables nids d’espions et de terroristes. Sinon ce cercle vicieux va se poursuivre.

Louis Arnaud a écrit dans sa belle lettre ouverte après sa libération : « Alors que j’étais parti voyager pour faire la preuve de la bonté de l’homme en tous lieux, ce que j’ai vécu, ce que j’ai vu, m’a amené à douter ». Mais dit-il, cet élan de solidarité a « restauré cette foi en l’humain qui se trouvait en péril ».

Disons aux politiciens : ne mettez plus en péril la foi en l’humain du peuple iranien en continuant à céder aux démons qui le persécutent.

Hamid ENAYAT
Ecrivain
Politologue et expert de l’Iran basé à Paris


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