LA FACE SOMBRE D'UN HOMME D'EGLISE

De nouvelles accusations de violences sexuelles assombrissent encore la face cachée de l’abbé Pierre

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Dans les premières années 2000, il fut élu « personnalité préférée » des Français. En 2003, il demande de ne plus apparaître dans ce classement, expliquant que « c’est à la fois une arme et une croix ». Né Henri Grouès le 5 août 1912 à Lyon, l’abbé Pierre meurt le 22 janvier 2007, auréolé d’une réputation de saint homme, ayant consacré avec les Compagnons d’Emmaüs sa vie aux plus pauvres. Deux films lui ont été consacrés : « Hiver 54 » avec Lambert Wilson, et « L’Abbé Pierre » avec Benjamin Lavernhes (2023). Un prêtre catholique dont le nom était évoqué pour une sanctification par le Vatican… L’abbé Pierre, déjà tombé de son piédestal, est visé par de nouvelles accusations de violences sexuelles. La fondation qu’il a créée veut désormais changer de nom.

Mi-juillet 2024 : la légende est sacrément écornée. Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre révèlent les accusations d’agressions sexuelles par l’homme d’église sur sept femmes, dont une mineure au moment des faits, qui se seraient déroulées entre 1970 et 2005. Les trois associations confient une enquête sur ces faits au cabinet Egaé, entreprise parisienne « entièrement dédiée à l’égalité femmes-hommes, la prévention des discriminations et des violences au travail » et dirigée par la très féministe Caroline de Haas. Le cabinet a rendu son rapport ce vendredi 6 septembre 2024, dans lequel il est fait état de dix-sept nouveaux témoignages accusant l’abbé Pierre de « violences sexuelles qui auraient été commises entre les années 1950 et les années 2000 ».

Des comportements dégoûtants

Dans ce rapport, au hasard des pages, on lit : « La majorité des témoignages font état de comportements qui ressemblent à ceux identifiés dans les premiers récits transmis au groupe Egaé [en juillet 2024]. Il s’agit de contacts non sollicités sur les seins ou de baisers forcés. Plusieurs témoignages font état de faits graves d’une autre nature : des contacts sexuels répétés sur une personne vulnérable, des actes répétés de pénétration sexuelle sur une personne de plus de 18 ans, ainsi que des propos à caractère sexuel, baisers forcés et autres contacts sexuels sur une enfant… ».

Notre Mouvement est sous le choc de ces révélations, qui marquent clairement un avant et un après pour notre histoire.

Le rapport du cabinet Egaé précise également que « les faits dénoncés remontent à une période des années 50 aux années 2000, la plupart du temps en France mais également aux Etats-Unis, au Maroc ou encore en Suisse. Les personnes qui ont témoigné sont ou ont été bénévoles d’Emmaüs, salariées de lieux dans lesquels l’abbé Pierre a séjourné, membres de familles proches du prêtre ou encore des personnes rencontrées lors d’événements publics ».

Sous mouvement sous le choc

Adrien Chaboche, délégué général d’Emmaüs International, a réagi à ces nouvelles révélations : « Notre Mouvement est sous le choc de ces révélations, qui marquent clairement un avant et un après pour notre histoire ». De son côté, Tarek Daher, délégué général d’Emmaüs France, évoque le ressentiment d’« une vive émotion en pensant aux victimes qui ont eu le courage de s’exprimer, mais aussi une grande colère face à l’étendue et la gravité de ces actes », alors que Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, confie : « Notre émotion, notre tristesse, notre colère sont vives après ces nouvelles révélations. Nos premières pensées s’adressent aux victimes, que nous croyons et que nous saluons pour leur courage. À présent, notre défi est de taille : continuer avec une totale détermination à combattre le mal-logement, les exclusions et les inégalités… ».

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Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre, confie la tristesse et al colère du mouvement après les nouvelles révélations d’agression ssexuelles visant son fondateur. (Photo par LUDOVIC MARIN / AFP)

Lieu de mémoire définitivement fermé

La Fondation Abbé Pierre a déjà annoncé qu’elle va changer de nom, tandis que « le lieu de mémoire dédié à l’Abbé-Pierre à Esteville (à proximité de Rouen, en Seine-Maritime) restera définitivement fermé, et l’avenir du centre fera l’objet d’un travail collectif entre ses différentes organisations membres au cours des prochaines semaines ».

Emmaüs International a également prévu la constitution d’une commission d’experts indépendants « afin notamment de comprendre et d’expliquer les dysfonctionnements qui ont permis à l’abbé Pierre d’agir comme il l’a fait pendant plus de 50 ans ».

Nous avons disposé d’informations établissant qu’Henri Grouès, l’abbé Pierre, avait commis des actes violant la civilité et la moralité communes, la législation pénale et les préceptes canoniques.

En juillet dernier, la commission Sauvé sur les violences sexuelles dans l’Eglise catholique avait fait part d’une enquête menée en 2019-2021 par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) à l’issue de laquelle « nous avons disposé d’informations établissant qu’Henri Grouès, l’abbé Pierre, avait commis des actes violant la civilité et la moralité communes, la législation pénale et les préceptes canoniques » et assurait, définitive,  que « la compulsion sexuelle de l’abbé Pierre qui débouche dans l’agression récidivante paraît indubitable ».

Silence coupable de l’Eglise…

D’autres s’interrogent aujourd’hui après les révélations et la publication du rapport du cabinet Egaé. Durant toutes ces années, l’Eglise catholique n’a-t-elle rien vu ? A-t-elle laissé faire, sous prétexte qu’on ne touche pas à une personnalité du rang de l’abbé Pierre ?

Selon le quotidien « Libération », « d’importantes personnalités de l’Eglise catholique sont alertées, à partir de 1955 de l’inconduite (au minimum) de l’abbé Pierre, des prélats très influents tels que le cardinal américain Francis Spellman, archevêque de New York de 1939 à 1967, ou le cardinal français Maurice Feltin, archevêque de Paris de 1949 à 1966. Au moins deux autres évêques français ont connaissance, eux aussi, du comportement extrêmement problématique d’Henri Grouès »…

Serge Bressan (correspondant à Paris)