Etats-Unis : l’étrange profil du « terroriste » de Las Vegas et beaucoup de questions
Mercredi matin, 1er janvier 2025, un peu avant 9h, un véhicule explosait devant la « Trump Tower » de Las Vegas, un grand complexe abritant un hôtel et des résidences privées. Le conducteur était tué et 7 passants légèrement blessés. Le caractère intentionnel de l’acte ne fait aucun doute : une charge artisanale avait été placé à l’arrière du véhicule et un dispositif de mise à feu a été retrouvé dans l’habitacle. Le fait que cette explosion se produise moins de six heures après l’attaque à la voiture bélier de la Nouvelle-Orléans (revendiquée, par son auteur, au nom du groupe « Etat Islamique ») et de possibles connections entre les deux hommes suscitait de nombreuses questions. Mais c’est surtout le profil, une fois de plus totalement atypique, de l’auteur des faits de Las Vegas qui interroge.
Le profil du tueur de la Nouvelle-Orléans est désormais plus clair. Shamsud-Din Jabbar avait servi treize ans dans l’armée (8 ans en service actif et cinq ans en réserve opérationnelle) et avait été déployé onze mois en Afghanistan en 2009. Il n’avait toutefois jamais occupé de poste de combat mais était un spécialiste des ressources humaines.
Echecs personnels pour le tueur de la Nouvelle-Orléans
Sa reconversion dans le privé n’a pas été couronnée de succès. Les entreprises qu’il avait fondées ont périclité et les dettes accumulées ainsi que trois divorces successifs (en 2012, 2016 et 2020) l’avaient « ruiné » malgré le fait qu’il ait fini par décrocher un emploi de consultant chez Deloitte, avec à la clé un salaire de 120 000 euros par mois.
Ce sont probablement ces déboires qui l’ont poussé à la radicalisation, selon une dynamique bien connue et largement exploitée par les recruteurs djihadistes : les échecs personnels ne sont pas dus à des erreurs ou des faiblesses de l’individu ciblé mais au fait qu’il est « musulman » et que la société occidentale ne lui laisse pas la place qu’il mérite ni aucune chance.
Matthew Livesberger : un soldat d’élite
Rien de tel, cependant, chez Matthew Livelsberger (37 ans) qui a fait exploser son véhicule à Las Vegas. Si Livesberger était, lui aussi, un militaire, sa carrière a été totalement différente de celle de Jabbar.
Engagé volontaire dans la Garde nationale, puis dans les Forces spéciales, il était toujours en service actif au moment des faits mais bénéficiait d’un congé préalable à son détachement en Allemagne. Rattaché au 10th Special Forces Group (10ème Groupe des Forces Spéciales Aéroportées) avec le grade de sergent-chef, il avait, en 18 ans, été déployé « à de multiples reprises » en Afghanistan et ailleurs et sa conduite au feu lui avait valu plusieurs décorations dont une « Bronze Star », médaille prestigieuse décernée pour un comportement héroïque en zone de combat, une médaille militaire et cinq autres pour « bon comportement ».
Pas de signe de radicalisation
Bref : un parcours exemplaire. Au moment de son passage à l’acte, il venait d’être muté au 1er bataillon de son régiment, basé à la Panzer Kaserne, près de Stuttgart.
Il était marié, père d’un très jeune enfant, possédait un chien et offrait à ses voisins et amis de Colorado Spring, qui voyaient régulièrement sa petite famille se promener dans le quartier, l’image d’un américain heureux, « chaleureux » et équilibré.
Aucun signe de radicalisation politique ou religieuse (les autorités n’ont pas, à ce stade, livré d’informations sur ses croyances religieuses) n’a été détecté. Il semble, par ailleurs, n’avoir laissé aucun message, ni aucune vidéo expliquant son acte, alors que Jabbar lui, avait – dans les heures et jusqu’aux dernière minutes précédant le massacre de la Nouvelle-Orléans -, posté cinq vidéos sur son compte Facebook pour revendiquer son action au nom de l’Etat islamique et de la « guerre entre croyants et incroyants ». Pourtant, c’est cet homme qui, le 1er décembre, a fait exploser son véhicule au pied de la Trump Tower…
Un mobile difficile à cerner
Les autorités ont donc déclaré jeudi soir qu’elles continuaient d’enquêter sur le mobile possible de l’explosion. Mais deux thèses sont en concurrence. Kevin McMahill, sheriff de Las Vegas affirme : « Je me sens à l’aise pour dire qu’il s’agit d’un suicide et qu’un attentat à la bombe a eu lieu immédiatement après. Je ne lui attribue pas d’autres qualificatifs ».
De son côté, l’Agent spécial Spencer Evans (bureau du FBI au Nevada), souligne, lui : « Il ne nous a pas échappé que le véhicule se trouvait devant le bâtiment de Trump et qu’il s’agissait d’un véhicule Tesla » (la marque emblématique d’Elon Musk, très lié au futur Président des Etats-Unis qui va en faire l’un de ses principaux ministres…).
