ECONOMIE

Qui est Vanguard Group, ce fonds actionnaire de Pzifer, Johnson&Johnson et Moderna ?


Les chiffres donnent le tournis. Vanguard Group est un fonds d’investissement américain qui gère la bagatelle de 7.200 milliards de dollars d’actifs investis au profit de plus de 30 millions d’investisseurs, soit plus que le PIB de la France et de l’Allemagne réunies. C’est la deuxième société d’investissement au monde, après BlackRock, le plus grand émetteur de fonds communs de placement et le deuxième émetteur d’ETF. Depuis le début de la pandémie, le groupe est régulièrement évoqué pour les parts qu’il détient dans le capital de plusieurs laboratoires ayant développé et commercialisé des vaccins anti-Covid. Mais Vanguard ne s’intéresse pas qu’à notre santé, il a aussi investi chez Microsoft, Apple, Amazon, Michelin, Monsanto, MacDonald’s, Disney, Coca-Cola et Philip Morris. De l’audiovisuel, en passant par l’industrie, le bâtiment et les nouvelles technologies, on retrouve dans tous les secteurs ce géant du capital financier. Est-il le nouveau maître du monde ? On fait le point.

La démocratisation de la gestion « passive »

Le groupe est fondé en 1975. Il a été longtemps dirigé par John Clifton Bogle. C’est lui qui a nommé The Vanguard Group la société américaine de fonds d’investissement. Pour la référence symbolique, la classe Vanguard est un méga cuirassé de la Royal Navy dont le premier a été construit en 1909 et le dernier, le HMS Vanguard, en 1941.

Bien que la croissance du fonds ait été initialement lente, il a décollé grâce au lancement du premier fonds indiciel au monde. John Clifton Bogle affirme depuis qu’il est impossible pour les fonds classiques gérés activement de battre les fonds gérés passivement. Dans l’Amérique de Ronald Reagan des années 1980, les frais de gestion des fonds de pension revenaient alors à 2% par an.

Avec cette démocratisation de la gestion passive, ces fonds reviennent jusqu’à dix fois moins chers aux clients. Le ratio de dépenses moyen des fonds de Vanguard est de 0,09 % à la fin de 2021, contre 0,54 % en moyenne dans le secteur des fonds communs de placement. Et dans un environnement plus concurrentiel que jamais, les investisseurs ont parfaitement intégré que chaque dollar alloué en frais de gestion est un dollar en moins pour la rentabilité potentielle de l’investissement.

La rentabilité et la diversification avant tout

Vanguard cherche aujourd’hui à acquérir le capital le plus diversifié et le plus rentable possible. Collectivement, les 30 millions d’investisseurs des fonds Vanguard détiennent donc des parts significatives dans de grandes sociétés comme Google, Facebook, Twitter, Youtube, WhatsApp, American Express, ExxonMobil, Dow Chemical ou encore Foxconn. Vanguard aussi le premier actionnaire de Goldman Sachs devant State Street Corporation et le premier actionnaire d’Apple. Il est le second actionnaire principal de Tesla.

Concernant les sociétés pharmaceutiques, sur Twitter notamment, les publications virales sont légion, comme ce thread indiquant que « le 1er actionnaire de Pfizer est le groupe Vanguard. Le 1er actionnaire de Johnson & Johnson est le groupe Vanguard. Le 3ème actionnaire d’AstraZeneca est le groupe Vanguard. Le 4ème actionnaire de Moderna est le groupe Vanguard. Le 3ème plus grand actionnaire de Sanofi est le groupe Vanguard ».

Vanguard est bien le premier actionnaire de Pfizer, avec près de 8,05% des parts. C’est également le premier actionnaire de Johnson & Johnson, dont le groupe possède quelque 8,79% du capital. Et ses 6,34% de parts au sein de Moderna en font le deuxième actionnaire de la biotech, après Baillie Gifford, un autre fonds d’investissement britannique.
Avec des parts moins importantes, Vanguard fait aussi partie des actionnaires d’AstraZeneca avec 2,32% et Sanofi avec 2,32%. Le fonds est également un des plus gros détenteurs d’actions d’autres groupes pharmaceutiques, comme Eli Lilly ou encore Abbvie.

Les sociétés pharmaceutiques ne représentent cependant qu’une infime partie de ses investissements. De plus, être premier actionnaire ne signifie pas pour autant être actionnaire majoritaire.
Le second possède plus de la moitié des parts d’une entreprise, tandis que le premier est simplement l’actionnaire détenant la quantité la plus importante d’actions dans un groupe, et peut l’être alors même qu’une faible proportion des titres lui appartient. Le statut de premier actionnaire ne donne donc pas nécessairement le pouvoir de peser sur les décisions d’une société.

 Une influence indirecte et structurelle

De par leurs positions minoritaires dans les entreprises, ces fonds sont considérés comme « passifs ». Contrairement aux fonds de capital-investissement qui vont viser des entreprises non cotées en développement ou en redressement dans l’optique d’une plus-value à moyen ou plus long terme, la logique suivie par les fonds d’investissement dits gestionnaires d’actifs relève d’une stratégie de diversification ultime de leur capital.
Afin de limiter les risques, ils cherchent à diluer leurs investissements entre une myriade d’entreprises. Ceci ne signifie pas qu’ils n’ont pas de pouvoir du tout, mais leur influence est plus indirecte et plus structurelle.

Avec BlackRock et State Street Global Advisors, Vanguard forme le groupe de ce que l’on appelle communément Big Three, celui des trois fonds d’investissement gérant les plus gros capitaux d’actifs financiers.
Ce statut fait d’eux les actionnaires de référence d’un grand nombre de multinationales, ont montré trois chercheurs de l’université de Cambridge dans une étude sur leur pouvoir caché, Hidden power of the Big Three? Passive index funds, re-concentration of corporate ownership, and new financial risk (Link vers : https://www.cambridge.org/core/journals/business-and-politics/article/hidden-power-of-the-big-three-passive-index-funds-reconcentration-of-corporate-ownership-and-new-financial-isk/30AD689509AAD62F5B677E916C28C4B6).

Les gestionnaires d’actifs n’ont pas un pouvoir d’influence direct puisqu’ils ne prennent pas le contrôle des entreprises, mais peuvent voter aux assemblées générales, pour ou contre le management des conseils d’administration si celui-ci ne leurs satisfait pas.

 Les nouveaux maîtres du monde ?

Ces grands gestionnaires d’actifs américains ont pris une place d’importance dans l’écosystème financier mondial. Réunis, ils gèrent aujourd’hui plus de 13.000 milliards de dollars, soit plus de cinq fois le PIB de la France et plus que le PIB de la Chine.
On les trouve en tête de l’actionnariat de 90 % des entreprises qui composent l’indice S&P 500 (un indice boursier basé sur 500 grandes sociétés cotées sur les bourses aux États-Unis).
En l’espace de quelques années, ils ont bouleversé le marché de l’investissement et la tendance n’est pas près de s’inverser.
«  Nous assistons à une concentration de l’actionnariat inédite depuis l’époque de John P. Morgan et John D. Rockefeller », écrivent les auteurs de l’étude. Cette concentration du pouvoir actionnarial entre les mains d’une poignée d’acteurs, dont l’hégémonie ne cesse de se renforcer, inquiète de part le pouvoir de vote qu’ils ont dans les assemblées générales face aux états-majors des entreprises. Les Big Three règnent-ils désormais en maître du monde ? Ils se présentent à tout le moins eux-mêmes, ironiquement, comme la « main invisible du marché », une expression reprise de l’économiste écossais Adam Smith.

Alessandra D’Angelo