ATTENTAT TERRORISTE EN ALLEMAGNE

Magdebourg : l’étrange profil de l’auteur de l’attaque du marché de Noël

Un médecin psychiatre, résidant en Allemagne, a foncé sur la foule déambulant sur un marché de Noël vendredi 20 décembre 2024 tuant au moins 5 personnes. AFP

Vendredi soir, 20 décembre 2024, un attentat à la voiture-bélier a fait au moins 5 morts (dont un enfant de 9 ans) et 205 blessés à Magdebourg, une petite ville située à 156 kilomètres à l’ouest de Berlin, dans l’Etat de Saxe-Anhalt (ex-Allemagne de l’Est). L’action a rapidement été qualifiée de « terroriste » par les autorités. La question est de savoir s’il s’agit d’un attentat islamiste. En effet, le profil de l’auteur (arrêté sur place) est extrêmement ambigu et ses mobiles restent, pour le moment, mystérieux. Il s’agit d’un médecin psychiatre d’origine saoudienne, présent en Allemagne depuis 2006 et disposant d’un permis de séjour permanent en tant que réfugié. L’attaque survient en pleine campagne pour les élections législatives du 23 février 2025.

Il était exactement 19h02, vendredi 20 décembre 2024, lorsqu’une voiture sombre de marque BMW a pulvérisé les barrières de sécurité du marché de Noël de Magdebourg, qui se tenait au pied de l’Hôtel de ville. Le véhicule a foncé à au moins 100 km/h sur la foule sur une distance de 400 mètres, fauchant tout sur son passage.

Alors qu’il quittait des lieux au volant de son engin de mort, le conducteur a été immobilisé par un policier qui, prenant tous les risques, l’a mis en joue.

Alors qu’il quittait des lieux au volant de son engin de mort, le conducteur a été immobilisé par un policier qui, prenant tous les risques, l’a mis en joue. Le conducteur a arrêté son véhicule, en est sorti, a levé les mains en l’air et, très calmement, a obtempéré aux ordres qui lui étaient adressés, s’allongeant face au sol avant de croiser les mains dans son dos et de se laisser menotter sans opposer de résistance. Après l’horreur qu’il vient de commettre, ce calme est littéralement glaçant…

Un mode opératoire connu

Très rapidement, les autorités ont évoqué un attentat. A raison. Quelle que soient ses motivations, cet acte est manifestement volontaire et non accidentel et des civils innocents ont été visés. Comme l’a expliqué, samedi soir, le Procureur en charge du dossier, le conducteur s’est approché très lentement du marché par une voie d’évacuation réservée aux services de secours, puis il a brusquement accéléré en renversant les barrières de sécurité, a foncé à toute vitesse sur les gens qui déambulaient paisiblement en famille et ce, sur une longue distance (400 mètres) sans marquer, à aucun moment, la volonté de s’arrêter.

Le caractère intentionnel de son acte ne fait donc aucun doute. Précisons encore qu’il semble avoir délibérément choisi une zone bien précise, le marché de Noël, où se concentraient des familles entières et où de nombreux enfants étaient présents. Ce choix, comme la voie d’accès choisie, témoigne fort probablement de repérages et donc d’une préméditation.

Le caractère intentionnel de son acte ne fait donc aucun doute.

Etant donné la cible (un marché de Noël), le contexte général (une nette résurgence de la menace terroriste à travers l’Europe) et les détails pratiques que nous venons d’évoquer, la première piste qui venait à l’esprit était celle d’un attentat islamiste. Cette impression a été encore renforcée lorsqu’on a appris que l’auteur des faits était un Saoudien installé en Allemagne depuis 2006.

Un médecin psychiatre d’origine saoudienne

Au cours de la nuit de vendredi, des détails ont émergé et l’image s’est brouillée. L’auteur des faits, Taleb al-Abdulmohsen, est un médecin (psychiatre exerçant également la psychothérapie) de 50 ans, travaillant dans un hôpital de la région. Il n’est connu ni des services de police, ni du renseignement.

Non seulement il n’a donné aucun signe public de radicalisation islamiste, mais de plus, selon le très sérieux hebdomadaire Spiegel, il partageait sur le réseau social X des messages soutenant le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD).

