Société

« Les armes 3D sont une aubaine pour les criminels de base et la Belgique n’est pas épargnée »


Le 10 septembre dernier, un journaliste du New York Times a mis à jour les liens qui unissent un créateur d’armes 3D mondialement connu et certains députés du parti de Donald Trump. En pleine campagne américaine pour la présidence du pays, ces révélations ont relancé le débat sur les armes en général et sur les armes 3D en particulier. Cette nouvelle enquête est réalisée avec le soutien du fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles et publiée sur le site du média numérique L-Post à raison d’un épisode par semaine. Elle a pour objectif premier de dresser un état des lieux le plus complet possible de la menace que représente la multiplication des armes imprimées, singulièrement en Belgique. Dans ce deuxième épisode, Julien Bal s’entretient avec Nils Duquet, directeur de l’Institut Flamand pour la Paix (Vlaams Vredesinstituut). Ils abordent la question des profils susceptibles de se procurer des armes imprimées ou partiellement imprimées aujourd’hui, notamment en Belgique.

Nils Duquet (N.D.) : A l’Institut flamand pour la paix, nous observons l’évolution du trafic d’armes à feu depuis de nombreuses années. Nous en analysons différents aspects et nous recensons les faits de violence armée à l’échelle européenne. Dans ce cadre, nous sommes particulièrement attentifs à ce qu’il se passe en ce moment avec les armes 3D. C’est un phénomène relativement nouveau, très différent des filières traditionnelles que nous connaissons, celle des armes en provenance d’ex-Yougoslavie encore actives aujourd’hui, celle des pistolets d’alarme qui pullulent en ce moment ou encore des armes réactivées en provenance de Slovaquie. Cela fait plus de dix ans qu’on entend parler des armes imprimées, mais pendant longtemps, le phénomène est resté circonscrit à l’Amérique du Nord. On n’observait pas de saisies d’armes de ce type en Europe. A un certain moment, il y a environ quatre ans, la technologie de l’impression 3D s’est mise à évoluer rapidement et les imprimantes sont devenues bon marché ; les plans pour fabriquer des armes ont envahi le net. Un basculement s’est produit et de nombreuses saisies se sont alors succédées. C’était pour nous un indicateur que les milieux criminels européens commençaient à comprendre que les armes imprimées pouvaient présenter quelques avantages par rapport aux armes traditionnelles. A titre d’exemple, nous sommes en train de boucler un rapport sur l’approvisionnement en armes dans les milieux d’extrême droite. Cette étude sortira fin novembre, et ce qu’on remarque déjà, dans ce cadre-là, c’est que les armes 3D jouent désormais un rôle prépondérant dans ces milieux.

Julien Bal (J. B.) : L’extrême droite radicale, celle qui potentiellement pourrait passer à l’acte avec des armes 3D, c’est également cette frange-là de la population européenne qui inquiète Europol en ce moment ? C’est en tout cas ce qu’on déduit de leurs récentes publications. Europol est même un peu plus précis, ses inspecteurs parlent d’un « danger accélérationnise » en Europe : des personnes qui souhaiteraient accentuer les difficultés et les clivages que nos sociétés rencontrent en ce moment. Pour parvenir à leurs fins, les armes 3D représenteraient une aubaine pour ces personnes. Pensez-vous que ce risque « accélérationniste » existe en Belgique, notamment de la Flandre ?

N. D. Oui, le risque existe aussi chez nous, c’est une probabilité, mais ça n’est pas le seul public qui pourrait avoir recours à des armes imprimées. Il faut voir les choses plus globalement. Pour l’instant, les armes 3D sont populaires chez certains amateurs d’armes. Aujourd’hui, la plupart des gens qui impriment des parmes 3D ne sont pas des criminels. Ils n’ont rien à voir avec ce milieu, ils ne sont pas nécessairement sensibles aux idées de droite radicale, encore moins à l’accélérationnisme. Ce sont juste des bricoleurs qui aiment bien fabriquer des armes. Le problème, c’est que certains criminels commencent aussi à s’informer sur ces nouvelles armes et à les considérer comme un moyen d’aboutir à leurs fins. Alors, pas n’importe quels profils de criminels évidemment. En Belgique et dans la plupart des pays européens, si vous êtes un criminel aguerri, haut placé dans la hiérarchie du crime, vous avez déjà accès à de vraies armes à feu. Les trafiquants de haut niveau, ceux qui sont impliqués dans le trafic de cocaïne à Anvers par exemple, ont accès à tous les types d’armes à feu. Ils ont le choix. Mais tous les criminels ne bénéficient pas du même accès aux armes. C’est un marché très fermé auquel ceux qui sont au bas de l’échelle du crime n’ont pas accès.

