Et si les « pure players » de l’info avaient inventé l’uberisation du journalisme ?
L’offre de contenus écrits en ligne de la RTBF menace la survie de la presse écrite. Telle est la conclusion d’une étude réalisée à la demande de Lapresse.be. La réflexion développée permet d’éclairer la position que détailleront les éditeurs de presse quotidienne dans le cadre des discussions en cours au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles en vue de la rédaction du prochain contrat de gestion de la RTBF (2023-2027). Elle précise ensuite les différents modèles économiques de la presse écrite online et examine si la diffusion de tels contenus gratuits par un opérateur public est en concurrence avec les éditeurs privés sur le terrain de la presse écrite numérique. Et si le débat au fond était ailleurs ? C’est une certitude : la presse papier est en crise. Avec les pure players d’information indépendants des grands groupes et qui font le pari de la presse 100% en ligne, l’ubérisation du journalisme n’est-elle pas déjà irréversiblement en marche ?
Un modèle économique alternatif
Les professeurs P. Belleflamme (UCLouvain), A. Gautier (ULiège) et X. Wauthy (Université Saint-Louis) ont présenté ce 9 mai 2022 une étude intitulée : « Convergence numérique et évolution du modèle d’affaires de la presse écrite en Fédération Wallonie-Bruxelles ». Celle-ci analyse l’écosystème médiatique et les effets de la convergence numérique sur celui-ci.
S’appuyant sur cette étude, les éditeurs entendent susciter une réflexion globale sur les conditions de la réussite d’une économie numérique de l’information et du maintien d’un réel pluralisme dans ce domaine en Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais, qu’en-t-il sur le terrain de l’ubérisation ?
On lit sur ces plateformes, ce que l’on ne lit pas ailleurs.
Si l’on s’en tient au mot seul, l’uberisation est un néologisme qui consacre le modèle commercial inventé par les fondateurs d’Uber consistant à « mettre des ressources ou un service à disposition des clients depuis leurs smartphones, à tout moment et sans délai ».
Et l’ubérisation du journalisme a débuté bien avant l’arrivé d’Uber. Rue 89, Atlantico, Huffington Post, Mediapart, ces pure players ont débarqué, il y a quelques années sur nos écrans, avec des modèles économiques alternatifs et l’envie de donner un nouveau souffle à l’information. Outre l’indépendance, leur objectif premier est de répondre aux nouvelles attentes des consommateurs d’actualités, à savoir, leur offrir, en plus de l’information, un prisme en lecture différent, des opinions alternatives, mais aussi la possibilité de participer à l’information via des blogs ou des capsules vidéo.
De la qualité validée payante
Côté modèle économique, comme les médias classiques, les sites pure players n’échappent pas à l’intransigeante rentabilité pour faire vivre durablement une rédaction. Entre le tout gratuit financé par la publicité et l’accès payant, personne n’a encore trouvé LE modèle viable sur un segment de marché en totale transformation. Toutefois, si le premier a longtemps prévalu comme la parade miracle à la désaffection des lecteurs et des annonceurs pour les éditions papier, aujourd’hui, les convictions sont autres.
La notion de qualité en lecture a progressivement cheminé vers le payant. C’est la stratégie de Mediapart qui tire 95% des revenus du site de ses abonnés, le reste provenant de revente de contenus et d’édition de livres d’enquête.
Une avant-garde éditoriale
Certes, ces start-ups n’ont pas les mêmes moyens d’investigation que les grands groupes de presse. Néanmoins, ces contraintes les poussent à réinventer la transmission de l’information en proposant des formats plus longs, presque magazine, et surtout en abordant l’actualité sous un angle particulier.
En résumé : on lit sur ces plateformes, ce que l’on ne lit pas ailleurs. Les pure players font aussi régulièrement appel à des contributeurs extérieurs pour écrire des témoignages, des opinions ou des tribunes. Les sites s’enrichissent ainsi en contenus alternatifs originaux. Et cette spécificité éditoriale dans le paysage de l’information est véritablement salvatrice à l’heure où le secteur est en crise.
D’ailleurs, Rue 89 a été racheté en 2012 par le Nouvel Obs et d’autres ont depuis suivi dans la foulée. Le dernier en date : le groupe Le Monde. Il est devenu, en décembre 2021, l’actionnaire majoritaire (51%) du Huffington Post. Tout un symbole, non ?
