Opinion : Poker menteur en Afrique centrale autour de la Rpublique démocratique du Congo
Depuis la chute du Maréchal Mobutu et du Zaïre en 1997, la République Démocratique du Congo (RDC) n’a pas connu une année sans guerres, ni rébellions. L’Est du pays s’est transformé en terrain de chasse pour les Etats voisins de la RDC. Ils prennent les provinces de l’Ituri, du Nord et du Sud-Kivu, du Maniema et du Tanganyika en otages. Plus de 252 groupes armés dont 14 étrangers ravagent ces provinces. Parmi ceux-ci, les ADF (Allied Democratic Forces), membres de l’ISCAP (Province de l’Etat islamique en Afrique centrale) qui représentent le plus grand danger pour l’ensemble de la sous-région. Cependant, la communauté internationale se focalise sur le conflit entre la RDC et le Rwanda. Il implique les forces régulières des deux pays et des groupes paramilitaires et particulièrement le M23 lequel bénéficie du soutien du Président rwandais, Paul Kagame.
Dès lors, l’annonce par le Président angolais, Joao Lourenco, le mardi 30 juillet à l’issue d’une réunion ministérielle dans le cadre du processus de Luanda et en présence des représentants de la RDC et du Rwanda, d’un cessez-le-feu entrant en vigueur le 4 août à minuit a suscité de réels espoirs. Ceux-ci ont été de courte durée. Le dimanche 4 août avant l’entrée en vigueur de celui-ci, le M23 passait à l’offensive dans la région de Binza occupant de nouveaux territoires. Une fois de plus Kigali souffle le chaud et le froid. Le Président rwandais, Paul Kagame, s’asseyant à la table des négociations pour montrer sa bonne volonté, tout en laissant le M23 continuer ses attaques afin de maintenir la pression.
Le M23 étend son influence
Le soutien de Kigali au M23 est bien réel et ce depuis la fondation du mouvement le 6 mai 2012. Suite à sa défaite en 2013, malgré ses conquêtes territoriales, le M23 décide de rendre les armes et de mettre définitivement un terme à sa rébellion. Le 12 décembre 2013, un accord de paix est signé à Nairobi mettant fin officiellement à la rébellion. Pendant plus ou moins 10 ans, le M23 reste un « agent dormant » des ambitions de Paul Kagame, jusqu’à la fin de l’année 2021, date à laquelle le groupe renouvelle ses attaques à l’Est du Congo. En mars 2022, celles-ci lui permettent de prendre le contrôle de vastes parties du territoire de Rutshuru.
Aujourd’hui, malgré le cessez-le feu, les combats continuent dans l’ensemble du Kivu.
Le raid sur la base militaire de Rumangabo en mai 2022 et la prise de la ville frontalière de Bunagana en juin ont été les vecteurs du contrôle du M23 sur le Nord-Kivu, leur permettant de s’emparer d’un stock d’armes de qualité et d’augmenter son volume de revenus grâce à la taxation illégale du commerce frontalier. Aujourd’hui, malgré le cessez-le feu, les combats continuent dans l’ensemble du Kivu. L’avancée du M23 s’est aussi concrétisée par une nouvelle alliance avec l’AFC (Alliance du Fleuve Congo) de Corneille Nangaa. Les forces en présence ne sont pas favorables au Congo.
D’un côté, la RDC…
Tout d’abord, les FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo) et les miliciens du groupe d’autodéfense les Wazalendos, fidèles au Président congolais, Félix Tshisekedi et recruteurs d’enfants-soldats. Ensuite, les FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda), héritiers des génocidaires hutus qui souhaitent renverser le Président rwandais, Paul Kagame. Puis, les mercenaires roumains et anciens légionnaires français payés par le clan Tshisekedi. Et finalement un nouvel acteur, la SAMIDRC (South African Development Community Mission in the Republic Democratic of Congo). Sans oublier la force expéditionnaire de la SADC (South African Development Community) en RDC qui peine à s’engager réellement contre le M23.
Ce patchwork de forces militaires n’est que le reflet de l’échec de toute la classe politique congolaise.
Ce patchwork de forces militaires n’est que le reflet de l’échec de toute la classe politique congolaise. Sans compter la corruption des hauts-gradés et politiques congolais qui détournent 70% du budget attribué à la guerre à l’Est empêchant ainsi les FARDC de disposer d’un matériel efficace pour protéger l’intégrité du territoire. Les réunions des 7 et 8 août derniers entre services congolais et rwandais pour appliquer le cessez-le-feu négocié à Luanda et mettre en œuvre sa feuille de route et la visite officielle du Président angolais à Kinshasa le 12 août dernier ont insufflé de l’espoir.