De quoi soupçonner une motivation idéologique, même si Evans conclut : « Nous n’avons pas d’informations, à ce stade, qui nous disent ou suggèrent définitivement que c’était à cause d’une idéologie particulière ou de l’un des raisonnements qui la sous-tendent… »
Même si le FBI – après avoir annoncé dans un premier temps que Jabbar, à la Nouvelle-Orléans « n’avait probablement pas agi seul » – estime désormais que le terroriste n’avait probablement pas de complices (tout en affirmant qu’une motivation liée à l’idéologie de Daesh est incontestable), il continue à rechercher si un lien existe entre les deux attaques.
Des « coïncidences » troublantes
Plusieurs « coïncidences » permettent en effet de soulever cette hypothèse.
D’abord bien entendu, il y a unité de temps et de ciblage : les deux attentats ont eu lieu à moins de six heures d’intervalle le jour de l’an. Ensuite, dans les deux cas, il s’agit d’un attentat suicide : Livesberger s’est tiré une balle dans la tête juste après avoir déclenché l’explosion de la charge (même si ce geste était totalement superflu vu l’importance de la déflagration) et après avoir foncé dans la foule, Jabbar a ouvert le feu sur les forces de l’ordre qui le cernaient sans pouvoir se faire énormément d’illusions sur le sort qui l’attendait.
On sait également que les deux hommes ont utilisé la même application (« Turo ») pour louer les véhicules qui ont servi à leurs funestes desseins. Enfin, Jabbar et Livesberger ont été affectés à la même base (Fort Carson, à Colorado Springs) et étaient tous les deux déployés en Afghanistan la même année. Le Pentagone qui a comparé, ligne par ligne, les états de service professionnels des deux militaires affirme toutefois que rien n’indique qu’ils se connaissaient : 100 000 militaires appartenant à différentes unités sont casernés à Colorado Springs et, en Afghanistan, ils n’étaient ni dans la même unité ni affectés aux mêmes missions.
Bref, comme le fait remarquer Kevin McMahill : « S’il s’avère qu’il s’agit simplement de similitudes, ce sont des similitudes très étranges. Nous ne sommes donc pas prêts à exclure ou à confirmer quoi que ce soit à ce stade… »
Un suicide qui interroge
Si la thèse du suicide (pour des raisons personnelles qui restent à déterminer, peut-être un stress post-traumatique, courant chez les militaires ayant été envoyés en zone de guerre) ne peut évidemment pas être écartée, il faudra néanmoins répondre à plusieurs questions.
S’il voulait vraiment en finir avec la vie, pourquoi Matthew Livesberger ne s’est-il pas « simplement » tiré une balle dans la tête ? Pourquoi a-t-il parcouru cent kilomètres pour aller louer un véhicule à Denver alors qu’il pouvait utiliser le sien en s’en procurer un à deux pas de chez lui à Colorado Springs ?
Pourquoi a-t-il emprunté ensuite un itinéraire qui l’a d’abord conduit vers Albuquerque (Nouveau Mexique) à environ sept cents kilomètres au sud de Denver avant de bifurquer au nord-ouest vers Las Vegas en traversant l’Arizona (mille kilomètres de plus) réalisant ainsi un trajet de près de 2000 kilomètres, soit le double de la distance séparant Denver de Las Vegas à travers l’Utah, ce qui était le trajet le plus direct ?
Pourquoi s’est-il arrêté en route pour acheter deux armes à feu (une de trop, en tout état de cause, s’il souhaitait se suicider) ? et, surtout, pourquoi a-t-il choisi de mettre un terme à son existence devant la Trump Tower après avoir erré dans la ville durant 70 minutes ?
Un attentat « raté » …par un professionnel
D’autre part, s’il s’agit d’un attentat idéologique, d’autres interrogations surgissent.
Comment se fait-il qu’un membre des forces spéciales ayant son expérience ait fabriqué une charge explosive peu efficace – un assemblage hétéroclite de bidons d’essence, de bonbonnes de gaz et de feux d’artifice
Pourquoi a-t-il choisi un véhicule qui allait obligatoirement minimiser l’effet de l’explosion (le pick-up étant dépourvu de toit à l’arrière, le souffle de l’explosion et les éclats se sont diffusés, par une loi élémentaire de la physique, vers le haut et on ne dénombre que sept blessés assez légers. Même les vitres de la Trump Tower n’ont pas été endommagées. Sauf bien entendu si le choix d’un cybertruck Tesla avait, à ses yeux, une signification symbolique précise…
Un ancien officier des forces spéciales qui a servi avec Liversberger soutient que son ancien camarade aurait eu les compétences et l’expérience nécessaires pour fabriquer un engin produisant une explosion plus importante et plus meurtrière s’il l’avait voulu.
Bref, les enquêtes de la Nouvelle-Orléans et de Las Vegas, à ce stade, posent plus d’énigmes qu’elles n’apportent de réponses.
Hugues Krasner