SANTE

Essais cliniques Covid-19 : l’éthique médicale est-elle bafouée au profit de la rentabilité hospitalière?

Village Covid, les structures d'accueil du site Sart Tilman du CHU de Liège, le mercredi 25 mars 2020. BELGA

Alors qu’il s’agit d’une obligation légale au sein de l’Union Européenne depuis 2014, les universités belges passent majoritairement sous silence les résultats de leurs essais cliniques. Cette conclusion est le fruit d’une enquête menée par l’association de protection des consommateurs Test Achats, en collaboration avec Kom op tegen Kanker, une association de lutte contre le cancer, et Cochrane Belgique qui participe à produire des données de santés fiables et accessibles. Les résultats révèlent que le plus mauvais élève de la classe est le CHU de Liège. Ce manque de transparence toucheraient également les patients admis dans des études Covid-19 au sein de l’institution hospitalière. C’est à tout le moins ce qu’attestent certains documents administratifs du centre hospitalier universitaire transmis à notre rédaction. Nous avons mené l’enquête.

Recherche et développement de nouveaux vaccins, disponibilités de médicaments, diagnostics et traitements sont les enjeux sanitaires pour combattre le Covid-19. Parallèlement, le  nouveau règlement européen 536/2014 portant sur les essais cliniques des médicaments, adopté en mai 2014, entre en vigueur ce 31 janvier 2022. Il remplace la directive 2001/20/CE. L’objectif est triple : faciliter l’accès des patients aux traitements, renforcer l’attractivité de l’Europe en matière d’essais cliniques et augmenter la transparence et l’accès aux données issues de ces essais.
Information transparente et compréhensible, vigilance sur le recueil du consentement éclairé du patient et protection des données, le cadre de travail de certaines études cliniques Covid-19 réalisées par le CHU de Liège et reprises ci-dessous questionnent :

– Biobanque : étude institutionnelle pour collecter du matériel humain dans un but de recherche et notamment pour réaliser un dosage des anticorps Covid-19 – invitation envoyé aux membres du personnel le 20 avril 2020 – Médecin responsable: Pascal Huyen;

– Effet d’une supplémentation de vitamine D chez les patients atteints de Covid-19 – Médecins investigateurs locaux: Julien Guiot et Anne-Françoise Rousseau;

– Protocole d’étude Covid phase III – inhalateur d’interféron B – Médecin responsable: Michel Moutschen;

– Etude Sirocco I : étude clinique interventionnelle en double aveugle avec un médicament à l’étude sur des patients adultes – Médecin investigateur: Julien Guiot .

Pour chacune de ces études, des interrogations d’ordre éthique nous sont rapportées par des membres du personnel de l’hôpital. Nous avons dès lors interrogé Delphine Gilman, Cheffe du Service Communication du CHU de Liège, qui nous a répondu par courriel le 25 janvier dernier.

Une information qui n’est pas éclairée

« Concernant le consentement éclairé, nous nous inscrivons dans le respect des normes applicables en la matière et de manière non exhaustive, la loi du 22 août 2002 sur les droits du patient, la loi du 7 mai 2004 relative aux expérimentations sur la personne humaine, la Déclaration d’Helsinki et les guidelines for good clinical practices éditées par le ICH (International Council for harmonisation of technical requirements for pharmaceuticals for human use). Ainsi, la plus grande attention est accordée au consentement éclairé du participant et à l’information préalable qui lui est donnée et notamment le contenu de l’information à fournir, la forme de celle-ci – préalable, écrite, claire et compréhensible – et le degré de précision de celle-ci », nous explique Delphine Gilman.
La loi précise toutefois que le membre de l’équipe qui fait signer ce consentement doit obligatoirement être le(s) médecin(s) investigateur(s) chargé(s) de l’étude clinique.

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Panneau indiquant l’entrée du CHU de Liège notamment aux patients et à leurs accompagnants. (BELGA PHOTO ERIC LALMAND).

