ELECTIONS COMMUNALES

Demetrio Scagliola : « Il faut s’attendre à de gros bouleversements lors des élections communales »

L'ancien rédacteur en chef de Sudinfo, Demetrio Scagliola, entouré par les animateurs David Barbet (à gacuhe sur la photo) et Patrick Weber (à droite) lors d'une émission sur Vivacité (une radio de la RTBF). D.R.

Objectif 13 octobre. Les élections communales approchent à grands pas et la tension monte dans les états-majors des partis et chez les candidats. Faut-il s’attendre à une confirmation de la victoire de la droite après le scrutin de juin dernier ou le PS peut-il tirer parti de sa forte implantation locale pour redresser la barre ? Nous en parlons avec un ténor du journalisme politique en Wallonie, Demetrio Scagliola, ancien rédacteur en chef de Sudinfo (La Meuse, La Nouvelle Gazette, La Province, Nord-Eclair, La Capitale, 7 Dimanche). Il a accepté d’accorder à L-Post sa toute première interview après avoir quitté le groupe Rossel il y a quelques jours.

Bonjour Demetrio Scagliola, tout d’abord un mot sur votre départ de Sudinfo, qui en a surpris plus d’un ?
Je n’ai pas grand-chose à dire à ce sujet et je n’ai certainement pas envie d’ennuyer vos lecteurs en parlant de moi. Disons qu’il est normal que les grands groupes de presse tentent d’ouvrir de nouveaux cycles, avec de nouvelles équipes. Le secteur de la presse traverse une mutation stratégique et difficile, dans un contexte économique tendu. Mais j’ai confiance dans la capacité du groupe Rossel à relever ces défis. Il dispose de suffisamment de talents, d’audience et de stabilité pour prospérer.

Je pars avec le sentiment du devoir accompli. Au cours des sept années passées à la rédaction en chef, nous avons considérablement fait évoluer le média Sudinfo.

Mais votre bilan a été jugé très positif par la plupart des observateurs…
Je pars avec le sentiment du devoir accompli. Au cours des sept années passées à la rédaction en chef, nous avons considérablement fait évoluer le média. Quelques exemples : nous avons placé Sudinfo au sommet des audiences tout en mettant en place une ligne éditoriale visant à restaurer notre crédibilité. Dans le même esprit, nous avons remis la déontologie journalistique au cœur de nos procédures, en collaboration avec le CDJ (Conseil de déontologie journalistique, ndlr). Sur le fond, nous avons principalement travaillé sur la proximité et la transformation digitale. Lors des élections communales de 2018, nous avons mis en place une stratégie digitale de grande envergure dans chaque commune, en utilisant des datas, des données statistiques, des vidéos… Cela nous a permis de doubler notre audience dans la foulée des élections. Enfin, un mot sur le développement de l’offre concernant le sport local et amateur. Je suis parti du principe d’Andy Warhol : « Chacun aura son quart d’heure de célébrité ». J’appelle cela la proximité émotionnelle. Nous avons aussi installé des studios vidéo au cœur de nos rédactions, ce qui nous a permis d’anticiper cette évolution capitale.

Vous quittez donc Sudinfo sans regrets…

Je prendrai l’exemple du champion de tennis Pete Sampras pour vous répondre. C’était mon idole et il est parti après avoir gagné l’US Open. Toutes proportions gardées et en toute humilité, j’ai un peu le même sentiment aujourd’hui (rires).

Va-t-on encore vous lire ou vous voir dans les médias ?
Oui, bien entendu, je continuerai mes collaborations avec la RTBF et d’autres médias qui m’ont approché. Mais je travaille aussi sur plusieurs projets dans d’autres domaines. Vous en saurez plus dans les semaines à venir. Un peu de patience…

A priori, le MR et Les Engagés devraient prioritairement travailler ensemble.

Le 13 octobre 2024 se tiennent les élections communales et provinciales. Pensez-vous que le MR et Les Engagés vont confirmer leur victoire du 9 juin dernier ?
Dire que les élections communales sont profondément différentes des législatives est une évidence. Mais je pense tout de même que la vague droitière du 9 juin dernier pourrait se poursuivre. Il faut reconnaître que le PS est plus isolé que lors des scrutins précédents. A priori, le MR et Les Engagés devraient prioritairement travailler ensemble. Pour les socialistes, les alliés potentiels à gauche sont Ecolo et le PTB. Les Verts sont en pleine reconstruction et, mis à part quelques réalités locales (Amay, Louvain-la-Neuve ou Liège), leur poids sera sans doute insuffisant. Reste le PTB, mais je ne parierais pas sur des accords stratégiques entre le PS et le PTB…

Pourquoi ?
Parce que ni le PS, ni le PTB n’ont réellement envie de travailler ensemble. Je pense que les deux partis n’ont ni intérêt à le faire. Je vois plutôt le PS tendre la main vers Les Engagés et même le MR, pour tenter d’apaiser les relations avec le Gouvernement wallon, et sans doute pour annoncer une alliance avec le centre-droit au Gouvernement bruxellois.

