Scandale à Washington : un journaliste ajouté à un groupe « Signal » où l'on discutait de frappes militaires au Yémen - L-Post
GROSSE BOURDE DE L'ADMINISTRATION TRUMP EN MATIERE DE SECURITE

Scandale à Washington : un journaliste ajouté à un groupe « Signal » où l’on discutait de frappes militaires au Yémen

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L’administration Trump fait face à sa première crise sérieuse : un journaliste influent (et très critique à l’égard de Donald Trump) a été ajouté par inadvertance à un groupe de discussion non sécurisé dans lequel des responsables de la sécurité nationale américaine échangeaient des informations et des opinions au sujet d’une frappe militaire à venir au Yémen. La Maison Blanche a confirmé la fuite, mais tente de limiter les dégâts. Outre le fait que des informations secrètes ont circulé en dehors de tout contrôle, l’incident révèle certaines dissensions au sommet du pouvoir et illustre le mépris dans lequel Washington tient ses alliés européens. 

Jeffrey Goldberg, journaliste et rédacteur en chef du magazine « The Atlantic », a rapporté (dans un article publié lundi sur le site web de sa publication) qu’il avait été ajouté, il y a une dizaine de jours, à un groupe de discussion « Signal » auquel appartenaient apparemment le vice-président américain, J. D. Vance, et le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth. « The Atlantic », une ancienne et vénérable publication basée à Washington D.C., est un fervent critique de Donald Trump et a soutenu les candidats démocrates Lyndon B. Johnson en 1964, Joe Biden en 2020 et Kamala Harris en 2024. Elle avait même remis en question « l’aptitude du président [Donald Trump] à exercer ses fonctions » et avait appelé à sa destitution en mars 2019.

Plans militaires classifiés

Golberg a déclaré avoir vu des plans militaires classifiés pour des frappes américaines contre les rebelles houthis, y compris des informations sur les armes dont l’emploi était prévu, des listes de cibles visées et un calendrier des frappes. Le tout deux heures avant que bombes et missiles ne commencent à pleuvoir sur des dizaines de sites Houthis à Sanaa ou Hodeidah. Tombées entre de « mauvaises mains », les informations auraient pu ruiner l’opération et mettre en danger la vie des personnels militaires impliqués.

S’ils devaient choisir un numéro de téléphone erroné, au moins ce n’était pas quelqu’un qui soutenait les Houthis.

L’article de Golberg a suscité une tempête de critiques de la part des Démocrates de l’opposition et de vives inquiétudes dans les rangs des Républicains. Le journaliste a déclaré qu’il avait été ajouté à la chaîne de messages, apparemment par accident, après avoir reçu une demande de connexion de la part de quelqu’un qui semblait être le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Michael Waltz.

« S’ils devaient choisir un numéro de téléphone erroné, au moins ce n’était pas quelqu’un qui soutenait les Houthis, car ils distribuaient en fait des informations qui, je crois, auraient pu mettre en danger la vie des militaires américains impliqués dans cette opération », a-t-il déclaré à la chaîne publique PBS lors d’une interview.

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Des combattants houthis nouvellement recrutés scandent des slogans alors qu’ils conduisent un véhicule militaire lors d’un rassemblement dans la capitale Sanaa pour mobiliser davantage de combattants sur les fronts de bataille. (Photo par Mohammed HUWAIS / AFP).

Trump « maintient sa plus grande confiance » à son équipe de sécurité nationale

Le président américain Donald Trump a indiqué aux journalistes, lundi après-midi, qu’il n’était pas au courant de l’article de The Atlantic. « Les attaques contre les Houthis ont été très réussies et efficaces », a toutefois tempéré Karoline Leavitt, attachée de presse à la Maison Blanche, dans un communiqué. « Le président Trump continue d’avoir la plus grande confiance en son équipe de sécurité nationale, y compris le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz », a-t-elle ajouté.

Le président Trump continue d’avoir la plus grande confiance en son équipe de sécurité nationale, y compris le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz.

Le secrétaire d’Etat à la Défense a également défendu l’opération militaire évoquée dans le chat, en invoquant son succès. Pressé par les journalistes, Hegseth a qualifié Goldberg de journaliste « trompeur et très discrédité » et n’a répondu à aucune question sur le contenu des messages.

Le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, un républicain, a déclaré que la violation était une erreur, mais a fait valoir que le « chat » montrait que « des hauts fonctionnaires faisaient leur travail, et le faisaient bien ». On se rassure comme on peut…

Les Démocrates exigent une enquête

Les Démocrates, de leur côté, exigent une enquête, qualifiant l’épisode de scandale de sécurité nationale : « C’est l’une des violations les plus stupéfiantes du renseignement militaire dont j’ai entendu parler depuis très, très longtemps », a déclaré le leader démocrate au Sénat, Chuck Schumer. Et même le président (Républicain) de la commission des forces armées du Sénat, Roger Wicker, annonce que son groupe prévoyait d’enquêter sur cette affaire, le tout accompagné d’un sobre commentaire : « C’est vraiment préoccupant. Il semble que des erreurs aient été commises ».