 

Or, il apparait des documents administratifs en notre possession qu’ils sont signés par une Data-nurse « pour le compte du docteur X » ou par un(e) Data Manager, responsable de la collecte des données, en qualité de témoin, mais nullement par le médecin en charge de l’étude (case vide et non signée).
A cela, il nous est répondu que « le CHU de Liège privilégie le contact avec le médecin investigateur, mais il est tout à fait envisageable qu’un membre de l’équipe de recherche, désigné par le médecin investigateur, participe et complète l’information du participant, lequel dispose, dans tous les cas, des coordonnées du médecin-chercheur auquel il peut s’adresser autant que de besoin ». Et de nous préciser : « Il n’est pas impossible qu’un membre de l’équipe de recherche, dans des cas exceptionnels, puisse signer le formulaire de consentement éclairé à la demande expresse du médecin investigateur. Ce dernier a toujours connaissance de tous les tenants et aboutissants de l’étude en cours ». Par cet aveu, le CHU de Liège nous confirme donc ne pas se conformer aux prescrits légaux qui prévoient ceci  :

« Je, soussigné, l’investigateur, confirme que :

o   le participant a reçu verbalement les informations nécessaires au sujet de l’étude, a reçu des explications sur le contenu de l’étude et a reçu un original signé du présent document.

o   J’ai vérifié si le participant a compris l’étude.

o   J’ai laissé suffisamment de temps au participant pour décider de participer ou pas à l’étude et poser ses questions »

Comment des patients qui ne parlent pas français et/ou sont hospitalisés aux soins intensifs peuvent-ils donner leur consentement éclairé?

Des patients « incapables » de consentir

Il nous est également rapporté par les mêmes membres du personnel que des patients sont intégrés dans des études alors qu’ils ne parlent pas français et/ou sont hospitalisés aux soins intensifs. Comment peuvent-ils dès lors avoir donné leur consentement éclairé?
« En ce qui concerne la langue, le CHU de Liège comprend une équipe de médiation interculturelle, qui nous permet de mettre à disposition du participant (et du patient, de manière générale) un traducteur afin de s’assurer au possible de la pleine compréhension de la situation »
, poursuit Delphine Gilman. Et pourtant, ces patients de nationalité étrangère n’ont pas eu de traducteur à leur côté.

« Par rapport à l’inclusion de patients qui ne seraient pas capables de consentir, comme ceux présents aux soins intensifs, il n’y a pas d’interdiction de participation, mais des conditions légales à respecter, prévues par les sources légales précitées. En pareil cas, la protection du participant est encore accrue. En effet, le Comité d’Éthique doit se prononcer explicitement sur cette situation et doit la valider pour autant que l’intérêt de l’étude pour le patient et/ou l’avancée des connaissances médicales le justifie », nous précise-t-elle encore.

Les « Bonnes pratiques Cliniques » et la loi belge du 7 mai 2004 relative aux expérimentations sur la personne humaine, et ses arrêtés d’exécution, précisent toutefois que « lorsque la recherche implique une personne incapable de donner un consentement éclairé, le médecin doit solliciter le consentement éclairé de son représentant légal qui décider de la participation ou pas à l’étude clinique dans l’intérêt de la personne qu’il représente. Les personnes incapables ne doivent pas être incluses dans une recherche qui n’a aucune chance de leur être bénéfique sauf si celle-ci vise à améliorer la santé du groupe qu’elles représentent et qu’elle ne comporte que des risques et des inconvénients minimes ».
Il nous est rapporté qu’aux soins intensifs, le consentement du représentant légal n’est toutefois pas toujours demandé et que des médicaments non prouvés comme efficaces sont testés en accord avec le comité d’éthique présidé par le Professeur Vincent Seutin.

