USA : le journaliste Dana Milbank décrit la « folie et le mensonge » chez les Républicains au Capitole
Dans son dernier livre, « Fools on the Hills », le journaliste américain et auteur à succès, Dana Milbank (Washington Post), s’immerge au cœur du Congrès des Etats-Unis pour exposer la « folie » qui gangrène la frange la plus conservatrice du Parti républicain. Réputé pour ses chroniques humoristiques, il reste fidèle à son style mordant et incisif pour nous dépeindre un lieu de pouvoir aux ambiances proches de la cour de récré. A travers des entretiens et des observations, il nous livre un portrait fascinant (et inquiétant ?) des coulisses du pouvoir à Washington. Rencontre.
Le journaliste du Washington Post a passé plus d’un an entre les murs du capitole pour « tenter de comprendre ». Comment les Etats-Unis ’Amérique ont-ils sombré dans ce chaos politique qu’il observe depuis le premier mandat de l’ex-président Donald Trump ? « Je voulais comprendre quel était ce gouffre dans lequel mon pays était en train de plonger », confie Dana Milbank lors d’une rencontre organisée par le quotidien, à laquelle L-Post a pu assister. « Là, c’est ce congrès singulièrement incompétent dont les membres sont tous plus ou moins enlisés dans la folie et le mensonge ».
Un Congrès improductif
C’est ce besoin de saisir les mécanismes de la dérive américaine qui a poussé Dana Milbank à plonger dans les arcanes du pouvoir, à Washington DC. « Vous seriez étonnés de voir que certains sénateurs sont incapables de faire leurs propres lacets. Et on attend d’eux qu’ils gouvernent un pays ? », observe-t-il.
L’auteur ne ménage pas ses mots et dépeint un Congrès cruellement stérile, englué dans une impitoyable inertie. « 70 lois adoptées en 18 mois ! Il pourrait bientôt devenir le Congrès le plus improductif depuis celui de 1859, soit la période de guerre civile ! », s’étonne-t-il.
Vous croyez connaître la folie ? Faites connaissance avec les Républicains de la Chambre !
Avant de s’engager dans une version plus étendue de son immersion au Capitole, Dana Milbank avait déjà frappé fort avec un article au titre évocateur : « Vous croyez connaître la folie ? Faites connaissance avec les Républicains de la Chambre ! ».
Le journaliste n’en revient pas. « Ce que j’y voyais était extraordinaire », se souvient-il. « Une candidate en Caroline du Nord disait à qui voulait l’entendre qu’elle frappait son mari à coup de réveil-matin, et qu’elle avait même tenté de l’écraser. Quelques minutes plus tard, elle mettait en garde ses confrères contre les lézards extraterrestres qui les poursuivaient. Un sénateur avait peint toute sa pelouse aux couleurs de Trump ! », rapport Dana Milbank.
Cela pourrait prêter à sourire, mais l’humour est souvent l’ultime rempart contre une réalité difficile à affronter. Ce qui préoccupe l’auteur, c’est l’expansion fulgurante d’un groupe autrefois marginal, devenu influent dès 2016. La House Freedom Caucus, cette faction ultraconservatrice du Parti républicain, incarne l’aile la plus extrême du parti. « Ce “Chaos caucus” comme certains Républicains l’ont appelé, s’est considérablement élargi », observe l’éditorialiste, soulignant qu’il n’existe aucune équivalence à gauche.
L’art de promouvoir des « lois sombres et destructrices »
Dans son ouvrage, Dana Milbank brosse le portrait d’un groupe de décideurs non seulement incapables de gouverner avec compétences, mais parfaitement habiles dans l’art de promouvoir des lois « sombres et destructrices pour notre nation ». Le spectre du nationalisme blanc, les théories racistes comme celle du grand remplacement imprègnent désormais les couloirs du Congrès. « Certains ont voté pour l’abolition du Département de l’Education et signé des lois visant à interdire l’avortement », s’inquiète-t-il encore.
Vous seriez étonnés de voir que certains sénateurs sont incapables de faire leurs propres lacets.
