Scénarios de l’après Hassan Nasrallah au Liban : guerre ou paix ?
Après plusieurs jours de bombardements intensifs sur le sud-Liban et la banlieue sud de Beyrouth, l’armée et les services de renseignements israéliens ont fini par tuer vendredi 27 septembre le leader chiite Hassan Nasrallah. Victime de conflits et de guerres civiles à répétition, le Liban entre désormais dans une nouvelle phase d’incertitudes avec la mort du chef du Hezbollah, encore considéré il y a quelques semaines par les militaires israéliens comme l’organisation terroriste la plus puissante, la mieux organisée et la plus riche de la planète.
Est-ce la fin d’une histoire de haine, de violence et de sang qui aura duré plus de 40 ans entre Hassan Nasrallah et l’Etat hébreu, qui se combattaient ardemment, l’un n’ayant d’autre aspiration plus puissante que l’extermination de l’autre ? La question mérite d’être posée au regard des évènements de ces dernières heures. Le Hezbollah avait été créé en 1982 en réaction aux attaques d’Israël et à son invasion du Liban. Le mouvement a pu prospérer grâce à l’incurie et à la corruption générales des dirigeants libanais, avec lesquels nous avons toujours été très complaisants.
Une fois encore, le Liban se retrouve à nouveau à un carrefour de son histoire, car deux options se présentent dans l’immédiat.
Une fois encore, le Liban se retrouve à nouveau à un carrefour de son histoire, car deux options se présentent dans l’immédiat : soit le Hezbollah, qui a perdu près de 90% de ses cadres et sa tête pensante rend les armes dans la foulée, soit au contraire il se venge et profite de ses forces humaines ainsi que de son arsenal militaire pour tenter le tout pour le tout contre Israël.
Le Hezbollah, un mouvement militairement fort
Il faut rappeler qu’avec plus de 100.000 hommes surarmés et environ 150.000 roquettes, le Hezbollah est depuis des décennies une forteresse au sein de l’Etat libanais effondré. Disposant d’un parti politique bien ancré, l’organisation tient les rênes du Liban depuis 40 ans, et est un faiseur de rois dans le pays. Depuis le sud-Liban, jusqu’à Beyrouth-sud et la plaine de la Bekaa à Baalbek, il est incontournable jusque maintenant.
Les Libanais considéraient qu’entre la peste et le choléra, il valait mieux concilier avec le Hezbollah plutôt qu’avec Israël.
Face aux multiples crises, à la guerre permanente contre l’Etat hébreu, à la corruption des élites et de toute la classe politique libanaise, à l’explosion du port de Beyrouth en 2020, à la crise économique et bancaire majeure qui a fini d’achever le Liban, la milice chiite avait encore la sympathie de nombreux Libanais. Ceux-ci considéraient qu’entre la peste et le choléra, il valait mieux concilier avec le Hezbollah plutôt qu’avec Israël. Au fond, les combattants du « Hezb » sont avant tout des Libanais. Et surtout face à un Etat qui n’assure plus ses missions régaliennes dont la sécurité et l’aide sociale aux plus démunis.
Que faire après la mort du leader du Hezbollah ?
Plusieurs questions vont se poser rapidement selon les choix que va faire le Hezbollah dans les jours à venir. Soit il rend les armes, on peut y croire, et l’Etat libanais reprend le contrôle sur l’ensemble du territoire et sécurise le front sud, ce qui arrangera Israël et permettra de faire revenir les 60.000 Israéliens qui ont fui le nord du pays face aux roquettes quotidiennes.
Mais se posera forcément rapidement la question de la « dé-hezbollahisation » de la société et la démilitarisation du mouvement. Une idéologie ne meurt jamais contrairement aux combattants. C’est un processus classique dans l’histoire de la déradicalisation de franges entières d’une population à l’issue d’un conflit, comme on a pu en connaître notamment en Europe. Ce serait une opportunité unique pour l’Etat libanais de montrer qu’il existe encore et qu’il peut reprendre le destin du pays entre ses mains.
Dissoudre le Hezbollah…
Il faudrait voir émerger dans le même temps une nouvelle classe politique libanaise prête à relever l’immense défi qui l’attend. Faudrait-il alors maintenir ou dissoudre la branche politique du Hezbollah au sein du paysage politique libanais ? La question reste entière car beaucoup ne renonceront jamais à leurs principes et à leur combat. Et on sait ce que l’humiliation produit comme rancœur et haine dans une société dans l’avenir. L’Etat pourrait aussi saisir la fortune du Hezbollah pour le fonctionnement propre de ses institutions, mais cela est plutôt utopique à ce stade.