Une Biobanque à usage multiples

La recherche biomédicale et la recherche pharmaceutique ne peuvent se faire sans avoir accès à du matériel biologique d’origine humaine. En ce qui concerne plus particulièrement la Biobanque destinée à collecter du matériel humain dans un but de recherche et notamment pour réaliser un dosage des anticorps Covid-19, nous avons également interpellé le CHU de Liège. La bio banque hospitalo-universitaire (BHUL) est présidée par le Professeur Yves Beguin qui fait partie du comité de l’étude et en charge de la logistique de « collecte chez les donneurs sains pendant la pandémie COVID ».

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Un flacon du vaccin anti-Covid-19. (BELGA PHOTO BRUNO FAHY).

Quant à cette collecte, Delphine Gilman nous précise que « les volontaires sont explicitement informés que leurs prélèvements peuvent être mis à disposition des chercheurs et de l’industrie. Ils sont invités à y consentir de manière explicite également. Il existe cependant quelques exceptions légales, notamment en matière de matériel corporel résiduel ».

Petit détail que nous avons relevé :  ce qui par contre est inconnu des patients et n’est pas repris dans le consentement c’est que les échantillons de sang peuvent être mis à disposition des firmes pharmaceutiques moyennant financement. Or, les patients qui sont dans cette étude ne sont pas informés que leur matériel est à usages multiples et contre rémunération.

Les patients ne sont pas informés que leur matériel biologiques peut être proposés contre rémunération

De manière générale, nous avons aussi pu constater dans les documents en notre possession que le délai utile entre la visite de sélection du patient et la visite de randomisation, soit l’intégration dans l’étude, n’est pas respecté. Sélectionner un patient demande la réalisation d’une batterie d’examens indispensables.

A la lumière de ces incohérences relevées, preuves à l’appui, le CHU de Liège nous affirme toutefois que « le CTC (Clinical Trial Center) développe de nombreux programmes (modules en ligne, SOP) visant à mettre à disposition de chacun les guidelines et procédures liées aux essais cliniques.  Plus largement, il y a des obligations de formation continue à respecter. Toute personne qui travaille dans le domaine des études cliniques doit notamment régulièrement réussir le certificat établi par le ICH », ce qui, pourtant, actuellement n’est pas d’application de manière systématique.

Quand l’argent compte presqu’autant que la science

Les études cliniques sont vitales pour l’innovation et l’optimisation des soins de santé. Et la pandémie ne les a pas arrêtés, bien au contraire. Exploratoires ou confirmatoires, randomisés ou non, ils peuvent être financé par le secteur privé, soit la firme pharmaceutique qui produit et/ou commercialise un médicament, ou par des fonds publics. C’est ce que l’on appelle des essais cliniques « non commerciaux ».

La frontière entre le commercial et le non commercial n’est toutefois pas toujours aussi nette que l’on pourrait le penser. Ainsi, certains essais académiques sont cofinancés par l’industrie en échange de droits de propriété sur les résultats, ce qui crée une proximité de certains médecins influents avec le Big Pharma.

Plusieurs de ces sommités, susceptibles de changer la pratique médicale, dirigent des départements universitaires ou des services hospitaliers. L’industrie accroît encore leur renommée, et leur rentabilité, en leur offrant des tribunes variées tels que des congrès internationaux, des séminaires de formation, des conférences de presse et des parutions dans des revues médicales spécialisées. Ils sont aussi omniprésents au sein de comités d’éthique ou d’experts qui déterminent les règles de pratique auxquelles se fient les médecins pour prodiguer ensuite des soins.

Les essais cliniques sont donc indirectement très rentables. Les fonds apportés par ces études permettent d’apporter de l’argent frais aux hôpitaux qui ont de plus en plus de difficulté à rester économiquement en équilibre.
On perçoit cependant les questions d’ordre déontologiques et éthiques qui peuvent en découler. Si la participation des patients à des études cliniques a un impact positif certain sur la connaissance des principes de la médecine evidence-based et sur leur mise en application, ce manque de transparence structurelle est rarement souligné. Afin de contrer cette influence passive des chercheurs, des garde-fous ont été mis en place, notamment celles qui concernent les droits du patient et le consentement éclairé.

Alessandra D’Angelo