C’est après une course longue et serrée à la tête du parti conservateur britannique, qui a duré près de quatre mois, que Kemi Badenoch a été élue avec près de 57% des voix pour prendre la direction des Tories. Elle remplace Rishi Sunak. Bien qu’elle n’était pas la favorite des parlementaires conservateurs, elle a su gagner le cœur des membres du parti. En s’appuyant sur une ligne très à droite, elle espère pouvoir regagner du terrain auprès de l’électorat d’extrême droite, qui, lors des dernières élections de juillet 2024, s’était tourné vers le parti de Nigel Farage, Reform UK. Au-delà de Reform, Kemi Badenoch aura du pain sur la planche, puisqu’elle devra faire renaître de ses cendres son parti, évincé du pouvoir après 14 ans à la tête du pays. Cependant, beaucoup estiment déjà qu’elle n’arrivera pas à unifier un parti extrêmement divisé. Née au Royaume-Uni de parents d’origine nigériane, elle est la première femme noire à diriger un des principaux partis politiques du pays. C’est une femme aux convictions marquées très à droite qui ouvre une nouvelle ère chez les Tories. Reste à voir si elle sera plus longue que ses prédécesseurs.
En tant que dirigeante de parti conservateur, Kemi Badenoch (44 ans) va donc affronter le nouveau Premier ministre travailliste Keir Starmer au Parlement, remplaçant ainsi Rishi Sunak. Celui-ci a fait ses adieux en tant que leader de l’opposition vendredi 1er novembre 2024 au Parlement. Keir Starmer l’a remercié d’avoir incarné la diversité du peuple britannique en étant le premier Premier ministre d’origine asiatique. Il l’a taquiné en ajoutant : « Etant donné la vitesse à laquelle les leaders sont remplacés dans votre parti, ce n’est peut-être qu’un au revoir de courte durée ».
Kemi Badenoch est en effet la sixième directrice du parti conservateur en moins de neuf ans. Cependant, elle marque l’histoire en devenant la première femme noire à diriger l’un des principaux partis politiques britanniques.
Elue par les membres du parti
Kemi Badernoch a remporté ce samedi 2 novembre la victoire avec une large majorité de 53 806 voix contre 41 388 pour son adversaire, Robert Jenrick. Elle a ainsi été largement plébiscitée par les membres du parti conservateur, qui ont le dernier mot lorsqu’il s’agit de l’élection de leur leader.
Avant que le congé maternité n’existe, les gens avaient tout autant de bébés mais prenaient leurs responsabilités.
Jusqu’ici, ce sont les parlementaires conservateurs qui avaient choisi les six premiers candidats, éliminés progressivement ces quatre derniers mois. Kemi Badenoch, quant à elle, n’était pas populaire auprès des parlementaires, qui la trouvaient trop extrême et donc incapable d’attirer un électorat au-delà des membres du parti. De plus, ses positions tranchées la mettent souvent dans l’embarras et divisent le parti.
Elle a notamment provoqué un scandale lors de la conférence du parti conservateur en septembre 2024 avec ses propos sur le congé maternité. « Il coûte trop cher aux entreprises, il faut que les gens se responsabilisent. Avant que le congé maternité n’existe, les gens avaient tout autant de bébés mais prenaient leurs responsabilités », avait-elle déclaré.
Mais, elle s’est affichée comme la candidate « du cœur » pour les membres du parti et a su les séduire.
Mais, elle s’est affichée comme la candidate « du cœur » pour les membres du parti et a su les séduire. Lors de sa campagne, elle ne s’est attardée sur les mesures qu’elle souhaitait mettre en avant, elle s’est concentrée sur la « redéfinition des valeurs du parti conservateur ».
Reconstruire et renouveler le parti conservateur
Il est probable qu’un changement de direction politique soit à prévoir de la part des conservateurs britanniques, qui doivent se réinventer face aux travaillistes, victorieux lors des dernières élections. Les conservateurs n’avaient alors obtenu que 24 % des voix et 121 sièges au Parlement.
Face à un parti travailliste tout-puissant, ils vont devoir travailler dur et se réinventer pour espérer regagner la confiance des Britanniques. Le parti doit également faire face à une diminution exponentielle de ses membres, ayant vu ses adhésions chuter à un niveau historiquement bas, avec 132 000 membres encartés. Le parti a perdu 40 000 adhérents depuis 2022.
