Opinion : « Vous n’avez pas votre place dans cette marche »  - L-Post
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Opinion : « Vous n’avez pas votre place dans cette marche » 


Mardi 8 mars 2025 à Bruxelles, il y a eu une manifestation pour les droits des femmes. Près de 10.000 personnes présentes. Un succès ? Je n’en suis pas sûre. Lors de cette manifestation, un groupe a été poussé hors du rassemblement et une femme s’est retrouvée au sol.

Dans la presse, il est question d’un « accroc avec la délégation du MR » ou d’un « incident ». La présidente de Défi (Sophie Rohonyi, ndlr) explique que c’était « provocateur » de venir à la manifestation en tant que MR « même si cela ne justifie pas la violence ». La directrice de communication d’Ecolo (Marie Thibaut de Maisières, ndlr) inverse l’agression en reprochant un message écrit sur un t-shirt « femme = réalité biologique ≠ ressenti misogyne » comme si la violence physique pouvait être légitimée parce qu’une personne ne partage pas vos idées.

La peur des femmes de participer à des manifestations féministes

Vous pourriez penser qu’il s’agit-là d’un événement isolé. Malheureusement, depuis plusieurs années, certaines femmes ont peur de se rendre à des manifestations féministes pour défendre leurs idées. Leur tort ? Ne pas avoir le discours qui plait à certains groupes qui se disent « de gauche » ou « antifa » et qui sont prêts à utiliser des méthodes violentes pour que seuls les discours qui leur plaisent soient entendus dans l’espace public.

Malheureusement, depuis plusieurs années, certaines femmes ont peur de se rendre à des manifestations féministes pour défendre leurs idées.

Quand je regarde ce qui s’est passé dans diverses villes européennes ce 8 mars ou lors d’autres manifestations féministes à Bruxelles, j’ai l’impression que cela devient la norme : seules certaines idées sont légitimes à être défendues. Cela me rappelle notamment ce qui s’est passé le 28 novembre 2021…

Nous étions un groupe de 12 copines. Nous avions décidé de notamment dénoncer la violence qu’est la prostitution (être pénétrée, par tous les orifices, sans aucun désir, plusieurs fois par jour ; l’argent n’achetant pas le consentement, il s’agit de viols). En cours de manifestation, nous avons voulu rejoindre d’autres copines abolitionnistes qui se trouvaient en début de cortège. Nous remontions la manifestation quand un groupe (d’une centaine de personnes ?) a décidé de nous encercler, nous crier de partir, nous menacer, nous insulter, nous bousculer… « Altercations » fut le terme choisi pour parler de l’événement.

Les abolitionnistes de la prostitution ne sont pas les bienvenues

Si on lit l’article, cela donne l’impression que les méchantes, les vilaines, c’est nous. Douze femmes abolitionnistes qui souhaitaient retrouver des copines et pas les dizaines de personnes déchainées contre nous. Notre tort ? Être abolitionnistes de la prostitution et penser que sont femmes, toutes les personnes humaines femelles et personne d’autres (nous n’avions aucun slogan à ce propos, sachant que cela pouvait être dangereux pour nous). Un crime de pensée donc. Un blasphème apparemment.

Une raison suffisante pour être déshumanisées par des insultes comme « SWERF » utilisées pour calomnier les féministes qui luttent contre l’exploitation par la prostitution.

Une raison suffisante pour être déshumanisées par des insultes comme « SWERF » (sex workers exclusionary radical feminist) utilisées pour calomnier les féministes qui luttent contre l’exploitation par la prostitution ou « TERF » (trans exclusionary radical feminist) utilisées contre celles qui reconnaissent que l’oppression et l’exploitation des corps des femmes sont liées à leur biologie de femme. Des insultes qui s’accompagnent souvent de menaces.

Traumatisme pour les femmes agressées

Le collectif qui nous a agressées parle d’agressions physiques de notre part. Bizarrement, ils n’ont pas rendu publiques les vidéos confirmant leurs accusations. Nous avons porté plainte à la police, vidéos à l’appui. Les personnes nous ayant molestées « n’ont pas pu être retrouvées » et ça s’est arrêté-là pour la police. Pas pour nous : peur d’aller dans des manifestations féministes ; attaques de panique en croisant des groupes de jeunes habillés de noir et ressemblant donc à nos agresseurs…

Cela fait des années que des féministes abolitionnistes sont molestées lors de manifestations par d’autres manifestants. Nous constatons également qu’être critique du genre, autrement dit ne pas croire en « l’identité de genre » est un crime aux yeux de certaines personnes. Il suffit de voir ce qui se passe lors des rassemblements « Let Women Speak » ou pour les lesbiennes qui ne veulent pas de « personnes à pénis » dans leurs associations.

Cela fait des années que des féministes abolitionnistes sont molestées lors de manifestations par d’autres manifestants.

Cela fait de nombreuses années que certaines féministes ne sont plus les bienvenues dans des manifestations. Il y a les abolitionnistes, les critiques du genre, celles qui sont « de droite », celles qui sont juives, celles qui ont quitté l’islam et se battent contre la misogynie de cette religion, etc. J’en oublie sans doute.

Gendarmes de la bonne pensée

Cela fait de nombreuses années que les « forces de l’ordre de la bonne pensée » refusent de discuter. « Le camp du bien » a raison, les autres ont tort et c’est tout. Suivent les insultes : SWERF, TERF, fachos, islamophobes, vilaines… selon le cas. Ça me donne méchamment l’impression que, faute d’arguments pour défendre leurs idées, ils espèrent faire taire en insultant et en menaçant. Ce n’est pas l’idée que je me fais de la démocratie, de la liberté d’expression et de la liberté de conscience. Pas comme cela non plus que je conçois le féminisme.

Que pensez-vous qu’on puisse tirer comme conclusion quand vos seuls arguments sont des insultes, des menaces et des coups ?

Je n’apprécie pas particulièrement le MR (euphémisme). Mais ce n’est pas une raison pour agresser quelqu’un ou pour l’empêcher de parler. Si vous n’êtes pas d’accord avec une idéologie, quelle qu’elle soit, construisez des arguments pour la démolir, pour démontrer son ineptie. Que pensez-vous qu’on puisse tirer comme conclusion quand vos seuls arguments sont des insultes, des menaces et des coups ?

Comme beaucoup d’autres féministes, je continuerai à militer via les réseaux sociaux et en rue malgré la peur au ventre. Le féminisme est un combat pour défendre les droits de toutes les femmes. Y compris celles avec lesquelles on n’est pas d’accord. Déshumaniser un groupe, n’est-ce pas le début du fascisme ?

Texte de Nurja (féministe abolitionniste)
Co-signé par Marie Denis (Observatoire féministe des violences faites aux femmes)