Nouvelles filières du trafic d’armes : « Wait and see » belge sur la question des armes 3D
En Belgique, en matière de trafic d’armes à feu, on regarde poindre au loin les Tsunamis en attendant qu’ils se rapprochent. Il est vrai que les fusillades en région bruxelloise s’espacent un peu en ce moment. Il est vrai que la dernière saisie importante d’armes 3D remonte à janvier 2024, que c’était en Flandre et que le chef de l’atelier perquisitionné était un Français traqué par la police de son pays. Il est vrai par ailleurs que très peu d’armes en provenance d’Ukraine ont été saisies en Europe depuis deux ans et demi. « Et pourtant, et pourtant », comme dit la chanson de Charles Aznavour…
En Belgique, les policiers peuvent enregistrer les armes qu’ils saisissent comme des armes 3D (s’ils constatent que tel est effectivement le cas) dans une banque de données commune depuis mars 2023. Mais dans les faits, peu d’agents le font avec précision, faute de temps, par manque de formation et parfois par habitude.
Les armes en plastique confisquées sont le plus souvent enregistrées par les agents comme des « objets » saisis, non comme des armes.
En Belgique, les agents de police ne sont généralement pas en mesure de différencier formellement un inoffensif airgun (carabine à air comprimé utilisée comme moyen de menace dans de nombreux braquages) et une arme imprimée en 3D qui tire à balles réelles et qui peut tuer. Faute de temps, faute de moyens, faute de volonté politique, on en reste là.
Manque de données fiables sur les armes 3D
Les armes en plastique confisquées sont le plus souvent enregistrées par les agents comme des « objets » saisis, non comme des armes, et tant pis si dans le lot des armes 3D passent à la trappe. En conséquence, le manque de données fiables à ce sujet empêche de prendre réellement conscience du phénomène en Belgique et de fournir des informations précises et fiables à nos voisins européens.
Une récente étude de l’école militaire de West Point (USA) a révélé que la Belgique se place en cinquième position dans le classement mondial des pays où extrémisme politique et production d’armes 3D sont liés. Il aura fallu attendre qu’on l’écrive noir sur blanc de l’autre côté de l’Atlantique pour s’en rendre compte en Belgique, et ça n’est pas rassurant.
La loi belge sur les armes est gravée dans le marbre
En Belgique, on ne touche pas à la loi sur les armes (c’est ce qu’ont déclaré de concert les ministres de la Vivaldi en leur temps). Et pour cause, cette loi est un brol complexe et flou, elle mérite donc d’être revue da capo…
Face à l’émergence de nouveaux types d’armes, comme les armes 3D, on ne changera pas la loi, c’est dit, mais on attend patiemment que la jurisprudence se constitue à ce sujet. Problème, comme les juges ont tendance à poursuivre les justiciables pour d’autres infractions concomitantes, plus clairement définies par la loi que la possession d’armes 3D ou de plans pour les fabriquer, la jurisprudence au sujet des armes 3D ne se fait pas, l’ampleur du phénomène est peu connue et rien ne bouge. Mais jusqu’ici tout va bien…
Face à l’émergence de nouveaux types d’armes, comme les armes 3D, on ne changera pas la loi, c’est dit, mais on attend patiemment que la jurisprudence se constitue à ce sujet.
Le phénomène des armes partiellement ou principalement manufacturées n’inquiète donc pas outre mesure les autorités Belges. C’est pourtant un phénomène qui pousse Europol à tirer bruyamment la sonnette d’alarme depuis deux ans tandis que le président américain sortant Joe Biden vient de signer in extremis un décret sur les armes 3D, en guise de testament politique.
Les développements futurs des armes 3D
Les armes imprimées, dont les plans circulent en ligne sans restriction désormais, sont de plus en plus élaborées, leurs cadences de tir les rapprochent des armes traditionnelles. Par ailleurs, l’arrivée sur le marché d’imprimantes à métal leur confèrera bientôt une résistance comparable à celle des armes classiques et numérotées qui sont, elles, traçables.
Les armes 3D nécessitent du temps et du savoir-faire pour les fabriquer. Il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour les concevoir. Mais ce savoir-faire est présent en Belgique et l’émergence d’ateliers clandestins visant à inonder le marché parallèle d’armes « low cost » est une réalité qu’on ne peut plus nier.
La Belgique a ses priorités
La Belgique a d’autres motifs d’inquiétude. Entre l’antiterrorisme et le renseignement, elle passe son temps à déshabiller l’un pour habiller l’autre. Et si la menace que représentent les armes 3D n’était pas sans lien avec ces services ?