Ses posts offrent l’image d’un homme ayant rompu avec l’islam et dénonçant systématiquement l’islamisation de l’Allemagne. Lors de contacts avec la BBC en 2019, il avait affirmé avoir mis sur pied une filière d’évasion permettant aux femmes et jeunes filles qui le souhaitaient de quitter l’Arabie saoudite. Reconnu comme réfugié en 2016, il est titulaire d’un permis de séjour permanent.

Lors d’une interview avec un quotidien allemand, l’auteur de l’attaque de vendredi se présentait comme le critique le plus agressif de l’islam de l’histoire.

En 2019, dans une interview au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung, il se présentait comme « le critique le plus agressif de l’islam de l’histoire » et assénait : « le bon islam n’existe pas ».

Bien entendu, tout cela doit être vérifié dans les jours à venir, lorsque les enquêteurs analyseront sa téléphonie, son informatique et des clés USB saisies lors de la perquisition (effectuée dans la soirée de samedi en présence d’une unité du SEK, les forces spéciales de la police allemande) de son domicile de Bernburg, à une quarantaine de kilomètres de Magdebourg.

Tout cela n’éclaire pas ses mobiles, mais l’homme, affirme le procureur Horst Walter Nopens, à commencer à s’expliquer et à faire état, entre autres, « d’une forme d’insatisfaction sur la façon dont les réfugiés saoudiens sont traités en Allemagne ». Mais en tout cas, on est loin de l’image « classique » du djihadiste européen.

AFP

L’attaque intervient en pleine campagne pour les élections législatives du 23 février 2025 avec le parti d’extrême droite en haut dans les sondages. Ici, Alice Weidel, co-dirigeante du parti d’extrême droite AfD. (Photo par John MACDOUGALL / AFP).

L’hypothèse de la taqîya

Bien entendu, cette activité « anti-islamiste » pourrait correspondre à une manœuvre de taqîya. C’est d’ailleurs la thèse qui circule abondamment sur les réseaux sociaux depuis samedi matin.

La taqîya est une stratégie de dissimulation qui permet à un musulman de cacher sa foi. Elle a, entre autres, pour but de le protéger : les chiites, par exemple, l’emploient depuis des siècles pour échapper à la vindicte des sunnites qui les persécutent. Les islamistes, eux, en ont fait une véritable arme de ruse de guerre destinée à leur permettre de préparer leurs actions sans se faire repérer.

La taqîya est une stratégie de dissimulation qui permet à un musulman de cacher sa foi.

Mais la taqîya, si elle est « licite », répond néanmoins à des règles pour le rester. Entre autres à une certaine proportionnalité : il est permis par exemple de cacher son engagement ou même sa religion si c’est nécessaire pour protéger le projet en cours. Mais ici, il suffisait à l’auteur de se taire, de ne pas fréquenter une mosquée, éventuellement même de se faire passer pour un chrétien d’Orient ou d’être un athée et il se serait fondu dans la masse.

Est-on en présence d’une stratégie de dissimulation ?

Son action (autodéclarée à ce stade) en faveur des femmes, son soutien ouvert à Israël, ses interviews contre les islamistes et les migrants et surtout contre l’islam lui-même étaient inutiles et semblent excessive. Surtout sur une durée de 18 ans…

On ne peut pour autant, en ce moment où l’enquête débute, exclure la possibilité d’une longue dissimulation.

Les autorités auront à s’expliquer sur les failles du dispositif de sécurité.

Nous avons donc deux hypothèses. D’abord, il s’agirait bien d’un islamiste ayant pratiqué la ruse pour parvenir à ses fins. C’est tout à fait possible, mais cela demande évidemment à être prouvé de manière indiscutable. Deuxième hypothèse, Taleb al-Abdulmohsen est bien ce qu’il dit être : un ancien musulman en rupture d’islam. Mais alors pourquoi avoir ciblé un marché de Noël ? Pour faire accuser les islamistes ? pour « punir » l’Allemagne pour ce qu’il estime être une trahison ? Possible, à nouveau, mais, une fois de plus, il faudra le prouver. Enfin, il est évidemment possible qu’il y ait dans cette affaire une dimension psychiatrique. Les expertises le diront.

Reste deux certitudes. Premièrement, les autorités auront à s’expliquer sur les failles du dispositif de sécurité. Ensuite, alors que les récentes élections régionales ont montré une forte poussée de l’AFD, les élections fédérales du 23 février 2025 seront, sans nul doute, influencées par le drame de Magdebourg.

Hugues Krasner