Pour Nils Duquet, le risque accélérationniste existe bel et bien en Belgique. DR, Cindy Mopalanga

J. B. : Donc, les professionnels du crime n’ont aucun besoin de se procurer des armes 3D ?

N. D. : Pas pour l’instant en tout cas. Ils ont facilement accès à des Kalashnikovs et à des Glocks, tout simplement parce qu’ils ont les connexions pour cela. Pas les dealers de rue par exemple. Ces derniers sont contraints d’attendre qu’une arme soit disponible ou de se contenter d’une offre très réduite d’armes à feu. C’est dans ce genre de cas que les armes 3D peuvent représenter une aubaine, pour les criminels de base. Cette technologie leur donne accès à des types d’armes auxquels ils n’avaient pas accès au départ. Les armes 3D sont donc des armes qui intéressent aussi le bas de l’échelle criminelle.

J. B. : Donc les petits délinquants, les jeunes, ceux qui n’ont pas les contacts nécessaires pour se procurer une arme à feu traditionnelle, au même titre que les extrémistes de droite (jeunes ou moins jeunes), sont les deux franges de la population susceptibles de se procurer massivement des armes 3D dans les prochaines années…

N. D. : Oui, mais dans ces deux cas de figure, la dynamique est légèrement différente. Dans les milieux de droite radicale, les armes 3D sont très prisées aussi pour des raisons idéologiques, pour l’origine libertarienne de ces armes. Il y a comme une fixation sur les armes 3D en ce moment, elles sont déjà très populaires au sein de ces groupes. Dans ces milieux, les armes circulent un peu plus facilement que dans la petite criminalité même si leur façon de se procurer des armes n’a rien à voir avec la grande criminalité ou les extrémistes islamistes par exemple. Comment les djihadistes se procurent leurs armes ? Via leurs contacts dans le monde criminel ; bien souvent du fait de leur propre passé criminel (braquages, trafic de drogue, etc…).

Les armes 3D sont donc des armes qui intéressent aussi le bas de l’échelle criminelle.

Dans les dossiers d’attentats djihadistes récents, on trouve systématiquement des liens avec les milieux criminels. Les extrémistes de droite n’ont pas les mêmes entrées. Leur connexion avec l’illégalité serait à la limite liée aux bandes de motards, et encore. Non, c’est via l’accès légal qu’ils se procurent des armes, tout simplement, mais également grâce à des contacts avec des soldats ou des agents de police. Viennent ensuite les armes imprimées. C’est un type d’arme extrêmement intéressant pour ces profils et très prisé en ce moment par ce type de public.

BELGA

L’arsenal de l’impression des armes 3D saisi lors des perquisitions à Leuven en janvier 2024 et présenté à la presse en février 2024. (BELGA PHOTO ERIC LALMAND).

J. B. : Ce sont les saisies récentes d’armes 3D qui vous ont permis de comprendre cela ?

N. D. : Oui. Les saisies récentes d’armes 3D permettent de comprendre que ces armes n’intéressent ni les criminels aguerris, ni les terroristes islamistes, mais plutôt trois catégories de personnes bien spécifiques : les amateurs d’armes, les petits délinquants et les extrémistes de droite.

J. B. : Quand je parle de ce phénomène avec certains spécialistes au sein de la police fédérale, on me dit qu’en Belgique il n’y a eu qu’une poignée de saisies. Il y a certes eu une affaire importante, le démantèlement d’un atelier clandestin à Louvain en janvier 2024, mais c’est une saisie dont ils ne peuvent pas parler à la presse, car l’affaire est « en cours ». Par ailleurs, les agents que j’ai pu interroger me disent que de toute façon, on ne peut enregistrer les armes 3D dans la nomenclature policière des armes saisies que depuis mars 2023. Il est donc fort probable que les armes saisies avant cette date n’aient tous simplement pas été comptabilisées. Je me demande comment vous, avec aussi peu d’informations disponibles, vous parvenez à tirer des conclusions aussi claires sur les profils des potentiels utilisateurs de ce type d’armes ?

N. D. : Les chiffres sont assez parlants à l’échelle européenne. Les armes 3D deviennent de plus en plus populaires. C’est le cas dans toute l’Europe, toujours à peu près selon la même évolution. Donc oui, en Belgique effectivement, on compte peu de saisies, mais elles s’inscrivent dans le Tsunami plus global qui est en train de déferler en ce moment. On est confronté aux armes 3D un peu partout en Europe, en Amérique du Nord, en Australie, au Myanmar. Il y a en parallèle toute une communauté qui travaille sur ce sujet et qui fait un recensement méticuleux de toutes les saisies, quand elles font l’objet d’un traitement médiatique. C’est par ce moyen-là qu’on peut croiser les informations et dresser un cadre à la fois plus général et plus précis. En ce qui concerne la Belgique, on compte une dizaine de saisies officielles, c’est vrai. Et c’est très peu. Il y a eu cette grosse affaire à Louvain à laquelle vous faites référence. Officiellement, c’est la première grosse affaire de ce type en Belgique, mais on sait qu’au moins deux cas semblables ont été investigués précédemment. A l’Institut Flamand pour la Paix, nous coopérons de façon très transparente avec la justice et avec la police. Clairement, les agents nous disent qu’ils sont confrontés de plus en plus fréquemment à des armes 3D sur le terrain. Il se passe quelque chose en ce moment, c’est très clair.


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