Opinion

Le CPAS d’Anderlecht, un très opaque écran de fumée


Toute l’agitation qui se développe autour du CPAS d’Anderlecht ne devrait quand même pas faire impunément offense à la logique. Nous nous trouvons en effet devant des « raisonnements » plutôt scabreux : que des agents aient pu être piégés n’autorise pas à généraliser et à affirmer en toute vérité avérée que les procédures ne sont jamais respectées du fait d’un clientélisme local et encore moins que nous avons affaire à une fraude sociale de grande ampleur (imputable cette fois aux bénéficiaires ?).

Certes l’âpreté de la lutte politique à la suite des élections communales peut – peut-être – aider à comprendre comment de tels enchaînements illogiques peuvent être proposés comme clés de lecture aux citoyens ; mais à force de situer la lutte politique en-dessous de la ceinture, il ne faudra pas s’étonner que les citoyens ne croient plus en la capacité de celles et ceux qui les représentent à le faire avec une hauteur de vues suffisante.

Mais l’essentiel est encore ailleurs : il s’agit d’analyser le très opaque écran de fumée qui recouvre la réalité de l’aide sociale aujourd’hui.
Toute cette agitation nous révèle d’abord une très profonde méconnaissance : nul ne recourt dans la joie à l’aide que fournit le CPAS ni ne trouve bonheur à s’y complaire ; au contraire, bien des citoyens refusent de recourir à ce soutien et à ce droit pour de multiples raisons que sont notamment : la honte, le refus de voir leur vie entièrement déshabillée, les réponses inadaptées à leurs réalités, le regard violent de la société et… le reproche larvé d’abuser de la solidarité.

L’enjeu est aussi que ne s’aggrave pas la crise de confiance entre l’État et les institutions qui agissent en son nom.

Cette réalité institutionnelle du non-recours aux droits est encore peu documentée et la requalifier en fraude sociale (dont l’étude commanditée par Maggie De Block a pourtant démontré la rareté) redouble cette violence.

Ensuite, le focus sur une prétendue fraude et sur des abus produit des jugements à courte vue qui nous éloignent d’une appréhension des vrais problèmes. D’abord, le problème de la tension qui existe entre le caractère résiduaire du CPAS (qui devrait le rester) et la pente qui consiste à surcharger l’institution de missions toujours plus nombreuses, voire à en faire le pivot local de tout ce qui est social (on l’a vu pendant la Covid et les crises successives). On le suspecte comme conséquence de l’éventuelle suppression des allocations de chômage après 2 ans. Ne faudrait-il pas au contraire renforcer structurellement la sécurité sociale, les conditions de travail, le droit au travail, l’action des services publics, l’ensemble des acteurs sociaux, y compris ceux de la réparation sociale ?

Courte vue ensuite sur le porte-à-faux dans lequel les agents de CPAS peuvent se trouver : fiers, en tant que travailleurs sociaux, d’œuvrer pour que chacun puisse traverser la vie dans des conditions de dignité, ils peuvent se trouver confrontés ici ou là à une « américanisation » de l’action sociale où il s’agit, au fond, de trouver la faille chez le bénéficiaire pour que l’aide accordée puisse être moindre ou lui être refusée. Ils vivent ainsi durement les contradictions d’une société qui prétend œuvrer à la cohésion sociale mais s’accommode d’inégalités inadmissibles.

Nous espérons qu’un contexte plus serein pourra permettre à la pluralité d’acteurs concernés (y compris ceux qui représentent les bénéficiaires) de s’emparer de ces axes de tension et de fixer un cap qui ne fasse pas offense à ce qu’est un véritable travail social. L’enjeu est aussi que ne s’aggrave pas la crise de confiance entre l’État et les institutions qui agissent en son nom.

Dans un climat apaisé, on pourra, sans culpabilisation, interroger les procédures qui sont mises en œuvre par les agents publics : sont-elles correctement administrées ; sont-elles adéquates ; prennent-elles suffisamment en compte la réalité des citoyens qu’elles concernent ? Tout comme pourront être interrogés les moyens dévolus aux CPAS pour qu’ils puissent agir au mieux, ainsi que les moyens dévolus à d’autres pour que les CPAS puissent se consacrer qualitativement à leurs fonctions résiduaires.

Cela, qui est toujours nécessaire pour n’importe quelle institution, ne sera toutefois pas possible si on laisse opacifier les questions en flattant l’égoïsme social de toutes celles et de tous ceux qui, ayant plus qu’assez mais voulant néanmoins toujours plus, trouvent que ceux qui ont des moyens notoirement insuffisants en ont toujours trop.

 Christine MAHY,
Secrétaire générale et politique du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté


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  • Merci Madame Mahy pour ce recadrage. Depuis le début cette affaire me met mal à l'aise... On monte en épingle ce qui n'est qu'une fraude de pauvres. Bien sûr qu'il existe des pauvres qui trichent parfois un peu. Pourquoi seraient-ils différents des autres humains ? C'est répréhensible, évidemment, comme toute fraude. Mais enfin, on parle d'une allocation du CPAS ! ... Qui veut vraiment vivre de cela ? Et l'on apprend que dans l'un des deux cas la fraude a été détectée et qu'il a été mis fin à l'allocation. Il faudrait, comme vous l'écrivez, plutôt s'interroger sur la surcharge de travail d'assistants sociaux qui n'ont plus les moyens de faire leur travail rigoureusement. Peut-on sérieusement leur reprocher de donner, dans le doute, la préférence à l'octroi d'une aide plutôt qu'à son refus ? Ils sont tous les jours au contact avec la misère la plus sombre, ils savent que de leur décision dépend la dignité humaine de la personne qu'ils ont devant eux. Alors oui, bravo à eux de prendre le risque de se tromper dans ce sens là. Que des gens les aient piégés en jouant aux pauvres ne m'inspire guère de respect pour les piégeurs.

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