Politique

Royaume-Uni : la reine Elizabeth II était une souveraine discrètement pro-européenne


Les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ont toujours été marquées par des tensions et des turbulences, jusqu’à la rupture consommée en 2020 avec le Brexit. Pourtant, derrière les portes du palais de Buckingham, la reine Elizabeth II, tenue à une stricte neutralité politique, aurait soutenu le maintien de son pays dans l’Union, selon plusieurs témoignages récents. Trois mois avant le référendum de 2016, la souveraine aurait confié à un ministre britannique que son pays devrait rester au sein de l’Union européenne.

« Nous ne devrions pas quitter l’UE. (…). Mieux vaut rester avec le diable que l’on connaît ». Ces propos, rapportés par le journaliste Valentine Low dans son ouvrage Le Pouvoir et le Palais (publié par The Times), trouvent écho dans les confidences d’anciens conseillers du palais.

Ceux-ci affirment qu’Elizabeth II voyait l’Union comme une composante clé de l’ordre européen d’après-guerre, garantissant stabilité et coopération sur un continent marqué par deux conflits mondiaux.

Opinions et confidences

En sept décennies de règne, Elizabeth II, décédée le 8 septembre 2022, a incarné la continuité historique du Royaume-Uni et tissé des liens uniques avec l’Europe. Sa longévité lui a permis de côtoyer des figures politiques allant de Winston Churchill à Boris Johnson, en passant par Charles de Gaulle, Angela Merkel ou François Mitterrand.

Sa longévité lui a permis de côtoyer des figures politiques allant de Winston Churchill à Boris Johnson, en passant par Charles de Gaulle, Angela Merkel ou François Mitterrand.

La France a tenu une place particulière dans ce parcours. De ses cinq visites d’État – de 1957 à 2014 – demeurent des discours marqués par un véritable sentiment européen. En 1957, quelques jours après la signature des traités de Rome, elle saluait déjà « l’idéal de liberté » porté par le continent. En 1992, à Strasbourg, elle plaidait pour « renforcer la capacité des Européens à agir ensemble », soulignant qu’« il vaut mieux débattre que subir une uniformité lassante ».

Ces prises de parole, toujours empreintes de diplomatie, trahissent pourtant une conviction profonde : le Royaume-Uni, malgré son insularité, avait « sa place au cœur de l’Europe », disait-elle devant François Mitterrand en 1992, année du traité de Maastricht. Même au-delà du Royaume-Uni, de Bruxelles à Paris, les Européens ont suivi son règne comme celui d’une figure incarnant continuité et diplomatie sur le continent.

Neutralité royale

Cette posture européenne est d’autant plus marquante qu’Elizabeth II était tenue à un devoir absolu de réserve. Comme le rappelle Catherine Marshall, spécialiste de civilisation britannique, « le monarque règne mais ne gouverne pas ». Le Premier ministre gouverne au nom de la Couronne, mais la reine, forte de son expérience, dispose du droit d’être consultée, d’encourager et d’avertir.

Ses entretiens hebdomadaires avec David Cameron, puis Theresa May et Boris Johnson, restaient confidentiels. « Personne ne sait ce qui se dit dans ces réunions », souligne Marshall. Cette neutralité lui permettait de rester une figure respectée par tous, capable de rassembler un pays profondément divisé, notamment après le meurtre de la députée pro-UE Jo Cox en juin 2016, en pleine campagne référendaire.

Le Palais veillait à ce qu’aucune phrase trop politique ou directement liée à la campagne du Brexit ne soit prononcée.

Même dans les discours officiels, la prudence était de rigueur. Le Palais veillait à ce qu’aucune phrase trop politique ou directement liée à la campagne du Brexit ne soit prononcée. Ainsi, l’expression « Reprendre le contrôle » a été retirée du discours post-Brexit pour éviter tout message partisan. Dans le même temps, Elizabeth II savait apprécier certaines initiatives sans politiser : elle aurait loué en privé l’inclusion, dans un discours de mai 2021, d’un engagement humanitaire mondial pour l’éducation des filles.

Ces gestes soulignent combien la reine maîtrisait l’art délicat de naviguer entre conviction personnelle et neutralité publique, rappelant que sa mission première était de représenter la Nation et non de prendre parti.

Symboles et anecdotes

Sa discrétion n’a pas empêché les polémiques. En mars 2016, The Sun affirmait qu’Elizabeth II « soutenait le Brexit », citant un déjeuner en 2011 où elle aurait critiqué l’UE. L’ancien vice-premier ministre Nick Clegg, présent lors de ce repas, a formellement démenti ces propos prêtés à la défunte Reine.

D’autres détails, en revanche, ont enflammé les observateurs, comme le chapeau bleu et jaune qu’elle portait lors du discours d’ouverture du Parlement en 2017.

D’autres détails, en revanche, ont enflammé les observateurs, comme le chapeau bleu et jaune qu’elle portait lors du discours d’ouverture du Parlement en 2017. Simple choix vestimentaire ou clin d’œil à l’Union européenne ? L’histoire ne le dira jamais.

Une figure de stabilité au-dessus de la mêlée

Ce paradoxe – une souveraine discrètement pro-européenne, mais constitutionnellement neutre – explique sans doute pourquoi elle n’a jamais commenté publiquement le Brexit. Sa mission était d’incarner la Nation, non de la diviser.

À sa mort, le 8 septembre 2022, après 70 ans de règne, l’Europe entière a rendu hommage à celle qui, tout en restant silencieuse sur ses convictions, avait incarné un certain idéal européen.

À sa mort, le 8 septembre 2022, après 70 ans de règne, l’Europe entière a rendu hommage à celle qui, tout en restant silencieuse sur ses convictions, avait incarné un certain idéal européen : celui du dialogue, de la continuité et d’un Royaume-Uni lié au continent par l’histoire, la diplomatie et la culture.

Ces confidences, livrées des années après les faits, éclairent-elles vraiment la pensée d’une souveraine réputée pour son silence ? Ou ne sont-elles que le dernier miroir tendu à une reine de chair et d’os, dont le mutisme, plus que les paroles, a forgé la légende et qui, même disparue, continue de régner sur l’imaginaire britannique ?

Alexander Seale (au Royaume-Uni)


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