Le PS est pourtant historiquement le parti des communales…
C’est vrai, particulièrement dans les grandes villes. Le porte-à-porte, la proximité, les relais, les piliers, tout cela pourra aider les socialistes. Mais je suis persuadé qu’une partie de l’électorat a changé, et c’est ce qui explique les résultats de juin. Nous avons assisté à un choc générationnel et de « déconnexion » de certains partis lors des législatives. L’influence du vote des jeunes, des réseaux sociaux, et un ras-le-bol par rapport à certaines situations acquises ont déplacé le centre de gravité politique. Si l’on ajoute à cela la banalisation des idées de droite dans la société, ainsi que les campagnes électorales des partis, la défaite de la gauche s’explique.

Demetrio Scagliola (qui s'exprime au micro) lors d'un débat avec Olivier Moch (au centre) et Amid Faljaoui (à gauche), administrateur délégué du Cercle de Wallonie. D.R.

Diriez-vous que le PS a raté sa campagne ?
Oui, c’est une évidence. Le PS s’est désintéressé des électeurs du centre, et même de la gauche modérée, en s’alignant sur les thèmes du PTB, voire en allant plus loin. En caricaturant un peu, on pourrait dire que les socialistes ont copié le PTB et ont clashé Georges-Louis Bouchez en permanence. En agissant ainsi, ils ont non seulement offert les électeurs modérés aux Engagés, mais ils ont également donné encore plus de visibilité au président du MR. Vous savez, les gens se demandaient pourquoi tout le monde s’attaquait à Georges-Louis Bouchez, cela paraissait suspect, ce qui a même contribué à le rendre acceptable aux yeux de certains électeurs anti-système. N’oublions pas qu’il s’agissait du premier scrutin post-Covid… Quand j’entends aujourd’hui le président du PS (Paul Magnette, ndlr) comparer les méthodes de son homologue du MR (Georges-Louis Bouchez, ndlr) à celles de Donald Trump (ex-président des USA, ndlr), je me dis que même s’il n’a pas tort sur le fond, il n’a pas retenu les leçons de juin. Pour toute une série d’électeurs un peu perdus ou en décrochage démocratique, la référence à Donald Trump est plutôt… positive. Quant aux socialistes, ils semblaient sûrs d’être au pouvoir et d’être dans la position de choisir leurs partenaires. Cette attitude ne les a pas poussés à se mobiliser autant qu’il le fallait, y compris dans les médias… Par exemple, je n’ai pas souvent entendu Paul Magnette parler de travail ou des travailleurs. Ce qui constitue pourtant l’ADN du PS.

Vous pensez que des bouleversements sont possibles le 13 octobre ?
Certainement, des basculements sont possibles, notamment en région bruxelloise ou à Mons. Et il faudra également suivre les affrontements internes au PS à Liège et à Charleroi. L’ancienne ministre wallonne Christie Morreale (elle pousse la liste socialiste pour les communales, ndlr) devancera-t-elle Willy Demeyer (bourgmestre sortant et tête de liste des socialistes, ndlr) dans la Cité ardente ? Et à mon avis, s’il mène une campagne normale, Paul Magnette pourrait devancer Thomas Dermine, même si ce dernier est tête de liste des socialistes carolos… Mais je pense que dans les villes moyennes, des surprises importantes pourraient avoir lieu.

S’il mène une campagne normale, Paul Magnette pourrait devancer Thomas Dermine, même si ce dernier est tête de liste des socialistes carolos.

La décision d’arrêter les extensions du tram de Liège vers Herstal et Seraing aura-t-elle une influence sur le vote ?
De manière un peu cynique, je dirais que Seraing et Herstal ne sont pas des enjeux stratégiques ni pour le MR, ni pour Les Engagés. Par ailleurs, je ne suis pas sûr que les opinions publiques de ces deux communes attendaient le tram avec impatience. Et je vis à quelques kilomètres de Herstal. En revanche, je pense que tous les problèmes causés par le chantier du tram à Liège laisseront des traces.

L’arrêt de l’extension est une décision politique ?
Absolument, comme tout le dossier du tram depuis le début. Personne ne conteste l’utilité d’une mobilité douce structurante dans une métropole, mais le tracé initial — entre Sclessin et Coronmeuse — était déjà le tronçon le mieux desservi par l’offre de bus, avec des fréquences très importantes…

Entretien: Philippe Lawson