Politique

Israël mène des « opérations terrestres limitées » au sud-Liban


Israël a averti Washington, ce lundi 30 septembre 2024 en début de soirée, que son armée avait entamé des « opérations limitées » au sud-Liban. Officiellement, il ne s’agit que de de s’en prendre à des positions du Hezbollah près de la frontière. L’Etat hébreux est hanté par les erreurs du passé, mais sa doctrine militaire a changé et son renseignement est au meilleur de sa forme. L’opération qui semble avoir commencé lundi soir est la quatrième invasion israélienne du Liban en cinquante ans. La plus importante, à l’été 1982, était déjà sensée être « limitée », aussi bien dans le temps que sur le terrain. Il s’agissait à l’époque de chasser l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) du sud du pays. A l’arrivée, l’occupation a duré vingt ans, a contribué à la naissance du Hezbollah et s’est terminée par une retraite sans gloire en 2000.

Le porte-parole du Département d’Etat, Matthew Miller déclarait ce lundi 30 septembre 2024 en milieu d’après-midi (heure de Washington) : « Ils nous ont informés qu’ils menaient actuellement ce qu’ils disent être des opérations limitées visant l’infrastructure du Hezbollah dans le sud du Liban, près de la frontière. Ils nous ont informés d’un certain nombre d’opérations. Je sais que j’ai vu des rapports sur des opérations terrestres. Mais nous poursuivons nos discussions avec eux à ce sujet ».

Les régions de Metula, Misgav Am et Kfar Giladi, dans le nord d’Israël, ont été déclarées zone militaire fermée.

L’armée israélienne a annoncé la création d’une « zone militaire fermée » autour de trois villes situées à la frontière libanaise, sur fond de spéculations quant à une éventuelle offensive terrestre contre le Hezbollah dans ce pays. « Les régions de Metula, Misgav Am et Kfar Giladi, dans le nord d’Israël, ont été déclarées zone militaire fermée. L’entrée dans cette zone est interdite », selon le communiqué de Tsahal.

Les forces spéciales ont franchi la frontière

Un peu plus tard, on apprenait que des unités des forces spéciales de l’armée israélienne avaient franchi la frontière, mais on ignorait s’il s’agissait de mener des opérations immédiates contre la milice chiite ou de préparer l’entrée de forces plus conséquentes. En revanche, on avait appris durant le week-end que deux divisions étaient remontées du sud du pays et s’était positionnées non loin de la frontière libanaise, ce qui semble indiquer la préparation d’une opération d’une certaine envergure. En tout état de cause, le but de Jérusalem est bien connu : repousser les combattants du Hezbollah au-delà du fleuve Litani, à une quarantaine de kilomètres de la frontière, ce qui ne peut se faire qu’avec des forces importantes.

Cette nouvelle phase de la guerre qui a commencé le 8 octobre, au lendemain du pogrom, est un nouveau test pour Tsahal, une armée à laquelle le Liban n’a laissé que de mauvais souvenirs.

AFP

Une photo prise depuis le nord d’Israël, le long de la frontière avec le sud du Liban, le 30 septembre 2024, montre un incendie consécutif à un bombardement israélien sur une zone du sud du Liban. (Photo par Jalaa MAREY / AFP)

Le cauchemar de 2006 et la longue guerre de 1982

Lorsque les forces israéliennes avaient envahi leur voisin du nord en 2006, elles avaient connu de graves problèmes dès les premiers combats. Des semaines durant, les troupes s’étaient enlisées dans des affrontements avec les combattants du Hezbollah, à moins d’un kilomètre en territoire libanais. Les chars israéliens sautaient sur des mines ou étaient détruits par des missiles tirés à l’épaule : 121 soldats israéliens étaient morts en quelques jours.

L’armée israélienne n’était pas préparée à une opération terrestre d’envergure en 2006.

Le conflit de 34 jours, qui avait débuté le 12 juillet 2006 lorsque le Hezbollah avait mené un raid transfrontalier et capturé deux soldats, s’était achevé sur un constat de victoire des deux camps, en dépit des pertes considérables subies par les uns et par les autres. « L’armée israélienne n’était pas préparée à une opération terrestre d’envergure », avait déclaré, à l’époque, le Premier ministre israélien Ehud Olmert.

Dans une évaluation sévère de la campagne militaire israélienne, la « Commission Winograd », mise en place par le gouvernement affirmait que la décision d’entrer en guerre avait été prise à la hâte et que l’opération avait été mal planifiée. Selon la commission, il y a eu des lacunes dans les renseignements et une « grave occasion manquée » de porter un coup beaucoup plus dur au Hezbollah.