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Le secrétaire d’Etat à la Défense, Pete Hegseth (à droite), aux côtés du nouveau conseiller à la sécurité nationale Michael Waltz (à gauche) lors d’une audition de confirmation devant la commission des forces armées du Sénat, au Capitole, le 14 janvier 2025 à Washington. (Photo par SAUL LOEB / AFP).

Assis dans sa voiture, Goldberg assiste aux préparatifs des frappes

Goldberg écrit dans son article qu’il a reçu, le 11 mars, une demande de connexion à une discussion intitulée « Houthi PC small group », sur l’application de messagerie cryptée « Signal », d’un compte qui serait celui de Waltz.

Il a déclaré qu’il s’était d’abord demandé si les messages du groupe de discussion pouvaient être un canular jusqu’au samedi 15 mars : alors qu’il était assis dans sa voiture, sur le parking d’un supermarché, il a découvert, médusé, les participants du groupe échanger leurs avis sur des frappes en préparation. Deux heures plus tard, les médias annonçaient des bombardements américains sur le Yémen et un responsable houthi faisait état de 53 morts.

on ne peut même pas dire que l’erreur de son invitation est due au trop grand nombre de participants à la discussion.

Et on ne peut même pas dire que l’erreur de son invitation est due au trop grand nombre de participants à la discussion : des membres du cabinet et des responsables de la sécurité nationale, ils n’étaient pas plus de… 18, certifie Goldberg.

Un groupe de hauts responsables

Parmi les noms apparaissant dans la discussion, on trouvait des comptes intitulés « JD Vance » (le vice-président, participant le plus haut placé), « Pete Hegseth » (secrétaire d’Etat à la Défense) ou encore « John Ratcliffe » (directeur de la CIA). De hauts responsables de diverses agences liées à la sécurité nationale y figuraient également, notamment Tulsi Gabbard, le directeur du renseignement national de Trump, et le secrétaire d’Etat Marco Rubio.

Vance en désaccord avec Trump ?

A un moment donné, pendant l’échange, le compte intitulé « JD Vance » a semblé être en désaccord avec Trump, rapporte Goldberg : « Je ne suis pas sûr que le président soit conscient d’à quel point cela est incohérent avec son message actuel sur l’Europe », aurait écrit le vice-président vers 8h15 le 14 mars.

Je ne suis pas sûr que le président soit conscient d’à quel point cela est incohérent avec son message actuel sur l’Europe.

Et d’ajouter : « Il y a un risque supplémentaire de voir une hausse modérée à forte des prix du pétrole. Je suis prêt à soutenir le consensus de l’équipe et à garder ces préoccupations pour moi. Mais il y a de bonnes raisons de retarder cela d’un mois, de faire le travail de communication sur les raisons pour lesquelles c’est important, de voir où en est l’économie, etc. ».

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La porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, ;ors d’un briefing de presse enmars 2025. (Photo par Mandel NGAN / AFP).

Le Conseil de sécurité nationale a confirmé une grande partie de l’article. Son porte-parole, Brian Hughes, a déclaré à la BBC : « Pour l’instant, le fil de messages qui a été rapporté semble authentique. Nous examinons comment un numéro a été ajouté par inadvertance à la chaîne ».

Avant de botter en touche : « Le fil de discussion est une démonstration de la coordination politique profonde et réfléchie entre les hauts fonctionnaires ».

Faire payer une Europe « pathétique » ?

Une autre révélation de Goldberg risque de refroidir encore un peu plus les relations (déjà fort tièdes) entre Washington et l’Union européenne. Il rapporte que les membres du groupe ont également discuté de la possibilité que l’Europe paie pour la protection par les Etats-Unis des principales voies de navigation : « Que ce soit maintenant ou dans plusieurs semaines, ce seront les Etats-Unis qui devront rouvrir ces voies de navigation », a écrit le compte associé à Waltz le 14 mars.

Le conseiller à la Sécurité nationale évoquait ensuite le fait qu’à la demande de Donald Trump, son équipe travaillait avec le département de la Défense et le département d’Etat « pour déterminer comment calculer les coûts associés et les répercuter sur les Européens ».

Je partage entièrement votre dégoût pour le parasitisme européen. C’est PATHÉTIQUE.

L’occasion pour le vice-président Vance de regretter que les frappes profitent aux Européens, en raison de leur dépendance à l’égard de ces voies de navigation. « Je déteste juste renflouer l’Europe à nouveau », écrit-il dans le « chat ».

Réponse du secrétaire à la Défense Hegseth, quelques minutes plus tard : « VP : Je partage entièrement votre dégoût pour le parasitisme européen. C’est PATHÉTIQUE ».

Au moins on sait à quoi s’en tenir…

Hugues Krasner