Jusqu’à présent, les armes 3D n’intéressaient pas les groupes djihadistes désireux de commettre des actes violents. Or, selon l’OCAM, c’est la menace de type terroriste islamiste qui reste (et de loin) la plus élevée en Belgique. La Belgique a donc raison de se focaliser tant que possible sur ces filières-là et sur leurs moyens d’action.
Mais les filières djihadistes ne risquent-elles pas sous peu de garnir leurs arsenaux d’armes, comme les milieux de droite extrême enrichissent les leurs en ce moment, notamment avec des armes 3D ? C’est le scénario hélas le plus probable.
La Belgique ne voit pas venir ces phénomènes, elle ne s’y répare pas (ou peu), prise dans sa brume sous son ciel bas.
Un premier cas de projet d’attentat djihadiste impliquant des armes 3D vient d’être jugé au Royaume-Uni, par la Cour de Kingston Crown, le 12 octobre 2024. Ce milieu, tout comme la délinquance de rue, est certainement en train de comprendre l’aubaine que représentent les armes imprimées, peu coûteuses et intraçables.
Les phénomènes de délinquance armée s’annoncent en général outre-Manche pour nous parvenir quelques années plus tard, comme un écho. Souvent pourtant, la Belgique ne voit pas venir ces phénomènes, elle ne s’y répare pas (ou peu), prise dans sa brume sous son ciel bas.
Une autre filière en sommeil
A l’autre bout du spectre du trafic illégal d’armes à feu, il y a les armes conventionnelles en provenance d’Ukraine. Pour le moment, on n’observe pas de trafic massif d’armes en provenance de ce pays vers le reste de l’Europe. Quelques-unes ont émergé récemment, emportées par des ressortissants ukrainiens qui migraient en Europe, mais le phénomène demeure anecdotique.
Tant que la guerre fait rage en Ukraine, les armes sont utiles et restent là-bas. Le trafic viendra certainement après la guerre. Pas dans l’immédiat, mais quand de « bons pères de familles » se retrouveront avec quatre armes sur les bras. Quand le conflit sera gelé, ils seront certainement tentés d’en vendre une ou deux, à la sauvette. Rappelons que pendant longtemps l’Ukraine a été un hub important du trafic mondial d’armes à feu et que ces filières pourraient se réactiver en quelques mois.
La grande peur des autorités européennes et des spécialistes de la question actuellement, c’est de voir dans cinq à dix ans des armes en provenance d’Ukraine inonder massivement les marchés parallèles.
A titre de comparaison, cela fait presque trente ans que le conflit en Ex-Yougoslavie a pris fin et en termes de trafic d’armes à feu, on en ressent encore l’héritage aujourd’hui. La grande peur des autorités européennes et des spécialistes de la question actuellement, c’est de voir dans cinq à dix ans des armes en provenance d’Ukraine, relativement neuves, inonder massivement les marchés parallèles, aussi et surtout en Belgique (plaque tournant de trafic d’armes en Europe, faut-il le rappeler ?).
Un cocktail détonnant
Si vous ajoutez à cette potentialité une diffusion de plus en plus importante d’armes 3D métalliques, produite dans des ateliers clandestins, le risque pour notre société deviendrait colossal. Armes 3D en métal et armes en provenance d’Ukraine, c’est le cocktail explosif qui nous attend demain.
Avons-nous vraiment envie d’attendre que les armes pullulent en Belgique demain encore plus qu’aujourd’hui pour réagir ? Devons-nous attendre que les fusillades urbaines ressemblent de plus en plus à des guerres pour prendre la mesure de ce double phénomène ? Faut-il attendre que des ateliers clandestins de fabrication d’armes voient le jour un peu partout en Belgique pour agir ?
Pour que la Belgique joue son rôle et fournisse des données fiables à ses partenaires européens, elle ne doit pas se voiler la face comme elle le fait souvent à ces sujets.
Qu’en diront les ministres de l’Intérieur et de la Justice de l’Arizona bientôt nommés ? Rien, probablement, avant le premier fait-divers impliquant des armes 3D ou des armes en provenance d’Ukraine.
Il est ici question de phénomènes complexes et internationalisés. Mais pour que la Belgique joue son rôle et fournisse des données fiables à ses partenaires européens, elle ne doit pas se voiler la face comme elle le fait souvent à ces sujets.
La sécurité à bras le corps : une volonté politique en Belgique ?
Après une campagne électorale conduite par ses vainqueurs notamment sur les questions sécuritaires, ces mêmes vainqueurs (MR, Les Engagés, N-VA) auront-ils le courage politique et les moyens d’agir concrètement sur la formation des policiers, sur le sous-financement de la police ou de la justice et sur les termes terriblement imprécis de la loi sur les armes ? À ces sujets, le jeu dangereux du « Wait and see » ne devrait plus être une spécialité belge. Mais il y a fort à parier qu’il le restera…
Julien Bal