MILLE JOURS APRES L'INVASION DE L'UKRAINE (1)

Pour Natalia Anoshyna, chargée d’affaires de l’Ukraine en Belgique, son pays veut une paix rapide et durable après 1.000 jours de combats

Chargée d'affaires de l'Ukraine en Belgique et au Grand-Duché de Luxembourg, Natalia Anoshyna demande à l'Europe d'aider son pays et sa population à affronter l'hiver. LPost / Philippe BOURGUET

Ce mardi 19 novembre 2024, la guerre en Ukraine, déclenchée par l’invasion russe a passé un cap : cela fait 1.000 jours que le conflit dure. Et pour les Ukrainiens, il s’agit d’un triste anniversaire, alors que les combats font rage sur le front et qu’un règlement du conflit tarde à venir. Chargée d’affaires à l’Ukraine auprès du Royaume de Belgique et du Grand-Duché de Luxembourg, Natalia Anoshyna nous reçoit au siège de l’ambassade ukrainienne à Uccle (Bruxelles), vendredi 15 novembre en fin de journée. Elle estime que la Russie doit payer pour les dégâts causés et exige le retour de l’Ukraine dans ses frontières de 1991, comprenant notamment la Crimée. Elle demande le soutien des Européens pour aider son pays à affronter l’hiver et rappelle que les Etats-Unis sont un partenaire stratégique de l’Ukraine. Par conséquent, elle plaide donc pour un dialogue compréhensif avec Donald Trump. Voici la première partie de l’entretien qu’elle a accordé à L-Post.

Avec le photographe, nous sommes accompagnés par celui qui nous a organisé l’entretien, le philosophe Daniel Salvatore Schiffer. Il faut montrer pattes blanches pour entrer dans le bâtiment flanqué de caméras de surveillance. L’accueil est sobre. La maîtresse des lieux nous reçoit, tout habillée d’une robe noire, arborant une chaîne prolongée de deux pendentifs aux couleurs de l’Ukraine autour du cou. C’est le dress code convenu avec les dirigeants « pour commémorer ce triste anniversaire des 1.000 jours de l’agression de notre pays par la Russie », explique Natalia Anoshyna.

Je voudrais adresser quelques mots de gratitude à la Belgique et au peuple belge qui nous ont aidés et nous ont apporté un soutien solide dès le premier jour de l’agression russe à grande échelle.

Elle tente de faire bonne figure, mais l’émotion est palpable dans sa voix et dans ses yeux. « Je voudrais d’abord commencer par quelques mots de gratitude envers la Belgique et le peuple belge qui nous ont aidés et nous ont apporté un soutien solide dès le premier jour de l’agression russe à grande échelle. Le 19 novembre, nous célébrerons les 1000 jours de la résistance des Ukrainiens, du courage des Ukrainiens dans la lutte contre les occupants russes. C’est trop. Beaucoup de gens rêvent de paix dans notre pays, mais ce qui est important pour nous, c’est une paix juste, une vraie paix durable. Et la victoire de l’Ukraine est importante pour nous », entame la chargée d’affaires.

Réaction faible et naïve de la Communauté internationale

Cela fait près de trois ans qu’elle assure la représentation et défend la cause de son pays en guerre auprès des autorités belges et luxembourgeoises. Au-delà de l’invasion russe qui remonte à un peu plus de 32 mois, elle rappelle que l’intégrité territoriale de son pays est violée depuis que la Russie a lancée une offensive d’occupation sur la Crimée en février 2014. « Cela fait 10 ans que la Russie occupe illégalement, non seulement la Crimée mais aussi des régions du Donbass, Donetsk et Luhansk. C’est un très long chemin. Malheureusement, en 2014, la réaction de la Communauté internationale a été très faible et naïve. Si la réaction avait été plus forte, nous n’aurions jamais eu l’invasion du 24 février 2022. Je suis sincèrement reconnaissante envers nos courageux défenseurs ukrainiens, grâce à eux, nous sommes en vie ; grâce à eux, nous avons un pays et grâce à eux, nous nous dirigeons vers la victoire de l’Ukraine. Ils sont un exemple pour de nombreux pays et démontrent la nécessité de combattre pour son propre pays », poursuit Natalia Anoshyna.