AFP

Un homme pleure les corps de ses proches devant le cimetière de la ville de Sidon, dans le sud du Liban, le 30 septembre 2024, alors que les familles se préparent aux funérailles des victimes de la frappe israélienne sur Ain El Delb. (Photo par Mahmoud ZAYYAT / AFP)

Nouvelle stratégie de Tsahal en 2024

Aujourd’hui, Tsahal et la communauté du renseignement semblent avoir assimilé les leçons du passé. Au cours des dix derniers jours, Israël a ciblé et paralysé l’infrastructure logistique et de communication du Hezbollah, détruit des entrepôts d’armes clés et tué ses principaux commandants, dont le chef de longue date du mouvement, Hassan Nasrallah.

Ce sera dur, ce sera difficile et ce sera sanglant pour toutes les parties. Ils ont plus d’armes, ils ont plus de missiles. Mais nous avons la capacité et les armes nécessaires pour rivaliser avec eux.

Ces attaques ont stupéfié le Hezbollah, humiliant un groupe dont la raison d’être est de combattre Israël. Mais elles sont aussi la preuve des années de préparation d’Israël, notamment en matière de collecte de renseignements, d’exercices militaires, de plans de bataille perfectionnés et de systèmes de défense aérienne à plusieurs niveaux.

Mais le Hezbollah aussi a tiré les leçons du passé. Il s’agit aujourd’hui d’une véritable armée avec un arsenal estimé à 150 000 roquettes et missiles. Inconnue de taille toutefois : quelles sont encore les capacités réelles d’une milice dont tous les dirigeants politiques et militaires de premier plan ont été éliminés ainsi que des milliers de combattants tués ou blessés.

Une opération difficile et sanglante

Malgré ces succès, Israël reste hanté par ses erreurs passées. Dans une interview récente, Ehud Olmert affirmait : « Ce sera dur, ce sera difficile et ce sera sanglant pour toutes les parties. Ils ont plus d’armes, ils ont plus de missiles. Mais nous avons la capacité et les armes nécessaires pour rivaliser avec eux ».

Autre inconnue de taille : comment réagiront les milices soutenues par l’Iran dans des pays voisins, tels que l’Irak, la Syrie et le Yémen. Et, bien entendu, que fera l’Iran ?  Selon Ehud Olmert, le conflit pourrait « rapidement se transformer en une guerre régionale totale, avec des missiles plus précis et encore plus lourds tirés sur les villes israéliennes ».

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L’ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert a pris place pour assister à une réunion lors de la Conférence de Munich sur la sécurité (MSC) à Munich, dans le sud de l’Allemagne, le 19 février 2023. (Photo par Odd ANDERSEN / AFP)

Sans surprise, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu se veut plus optimiste. « Nous assistons à ce qui semble être un tournant historique. Nous sommes en train de gagner. Nous sommes déterminés à frapper nos ennemis », martelait-il samedi dans un discours à la nation.

L’opération qui semble avoir commencé lundi soir est la quatrième invasion israélienne du Liban en cinquante ans. La plus importante, à l’été 1982, était déjà sensée être « limitée », aussi bien dans le temps que sur le terrain. Il s’agissait à l’époque de chasser l’OLP du sud du pays. A l’arrivée, l’occupation a duré vingt ans, a contribué à la naissance du Hezbollah et s’est terminée par une retraite sans gloire en 2000.

Une nouvelle stratégie et un renseignement au meilleur de sa forme

Mais la doctrine de Tsahal a changé. Au « fauchage de l’herbe » (une stratégie d’attrition qui implique des conflits répétés avec les forces ennemies afin de rétablir une dissuasion temporaire) a succédé en 2020, sous la conduite d’Aviv Kohavi, alors chef d’état-major, l’idée de rechercher une « victoire décisive ». L’actuel chef d’état-major, le lieutenant-général Herzi Halevi, ne disait pas autre chose, il y a quelques jours, lorsqu’il appelait les troupes opérant dans le nord à se préparer à une manœuvre terrestre dans le sud du Liban aux fins de « détruire de manière définitive » le Hezbollah.

Ce que vous voyez en ce moment, ce que vous voyez depuis deux semaines, est le résultat direct d’un plan de renseignement très soigneusement étudié sur les lieux.

Pour ce faire, le Mossad et Aman (le renseignement militaire) ont constitué une banque de données de milliers de cibles à atteindre dans n’importe quelle guerre. Et la semaine dernière, l’aviation israélienne a frappé 1.500 cibles en seulement 36 heures. Au cours des six premières heures de la campagne aérienne, les forces de défense israéliennes ont causé plus de dégâts au Hezbollah qu’au cours des 34 jours de la guerre de 2006, a déclaré le major Doron Spielman, porte-parole de l’armée. « Ce que vous voyez en ce moment, ce que vous voyez depuis deux semaines, est le résultat direct d’un plan de renseignement très soigneusement étudié sur les lieux où le Hezbollah prévoit de prendre Israël pour cible », a-t-il précisé.

Depuis des mois, le monde retenait son souffle et les diplomates européens, américains et arabes croyaient encore possible d’éviter la guerre. Mais désormais les dés sont lancés et roulent sur la table. Et nul ne peut dire où ils s’arrêteront.

Hugues Krasner


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