Politique

Syrie : Et si Daesh revenait sur le devant de la scène ?


Alors que le nouveau pouvoir fait tout pour donner des gages de modération à la communauté internationale et semble tenter de rétablir le calme et la sécurité à travers la partie de la Syrie qu’il contrôle, tous s’interrogent sur sa nature réelle. S’agit-il réellement d’islamistes « modérés » ou bien alors, de radicaux qui tomberont le masque un jour ou l’autre ? Mais au-delà de cette question, une autre question se pose : existe-t-il un risque de résurgence du groupe Etat islamique voire même de renaissance d’un « califat » qui menacerait la région et le monde ? Etat des lieux.

Daech, qui, entre 2014 et 2017, dominait une large part de la Syrie et de l’Irak, a été considérablement affaibli par la perte de sa territorialité, de ses deux capitales (Raqqa et Mossoul) et d’un grand nombre de ses cadres et combattants en 2017. Si ses « franchises » du Sahel, d’Afrique centrale et de l’Est et surtout du « Khorasan » (EIK) sont toujours extrêmement actives et dangereuses, l’organisation est considérée comme n’étant plus que l’ombre d’elle-même en Syrie et en Irak, avec une présence, essentiellement, dans le grand désert qui couvre la frontière entre la Syrie et l’Irak et dans la province d’Idleb.

Une grande capacité de résilience

Mais le groupe pourrait tenter d’exploiter la vacance du pouvoir en Syrie. Issu d’al-Qaïda en Irak, il y a 18 ans, l’organisation qui allait devenir l’EI a montré, au cours de son histoire, une extrême capacité de résilience et une grande capacité à se reformuler et à se recréer : en 2010, on considérait qu’al-Qaïda en Irak (qui s’était transformée, en 2006, en « Etat islamique en Irak ») était moribonde.
Mais quatre ans plus tard, le « califat » proclamé par Abou Bakr al-Baghdadi contrôlait un tiers du territoire syrien et une grande partie de celui de l’Irak.

Aujourd’hui, les choses sont très différentes : les coups portés d’une part par le régime syrien (et surtout pas ses alliés russes et iraniens, par le biais du Hezbollah pour ces derniers) et d’autre part, par la coalition internationale menée par les Etats-Unis et ses alliés kurdes, ont anéanti le califat. Et, depuis 2017, Hayat Tahrir al-Sham (HTS), à la tête de la coalition qui vient de renverser Bachar el-Assad, n’a pas ménagé l’organisation.

Le HTS pourra-t-il désarmer les différents groupes de la coalition rebelle?

Mais de l’avis unanime des services de renseignements occidentaux actifs sur la zone (américains, britanniques, français, israéliens), Daech cherchera à exploiter les divergences sectaires entre les factions rebelles et les clivages ethniques pour reprendre pied si ceux-ci entrainent une vacance du pouvoir. Et les Forces démocratiques syriennes (FDS, à dominante Kurde), qui contrôlent le nord-est de la Syrie, ont averti, de leur côté, que des cellules dormantes de l’EI pourraient tenter d’exploiter la situation instable actuelle.

Des centaines de frappes américaines et israéliennes

C’est entre autres pour cela que les États-Unis ont mené ces derniers jours des dizaines de frappes aériennes, dimanche dernier, contre des bases supposées de l’EI dans le centre du pays et que les Israéliens, de leur côté, ont effectué environ 500 bombardements le potentiel militaire (au sens large, en ce compris des centres de recherches) de l’ancien régime. Il s’agissait, pour Tsahal, tout à la fois d’un signal envoyé au nouveau pouvoir et d’empêcher que de l’armement lourd ou des moyens chimiques tombent entre « de mauvaises mains ».

Certes, le HTS  a formé un gouvernement et une administration transitoires. Mais pourront-ils désarmer les différents groupes de la coalition rebelle ? Ou les intégrer dans une future nouvelle « armée nationale » et reprendre le contrôle de tout le pays (à l’exception du « Rojava » kurde)?

En cas d’échec un retour de la guerre civile ou, à minima, d’une période très instable est possible, voire probable. Or, ce chaos ne pourrait que bénéficier à Daesh.

Des milliers de combattants de l’E.I. dans les camps de détention kurdes

Des milliers de combattants du groupe (dont des centaines de « volontaires étrangers », parmi lesquels au moins 150 Français) sont actuellement détenus, parfois avec leurs familles, dans des dizaines de camps de prisonniers contrôlés par les FDS dans le nord et l’est du pays. Si le désordre s’installe, des combattants de Daech restés en liberté (on en compte, au minimum, plusieurs centaines dans la poche d’Idlib, dans le Nord-Ouest, d’où est partie l’offensive du HTS) pourraient se regrouper et attaquer certains de ces camps pour délivrer leurs camarades en vue de créer une zone refuge qui pourrait être l’embryon d’un nouveau (mini) califat.

Une nouvelle offensive turque (ou du HTS, largement soutenu par Ankara et qui va maintenant devoir payer ce soutien) contre le Rojava pourrait avoir le même effet. Or, pour rappel, le 11 décembre, le HTS a pris le contrôle de la ville orientale de Deir ez-Zor, riche en pétrole, qui était jusque-là tenue par les FDS kurdes qui affrontent également l’Armée nationale syrienne (ANS) totalement inféodée à Ankara.

Il est très peu probable que cette situation puisse évoluer très rapidement vers le Pire. Mais qui sait ? Le 27 novembre, lors du début de l’offensive HTS sur Alep, personne n’aurait parié que Damas serait prise dix jours plus tard….

Autre hypothèse : Daesh qui dispose de cellules dormantes à Damas (ou qui peut en implanter, en profitant de la période d’incertitude qui accompagne la transition) pourrait tenter des attaques « de décapitation » du nouveau régime en tentant d’assassiner al-Joulani ou le nouveau Premier ministre Mohammed al-Bashir. La réussite d’une telle opération bouleverserait une fois de plus, de fond en comble, la carte politique de la Syrie.

Rien n’est écrit, bien évidemment, mais comme on est au Moyen Orient, le pire peut arriver d’un moment à l’autre.

 

Hugues KRASNER


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