Docteure en droit de l’Académie juridique de Kharkiv et diplômée de l’Académie de diplomatie de Kyiv, elle rend aussi hommage aux combattants étrangers qui sont venus aider le peuple ukrainien dans sa riposte contre l’envahisseur russe. Pour elle, cette guerre va au-delà de la défense des frontières de l’Ukraine. C’est une guerre pour défendre l’existence du peuple ukrainien, son identité, sa langue, ses traditions et sa culture. « Nous voulons être Ukrainiens sur notre territoire ukrainien, sous ciel paisible. Nous ne bradons pas notre territoire », souligne-t-elle.

bePress Photo Agency / Hervé Le

Les dégâts causés par les bombardements russes sont importants et l’hiver risque d’être rude pour la population ukrainienne. (Photo Hervé LEQUEUX / bePress Photo Agency / bppa.be).

Des aides pour affronter l’hiver rude

La voix de notre hôte du jour est calme, sans agressivité, mais ferme. A la question de savoir ce que souhaite l’Ukraine auprès de ses partenaires, la réponse de Natalia Anoshyna fuse avec force et conviction. « Nous voulons disposer de suffisamment d’armes pour protéger notre pays, avoir de l’artillerie, de systèmes de protection aérien et toutes les armes nécessaires dont nous avons besoin. Nous observons des programmes d’aide militaire à l’Ukraine, mais très souvent, les livraisons arrivent avec retard. Et cela joue en faveur des Russes qui ont le temps pour acheter des drones iraniens, de nouveau missiles nord-coréens et maintenant d’attirer des soldats nord-coréens. Or, le temps joue contre nous et nous perdons des territoires », répond la chargée d’affaires qui fait office d’ambassadrice auprès du Belux.

Nous approchons de la saison hivernale et l’ennemi détruit presque toutes les installations énergétiques, le secteur énergétique.

Elle interrompt une poignée de secondes pour boire quelques gorgées d’eau. Elle rappelle que chaque jour, des bombardements visent les régions et les villes de Kharkiv, Soumy, Zaporizhzhia et d’Odessa. « Hier encore (jeudi 14 novembre, ndlr), nous avons subi une terrible attaque contre Odessa, Mykolaïv, la région de Kherson et celle de Tchernihiv », déplore-t-elle.

Elle observe que la situation est critique sur le terrain des affrontements. Et l’hiver qui approche risque de faire des dégâts au-delà des victimes causées par les bombardements et les assauts militaires. « Parfois, nous assistons également à des bombardements sur la partie occidentale de l’Ukraine. C’est donc tout le territoire de l’Ukraine qui est en danger. Nous approchons de la saison hivernale et l’ennemi détruit presque toutes les installations énergétiques, le secteur énergétique. C’est pourquoi il est également important pour nous d’avoir un fort soutien de la communauté internationale pour survivre pendant cet hiver. C’est notre priorité. Nous perdons chaque jour des nôtres sur le champ de bataille. Nous ne voulons pas perdre nos compatriotes à cause de l’hiver », dit-elle d’une voix forte.

Le soutien des USA est nécessaire

Que pense-t-elle du soutien international dont bénéfice son pays depuis le début de l’offensive russe ? Serait-il insuffisant ? « Lorsque l’Ukraine gagnera, cela signifiera que c’est suffisant. Avant la victoire de l’Ukraine, c’est insuffisant », martèle Natalia Anoshyna.

Nous sommes pour un dialogue compréhensif et à part entière. Pas juste avant les élections ou après et des entretiens téléphoniques. Nous voulons également un arrêt rapide de la guerre.

Redoute-t-elle l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, à l’instar de certains observateurs ? « C’est un choix du peuple américain et nous le respectons. Juste avant les élections, il y a eu un dialogue entre notre président Volodymyr Zelensky et Donald Trump. Après les résultats du scrutin, notre président a été parmi les premiers dirigeants à féliciter M. Trump pour sa victoire. Le président ukrainien a également eu une conversation téléphonique avec M. Trump il y a quelques jours. Les Etats-Unis d’Amérique sont notre partenaire stratégique. Bien entendu, nous comptons sur le soutien des Etats-Unis. C’est très important pour nous. Nous espérons que le dialogue sera fructueux entre nos dirigeants. Nous sommes pour un dialogue compréhensif et à part entière. Pas juste avant les élections ou après et des entretiens téléphoniques. Nous voulons également un arrêt rapide de la guerre. Nous sommes ceux qui souhaitent mettre un terme à la guerre. Mais ce n’est pas l’Ukraine qui doit payer. C’est l’agresseur qui doit payer. Ce n’est donc pas au détriment de l’Ukraine qu’il faut arrêter la guerre. Nous nous battrons pour notre indépendance. Nous nous battrons pour notre souveraineté. Nous luttons pour les valeurs démocratiques qui sont les mêmes que celles des Américains », assure Natalia Anoshyna.

Entretien: Philippe Lawson