Le match Ajax-Maccabi/Tel Aviv a donné lieu, jeudi soir, 7 novembre 2024, à des scènes d’une extrême violence en plein centre d’Amsterdam. Si on a pu croire, un moment à de « simples » et banals affrontement entre hooligans supportant les deux clubs, les informations qui se sont accumulées tout au long de la journée de vendredi éclairent les faits d’une lumière bien plus sinistre : il s’agit bel et bien d’une « chasse aux Juifs » qui s’est déroulée au cœur de l’Europe. L’émotion est immense aux Pays-Bas, mais également dans le reste du monde.
Les images parlent d’elles-mêmes. A Amsterdam, dans la nuit de jeudi à vendredi, des hommes ont été poursuivis par des groupes haineux et vociférant. Ils ont été jetés au sol, frappés à coup de poings et de pieds, sommés, sous la menace de la poursuite du passage à tabac, de crier « Free Palestine ». L’une des victimes au moins a été jetée dans un canal et empêchée, pendant de longues minutes, d’en sortir. D’autres ont fait l’objet de tentatives d’écrasement par des voitures-béliers.
Les agresseurs agissaient par petites grappes, très mobiles, parfaitement coordonnées avec des messagers qui allaient d’un groupe à l’autre en scooter pour distribuer les consignes.
Les agresseurs agissaient par petites grappes, très mobiles, parfaitement coordonnées avec des messagers qui allaient d’un groupe à l’autre en scooter pour distribuer les consignes. Il s’agissait de véritables commandos, beaucoup des casseurs étaient masqués, certains brandissaient des bâtons, voire des couteaux. Des hôtels ont été visés par des mortiers. Le bilan n’est pas encore officiel, mais il y aurait entre 5 et 10 blessés hospitalisés, deux ou trois victimes n’ont plus donné signe de vie depuis près de vingt-quatre heures.
Pour la cheffe de la police, « Des violences horribles et inacceptables »
Autour du Dam, la grande place qui est un peu le cœur battant d’Amsterdam, ce sont de véritables scènes de lynchage auxquelles on a assisté. Ou plus exactement à un pogrom, le premier en Europe depuis la Shoa. Car toutes les victimes étaient juives et attaquées pour cette unique raison. Won Yip, un hôtelier qui possède, sur le Dam, trois établissements qui accueillaient un millier de supporters du du club de foot, Maccabi, a assisté à tout depuis son bureau et a fait fermer toutes les issues de ses hôtels pour protéger ses clients. Il témoignait, vendredi matin, dans les colonnes du Telegraaf, un grand quotidien hollandais : « Il y a des matches où l’on démolit pour démolir, mais là, il s’agissait exclusivement d’une chasse aux supporters israéliens, aux Juifs ». Vendredi midi, Janny Knol, la cheffe de la police d’Amsterdam le confirmait dans un post sur « X » : les violences « horribles et inacceptables » de jeudi soir étaient bien des « actes antisémites ».
Il y a des matches où l’on démolit pour démolir, mais là, il s’agissait exclusivement d’une chasse aux supporters israéliens, aux Juifs.
Ceux qui avaient tenté de minimiser l’affaire en la faisant passer pour ce qu’elle n’était pas – une série de rixes entre supporters de clubs rivaux – changeaient alors de discours, reconnaissant que les Israéliens avaient été particulièrement visés. Mais, expliquaient-ils sur les réseaux sociaux, c’était une « réaction spontanée » : des « jeunes » avaient été scandalisés par les excès de supporters israéliens qui avaient arraché des drapeaux palestiniens de certaines façades, proféré des insultes ou porté des coups. Bref, les victimes l’avaient bien cherché…
La préméditation est évidente
Si ces actes sont évidemment répréhensibles, la thèse de la flambée de colère n’a pas tenu longtemps. Car les exactions de jeudi sont tout sauf « spontanées ». Des messages échangés dès mardi et mercredi – c’est-à-dire 24 à 48 heures avait les faits – sur des listes « pro-palestiniennes », sur Telegram, évoquaient la nécessité « d’accueillir » les Israéliens comme il se doit et appelaient à des rassemblements.
Les groupes activistes « free.palestine.nl » et « Week.4PalestineNL » ont été particulièrement actifs dans ces incitations à la mobilisation. Par ailleurs, la police a fait savoir qu’elle enquêtait sur la complicité de….chauffeurs de taxis, certains ayant délibérément déposé des Israéliens à proximité de groupes d’agresseurs et d’autres ayant refusé de les embarquer alors qu’ils fuyaient les lieux des violences. Autre signe de préméditation. Le modus operandi des voyous, tel que nous l’avons évoqué ci-dessus (l’action en petits commandos, la grande mobilité, les attaques simultanées en divers lieux, etc.) laisse d’ailleurs peu de place au doute.