Pour l’instant, les signes donnés par Téhéran, en faveur du dialogue et de la reprise des négociations autour du nucléaire iranien à New-York, pourrait plutôt faire penser le contraire.
Soit le Hezbollah résiste et s’en prend directement à Israël et va jusqu’au bout dans une fuite en avant en se servant de l’ensemble de son arsenal, malgré les difficultés de communication, la logistique défaillante, et la rupture de la chaîne de commandement. Il faudrait alors s’interroger de savoir si l’Iran les rejoindrait et entrerait en guerre avec Israël.
A l’heure actuelle, les signes donnés par Téhéran, en faveur du dialogue et de la reprise des négociations autour du nucléaire iranien à New-York cette semaine à l’occasion de l’assemblée générale des Nations Unies, pourrait plutôt faire penser le contraire. Le guide la révolution islamique en Iran, Ali Khamenei, a une hantise : le retour de Donald Trump. Il ne chercherait pas à mettre des bâtons dans les roues de la candidate démocrate, Kamala Harris, encore peu rôdée à assumer un rôle de premier plan sur la scène internationale, elle pourrait prendre des décisions qui se retourneraient contre son propre camp à un mois des élections.
La stratégie de l’Iran et la fortune de Hassan Nasrallah
L’Iran est resté relativement discret et modéré depuis le 7 octobre 2023. Le Hamas ne l’avait d’ailleurs pas prévenu du plan d’attaque contre Israël. Le Hezbollah était jusqu’à maintenant certes financé par Téhéran, mais aussi largement alimenté par le trafic de drogue, qu’il orchestre depuis l’Amérique latine et qui l’a rendu richissime.
La fortune du leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah est estimée à environ 250 millions de dollars.
La fortune du leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah est estimée à environ 250 millions de dollars. Cela montre que Téhéran profite depuis longtemps de ces armées « proxis », que ce soit le Hamas, le Hezbollah, les milices chiites pro iraniennes en Irak, et les Houthis. Mais aussi que certaines milices sont allées un peu trop loin pour un régime iranien qui jouerait la carte du retour dans le concert des nations, l’espoir d’un accord sur le nucléaire et en définitive un allègement des sanctions pour apaiser les Iraniens révoltés depuis plusieurs années.
Le Liban a rendez-vous avec l’histoire : soit le basculement dans une nouvelle guerre civile si le Hezbollah s’en prend aux Israéliens et aux Libanais qui chercheraient à le contraindre maintenant que les principales têtes ont sauté, soit la possibilité d’un avenir plus optimiste.
Urgence stratégique
Dans l’immédiat, l’urgence stratégique et l’opportunité historique seraient de restaurer l’autorité et l’autonomie de l’Etat libanais en mettant en place une coalition internationale avec une base euro-arabe, plurilatérale ou avec un mandat des Nations Unies – mais sans s’encombrer de vetos toxiques, au besoin – afin d’aider à sécuriser le territoire libanais et à rétablir son contrôle par l’armée, la gendarmerie et la police libanaises.
Dans l’immédiat, l’urgence stratégique et l’opportunité historique seraient de restaurer l’autorité et l’autonomie de l’Etat libanais en mettant en place une coalition internationale.
Cela implique – comme cela a été fait dans d’autres processus de stabilisation et de paix – que les miliciens soient donc intégrés à l’armée libanaise. Cela implique aussi, sous la menace de fortes sanctions américaines et européennes, et avec la coopération d’Etats arabes, que la classe politique libanaise soit forcée d’adopter enfin des règles et un comportement de gouvernance qui servent le peuple libanais. Il faudra accompagner cette dynamique avec des contributions financières massives pour reconstruire le Liban, soutenir sa population, et faire repartir son économie.
La France et l’Arabie Saoudite pourraient jouer un rôle clé pour susciter une action internationale qui doit être urgente. Enfin, et cela est peut-être encore un peu prématuré mais qui sait : cette action de restauration du Liban doit être menée en parallèle avec des efforts pour un accord de normalisation et de coopération pour le développement socio-économique entre le Liban et Israël, et l’élaboration d’un agenda réaliste, mais ferme pour la résolution du conflit israélo-palestinien, en prenant appui sur les gains de sécurité d’une stabilisation du Liban.
Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au Cnam Paris (Equipe Sécurité Défense), à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (IEGA Paris), au Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire stratégique de Genève (Suisse).