Quatre morts à Awans : l’hypothèse de la décompensation psychotique pour expliquer le drame
Lundi 28 février, les corps sans vie de quatre membres d’une même famille ont été retrouvés dans une habitation de la rue du Commandant Naessens, à Villers-L’Évêque, en province de Liège. Le père, Michel Mourad (44 ans) a tué ses deux adolescents, Julien (15 ans) et Lucas (12 ans), et sa femme, Candice Harray, à l’arme blanche, avant de se donner la mort. Une crise familiale serait à l’origine du drame. Selon le voisinage, le couple, marié depuis 2006, connaissait quelques difficultés à tel point qu’une séparation était envisagée. Comment un tel drame a-t-il pu se produire ? On revient sur les faits avec Natalia Grynchychyn, spécialisée en psychothérapie systémique et hypnothérapeute.
Le drame s’est déroulé entre 23 heures, le dimanche 27 février et le lundi matin, 2 heures. C’est une tierce personne qui a découvert les corps et a immédiatement donné l’alerte. Lorsque les secours sont arrivés sur place, il était déjà trop tard, le père, la mère et les deux enfants étaient décédés. À leur arrivée sur les lieux, la police a retrouvé Julien, Lucas et Candice H. dans leurs chambres respectives, tandis que Michel M. se trouvait à la cave.
Selon les premières constatations du médecin légiste, Candice H. aurait été tuée la première à l’aide d’une hache. L’auteur aurait ensuite endormi ses enfants, ce qui est confirmé par la présence de médicaments près des corps des enfants, avant de les poignarder. Michel H. aurait ensuite mis fin à ses jours avec une scie circulaire.
Un homicide-suicide
D’après les premières informations du parquet, confirmées par Catherine Collignon, premier substitut du procureur Roi, Candice H. et Michel M. étaient sur le point de se séparer. Kinésithérapeutes tous les deux, ils vivaient toujours ensemble, leur cabinet professionnel étant aussi situé au domicile familial. L’auteur semblait très mal vivre la perspective d’un divorce. Une lettre laissée sur place accrédite ce mobile. Michel M. n’était pas connu de la justice. Il n’avait pas de casier judiciaire. La famille résidait dans ce quartier aisé de la commune d’Awans, sur es hauteurs de Liège, depuis 2015.
Dans ce type de drame, le raccourci-clavier est tentant de ramener le crime à un féminicide. Or, aucun fait de violence n’est rapporté au sein du couple. Il s’agirait plutôt d’un homicide-suicide si l’on s’en réfère à la littérature internationale. D’un point de vue clinique, il peut être défini par tout meurtre (ou tentative de meurtre) suivi d’un suicide (ou de tentative de suicide) dans un délai « bref ». Les auteurs considèrent que ce délai peut aller jusqu’à quelques jours, mais la majorité d’entre eux s’accordent pour le limiter à 24 heures.
Les approches psychopathologiques précisent que dans 85% des cas, les meurtriers sont de sexe masculin et plus âgés que leur(s) victime(s) ; 80% des victimes sont de sexe féminin et sont souvent des femmes qui sont les (ex) conjointes du meurtrier.
De manière générale, il existe un lien privilégié entre tous les protagonistes. L’ensemble des études américaines et la majorité des études européennes rapportent aussi que l’arme à feu est la méthode la plus utilisée. Dans la majorité des cas, le passage à l’acte a lieu au domicile de l’auteur et/ou de la (des) victime(s). Quand il se produit au domicile, c’est dans la chambre qu’il a lieu le plus souvent.

Copyright : Le domicile du couple à Villers-L’Évêque – capture d’écran Facebook
L’élément déclencheur : le syndrome de l’abandon
Dans le contexte d’une rupture sentimentale, le trouble le plus fréquemment retrouvé chez l’auteur d’un acte homicide-suicide est la dépression, ce pourquoi dans un grand nombre de cas l’impulsion suicidaire préexiste au passage à l’acte.
« Ce sont des personnalités abandonniques marquées par une structuration personnelle fragile, que ce soit dans le rapport à la mère ou dans le contexte de relations amoureuses précédentes. Le suicide dans ce cadre peut être considéré comme le meurtre de soi-même. C’est le point final mis à la remise en question d’une identité. Dans son inconscient, l’individu a le sentiment qu’il ne peut plus s’appuyer sur personne. Avec une probable énième rupture affective, le sujet éprouve la crainte de perdre l’équilibre émotionnel qu’il s’était construit. Sans cette image de la famille parfaite dans une jolie maison, il n’est plus rien. Du ressentiment, en même temps qu’un profond désarroi se mettent en place », nous explique Natalia Grynchychyn.

Copyright : Candice Harray et Michel Mourad – Capture d’écran Facebook
Couteau, hache, scie circulaire, les homicides-suicides sont souvent marqués par leur caractère particulièrement violent. « Pour pouvoir imaginer et appréhender la violence de l’acte, il faut pouvoir se mettre dans la tête de l’auteur. La mise en scène dans l’agir criminel est à la hauteur de sa souffrance », poursuit Natalia Grynchychyn. « Lorsqu’un individu en plein effondrement narcissique entre dans une décompensation psychotique, il y a une indifférenciation qui s’opère entre lui et l’autre. Il forme un tout avec les membres de sa famille. Symboliquement, c’est le concept de famille qu’il tue ».
Dissociation et déréalisation
Et de préciser : « Le fait que le drame se soit produit durant la nuit n’est pas surprenant dans ce contexte. Notre cerveau reptilien, qui gère les comportements de survie de base, soit manger, boire, se reproduire, se défendre, prend le dessus à 80%. On n’est plus dans les émotions. L’individu est dissocié. Il agit de manière factuelle. L’inconscient lui envoie le message suivant : je vais te protéger de ce qui te fait mal. Et ce qui te fait du mal, c’est cette image de famille détruite. La déréalisation est une pathologie dissociative qui rend tout autour de soi comme irréel. Dans une situation de stress intense, le cerveau va chercher à se protéger en s’anesthésiant. C’est ce qui provoque la déréalisation. Paradoxalement, l’instinct de survie est alors le catalyseur du passage à l’acte puisque la situation est perçue par le sujet comme synonyme de danger de mort ».
« Fort probablement que le drame ne se serait pas produit en plein jour. Et c’est la raison pour laquelle certains de mes patients craignent de s’endormir et développent une hypervigilance nocturne. La nuit, le cerveau fait moins la différence entre ce que notre inconscient nous envoie comme messages imaginaires et la réalité », ponctue Natalia Grynchychyn.
Sur le plan pénal, l’action publique est éteinte dans cette malheureuse affaire. Il n’y aura pas de procès puisque l’auteur des faits s’est donné la mort. Mais cela ne signifie pas pour autant la clôture de ce dossier. Le juge d’instruction en charge de cette affaire peut poser tous les actes et devoirs qu’il estime nécessaires à la manifestation de la vérité.