Au-delà d’une description sans fard de la vie au sein du Congrès, l’auteur espère éveiller les consciences sur le péril que représenterait un nouveau mandat républicain. « Sous un mandat démocrate, ces personnages radicaux ne représentent que des pilules empoisonnées qui ne contrôlent ni le sénat, ni la maison blanche ». Mais si le pouvoir revenait aux mains de Donald Trump, « beaucoup de ces idées parfaitement folles et dangereuses pourraient devenir une réalité. Nous pourrions passer des tirs d’entraînement aux tirs à balles réelles », redoute l’éditorialiste du Washington Post.
« La folie a envahi les républicains de la Chambre »
Dana Milbank est perçu par les Républicains comme un chroniqueur de gauche, prompt à fustiger la droite à chaque occasion. Néanmoins, la force de son livre réside moins dans ses critiques acerbes que dans l’accumulation implacable de preuves et d’observations. « La folie a envahi les Républicains de la Chambre, et les scènes auxquelles j’ai assisté, les preuves que j’ai collectées, les échanges, les dialogues, les disputes, les fake news, c’est un spectacle quotidien qui témoigne d’une véritable folie », précise-t-il.
On frappe, on se traite de Schtroumpf, on en vient aux mains. « Ils hurlent constamment des obscénités, toujours à deux doigts de s’en prendre à quelqu’un. Des injures aux attaques, sans discontinuer ». L’éditorialiste évoque également les faux CV, une pratique « assez courante » dans ce groupe ultraconservateur. « Un député – Andy Ogles – a fabriqué ses diplômes universitaires, inventé ses expériences de travail, monté de toute pièce l’histoire d’un parc commémoratif érigé pour les enfants. C’est vraiment n’importe quoi », poursuit-il.
La honte a disparu
Dana Milbank s’étonne lui-même de s’être finalement habitué à ce chaos quotidien. « C’est peut-être l’un des aspects les plus troublants de mon année au Capitole… il y a quelque chose dans la quantité de chaos qui la rend parfois plus facile à tolérer ».
Autre conclusion à son expérience immersive : « il n’y a plus de honte », nous dit-il. « A l’époque, un mensonge faisait scandale. Aujourd’hui, ils sont trop nombreux et les scandales ne suivent plus. L’ère Trump est l’ère d’une honte dysfonctionnelle ».
En entamant son travail d’investigation sur les coulisses du capitole, Dana Milbank pensait « s’attaquer à toutes les parties, car il y a de bonnes et de mauvaises personnes tant chez les Démocrates que chez les Républicains ». Un an plus tard, il revoit sa copie. « C’est toujours vrai, si ce n’est qu’un côté est complètement sorti des rails ».
Faire disparaître un tel système prendra du temps
Et la faute n’incombe, selon lui, pas uniquement à l’ancien président Donald Trump. « Comme je l’ai écrit dans mon précédent livre – The Destructionists -, les racines de la situation remontent à bien avant Trump. Cela fait des décennies que la radicalité gangrène le pouvoir, et il faudra probablement des décennies pour qu’elle disparaisse du système ».
A entendre et à lire Dana Milbank, on peut se demander s’il existe encore quelques Républicains « traditionnels » au sein de la Chambre. Question à laquelle le journaliste a tenté de répondre en distinguant les « crazies » (fous) de la « team normal » (normaux). Selon lui, un quart des Républicains peut être considéré comme traditionnels à la Chambre. « La véritable difficulté étant qu’ils ont peur de s’affirmer, car contredire la folie c’est accepter l’exclusion ».
Cela fait des décennies que la radicalité gangrène le pouvoir, et il faudra probablement des décennies pour qu’elle disparaisse du système.
Quant à l’issue des élections, le journaliste se montre assez pessimiste. Démocrate ou Républicain, « le scrutin de novembre ne calmera pas la situation, loin de là ». Donald Trump sera toujours contrarié. Il criera toujours au vol des élections par ses adversaires. « L’évacuation du poison demandera plus d’un cycle électoral », conclut-il.
Alors, Dana Milbank nous suggère de prendre une voiture, et d’aller à la campagne « pour respirer un air un peu plus frais ».
Catarina Letor (à New York)