Des progrès, mais pas encore la paix
Des progrès ont été enregistrés dans les négociations entre services secrets rwandais et congolais les 29 et 30 août derniers à Rubeva mais les contours d’un vrai accord de paix paraissent encore loin. La réunion ministérielle prévue les 9 et 10 septembre pour examiner le rapport des experts en renseignement a été reportée au 14 septembre. Ce en raison de l’offensive continue du M23 qui a attaqué le 9 septembre les supplétifs Wazalendo dans le Masisi.
Bien qu’ayant obtenu gain de cause sur le plan de neutralisation des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDRL), Kigali ne montre aucune souplesse sur le désengagement de leurs forces et du M23. Il faut comprendre que le Rwanda est devenu, au fil des années, un des seuls pays africains qui dispose d’un réel « Global Reach » selon les termes de Stephen Ambrose. C’est-à-dire qu’il peut projeter sa puissance militaire et économique et agrandir sa zone d’influence, deux exemples flagrants l’illustrent :
- En Centrafrique, comme principal fournisseur de casques bleus de la MINUSCA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unis pour la stabilisation en Centrafrique), Kigali a également envoyé d’autres troupes, suite à un accord bilatéral, pour combattre les rebelles et stabiliser les institutions. Le Rwanda est devenu un partenaire économique clé tant dans les concessions minières que dans le domaine agricole.
- Au Mozambique, où depuis 2021, plus de 2.000 soldats rwandais protègent les installations du groupe Total et combattent les islamistes d’Ansar Al Sunnah, membres de l’ISCAP (Province de l’Etat Islamique en Afrique centrale). Les troupes de Kigali ont récupéré les territoires perdus par le Gouvernement mozambicain. Cependant, l’insurrection depuis novembre 2023 fait un retour en force s’emparant de nouveaux villages. De ce fait, le Rwanda a envoyé 2.000 hommes supplémentaires. Profitant de leur position dominatrice au niveau du Cabo Delgado, les Rwandais récoltent les contrats dans la sécurité, les mines et l’immobilier.
Paul Kagame, le « Bismarck » d’Afrique centrale
Cependant, le terrain de chasse préféré du Bismarck d’Afrique centrale, Paul Kagame, reste la République Démocratique du Congo. Changeant ses alliances au gré des retournements géopolitiques, cela lui permet de continuer d’exploiter les richesses de l’Est du Congo tout en poursuivant les FDRL et renforcer la sécurité du Rwanda.
Bien qu’ayant obtenu gain de cause sur le plan de neutralisation des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDRL), Kigali ne montre aucune souplesse sur le désengagement de leurs forces et du M23.
Tant que les Présidents et Gouvernements congolais restent dociles, les relations étaient au beau fixe. Dans le cas contraire, Paul Kagame pousse ses pions déstabilisant la RDC et l’ensemble de la sous-région. En autorisant l’alliance entre le M23 et l’Alliance du Fleuve Congo, puis en positionnant de nouvelles troupes des Forces Armées Rwandaises, Kigali démontre que son but final, en dehors du contrôle des richesses minières, est l’affaiblissement et le renversement du Président congolais Félix Tshisekedi.
Renverser le président congolais
Selon une note interne de la DIA (Defence Intelligence Agency, dépendant du Pentagone aux USA) datant de juillet 2024, l’objectif du Président rwandais, si le pouvoir congolais ne se plie pas à ses exigences, est d’appuyer la prise de pouvoir de l’Alliance du Fleuve Congo en partenariat avec le M23, et ce afin de contrôler le nouveau régime.
Le State Department et la Maison Blanche dénoncent régulièrement l’implication du Rwanda en RDC. Paul Kagame n’en a que faire.
Le State Department et la Maison Blanche dénoncent régulièrement l’implication du Rwanda en RDC. Paul Kagame n’en a que faire. Le Pentagone et la DIA continuent d’être ses soutiens politiques et militaires et ce, depuis bien avant 1994, lui permettant d’avoir cinq fers au feu pour préserver les intérêts du Rwanda. Peu importe si des milliers de Congolais doivent mourir.
On dit souvent que l’histoire ne se répète pas, mais dans le cas de la RDC, c’est hélas le cas. Elle est à l’image de la fin de règne de l’ancien président Mobutu et de la chute du Zaïre : une classe politique corrompue, un clan dirigeant le pays et une armée désorganisée dirigée par des généraux incompétents. Le Rwanda souhaite un Congo affaibli et à sa botte. Bientôt il n’aura plus qu’à se baisser pour le ramasser.
Max Olivier Cahen
Ancien Conseiller du Maréchal Mobutu et du Président Pascal Lissouba Auteur d’un mémoire intitulé « Stratégie d’Expansion et d’Hégémonie de l’intégrisme islamique en Afrique sub-saharienne »