D’ailleurs, la maire d’Amsterdam, Femke Halsema (écologiste), annonçait en début d’après-midi, ce vendredi 8 novembre, qu’une enquête indépendante aurait lieu pour s’intéresser « aux incidents, à leur préparation, et à la réponse des autorités ». S’il est nécessaire d’enquêter sur la « préparation » des agressions, c’est bien qu’il y a eu préméditation.
La réaction de la police pose question
Autre chose encore interroge dans ces évènements dramatiques : les autorités avaient été prévenues (entre autres par les services israéliens) des risques d’attaque contre des citoyens de l’Etat juif. Pour autant, et bien que les responsables s’en défendent, le dispositif de sécurité a, manifestement, été sous-dimensionné. La réaction des forces de l’ordre, si elle a fini par être forte et s’est conclue par des dizaines d’interpellations, a été particulièrement lente. A L’hôtel Marriott, par exemple, les unités anti-émeutes ont mis trois heures à venir dégager ceux qui y étaient assiégés. Il faudra savoir pourquoi.
Cette attitude rappelle qu’il y a quelques semaines, la direction de la police hollandaise et des syndicats de policiers s’étaient émus du fait que certains de leurs collègues refusaient depuis des mois, « pour des raisons morales » de protéger des évènements ou des lieux liés à la communauté juive.
Plus grave, les nombreuses vidéos amateures qui circulent depuis jeudi soir montrent des véhicules de police passer à quelques mètres de scènes de tabassage sans intervenir. Certes on peut argumenter que des équipages de deux ou hommes ne pouvaient intervenir sans risques face à des groupes d’une quinzaine d’émeutiers violents. Mais ils pouvaient au moins enclencher les sirènes et les « bleus » de leurs voitures, ce qui aurait pu avoir un effet dissuasif. Cela n’a pas été le cas….
Cette attitude rappelle qu’il y a quelques semaines, la direction de la police hollandaise et des syndicats de policiers s’étaient émus du fait que certains de leurs collègues refusaient depuis des mois, « pour des raisons morales » de protéger des évènements (conférences, cérémonies) ou des lieux (synagogues, musée juif, Maison d’Anne Frank) liés à la communauté juive. Peut-être est-il temps d’enquêter en profondeur sur l’infiltration de la police par des éléments extrémistes et de prendre les mesures qui s’imposent.
Dans le monde, condamnations unanimes
En Israël, le choc a été terrible. Le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, a déclaré qu’il enverrait deux avions aux Pays-Bas pour en évacuer des Israéliens, mais il s’est ravisé quand l’ordre a été rétabli. L’armée israélienne a, cependant, interdit au personnel militaire de se rendre aux Pays-Bas.
Mais la vague d’émotion a largement dépassé les frontières de l’Etat juif. Dans un message publié ce vendredi sur « X », le Président français, Emmanuel Macron a condamné des violences qui rappellent « les heures les plus indignes de l’Histoire », tandis que son homologue américain sortant, Joe Biden, évoquait des « attaques antisémites méprisables et faisant écho à des moments sombres de l’histoire où les juifs ont été persécutés » et que le chancelier Olaf Scholtz déclarait « Celui qui attaque des Juifs nous attaque tous ».
Amsterdam se souvient d’une nuit noire et même aujourd’hui, il fait encore nuit. Notre ville est profondément abimée, notre vie et notre culture juive sont menacées.
Mais c’est des Pays-Bas que sont venues les déclarations les plus fortes, peut-être parce que ce pogrom s’est déroulé dans la ville d’Anne Frank et à quelques centaines de mètres de la maison où sa famille se cacha dans l’espoir vain d’échapper aux Nazis. « Amsterdam se souvient d’une nuit noire et même aujourd’hui, il fait encore nuit. Notre ville est profondément abimée, notre vie et notre culture juive sont menacées. La guerre au Moyen-Orient menace également notre ville… », a indiqué la maire d’Amsterdam.
Le Roi Willem-Alexander lui-même s’est exprimé, en termes d’une haute tenue et en exprimant son profond dégoût : « Nous avons failli envers la communauté juive pendant la Seconde Guerre mondiale, et la nuit dernière, nous avons failli à nouveau ».
Hugues Krasner
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