Nous devons reconnaître que nous avons fait des erreurs. Le temps est venu de dire la vérité, de défendre nos principes, de repenser notre politique et notre façon de penser, et de donner à notre parti et à notre pays le nouveau départ qu’ils méritent.
Kemi Badenoch a voulu être claire. « Nous devons reconnaître que nous avons fait des erreurs. Le temps est venu de dire la vérité, de défendre nos principes, (…) de repenser notre politique et notre façon de penser, et de donner à notre parti et à notre pays le nouveau départ qu’ils méritent », a-t-elle précisé devant les responsables des Tories à l’annonce de sa victoire.
Son adversaire Robert Jenrick n’a pas commenté sa défaite, mais a appelé le parti conservateur à se rassembler autour de Kemi Badenoch pour « faire face à ce gouvernement travailliste désastreux ».
Une lourde tâche attend donc la nouvelle patronne au sein de son parti. Elle annoncera son cabinet de l’ombre d’ici mercredi 6 novembre 2024, qui devrait inclure les autres candidats qu’elle a affrontés lors de la course à la direction du parti. Ce gouvernement de l’ombre (shadow cabinet), dans le système britannique, implique que le leader de l’opposition forme un cabinet pour contrer les ministres du gouvernement en place. Ces nominations seront donc un indicateur de la direction politique que prendra le parti conservateur dans les prochaines années.
Mercredi marquera aussi le premier face-à-face entre Kemi Badenoch et Keir Starmer, il s’annonce corsé, car le Parlement examine actuellement le budget du Gouvernement travailliste.
Qui est Kemi Badenoch ?
Dans la classe politique britannique, tout le monde s’accorde à dire que la nomination de Kemi Badenoch à la tête du parti conservateur est un moment historique, puisqu’elle devient la première femme noire à occuper ce poste.
La femme de 44 ans a servi dans plusieurs ministères sous plusieurs Premiers ministres. Elle fut d’abord ministre du Commerce international sous Liz Truss, puis ministre de l’Egalité homme-femme et ensuite ministre de la Chambre des commerces sous Rishi Sunak.
L’arrivée de la première dirigeante noire à la tête d’un parti à Westminster est un moment de fierté pour notre pays. J’ai hâte de travailler avec vous et votre parti dans l’intérêt du peuple britannique.
Après une carrière dans l’informatique et la finance, l’ingénieure de formation est élue députée en 2017, connaissant une ascension fulgurante au sein du parti. Elle s’est rapidement démarquée par ses positions très à droite, notamment en matière de politique sociale. Elle affirme vouloir mener une guerre contre « l’idéologie woke » et a souvent critiqué la communauté LGBT.
Elle s’oppose donc à une frange plus progressiste du parti, représentée notamment par l’ancien Premier ministre David Cameron en 2010, qui avait fait passer la loi pour le mariage pour tous.
Elle est également très à droite sur la question de l’immigration et considère que le plan du Rwanda, visant à envoyer des migrants illégaux dans ce pays, n’est pas suffisant.
Une élection saluée par ses pairs
Ayant grandi au Nigeria, elle se dit fermement opposée à l’idée du socialisme, qu’elle juge inefficace. Elle se décrit comme une libertarienne à l’américaine, fière de ses droits et de ses libertés individuelles.
Elle a été félicitée par l’ensemble de la classe politique, qui salue le plafond de verre qu’elle vient de briser. « C’est avec clarté et courage que Kemi va diriger le parti », a réagi l’ancien Premier ministre, Boris Johnson, sur le réseau X (ex-Twitter).
Le Premier ministre Keir Starmer l’a également félicitée sur X, déclarant : « L’arrivée de la première dirigeante noire à la tête d’un parti à Westminster est un moment de fierté pour notre pays. J’ai hâte de travailler avec vous et votre parti dans l’intérêt du peuple britannique ».
L’accueil n’a cependant pas été chaleureux de tous les côtés, la directrice adjointe du parti travailliste, Ellie Reeves. « Le parti conservateur n’a rien appris depuis sa défaite historique de juillet dernier », a-t-elle écrit sur X.
Des batailles féroces sont donc à prévoir entre Kemi Badenoch et Keir Starmer au sein de Westminster, les deux partis n’ayant jamais été aussi opposés idéologiquement.
Léna Job (à Londres)
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