Salman Rushdie, la mort aux trousses, victime d’un « Jihad du pauvre »
Les policiers britanniques ont remonté la piste de l’origine des couteaux en se rendant compte que la mention « Ernesto » était écrite sur les manches, le nom de la gamme vendue par l’enseigne de hard discount. Crédit: archives Scotland Yard/Attentat du London Bridge. Depuis les attentats de Paris et de Bruxelles, le terrorisme a changé de visage. L’attentat de Nice au camion-bélier en 2016, l’attentat de Manhattan à la voiture en 2017, Samuel Paty décapité à Conflans-Sainte-Honorine en 2020 ou la récente agression de Salman Rushdie n’en sont que quelques exemples. Dans les pays occidentaux, la commission d’attentats perpétrés sans armes à feu renouvelle la donne de la sécurité publique. Ces attentats ont la particularité de nécessiter peu d’investissement. Couteau de cuisine, voiture ou camion, les auteurs détournent des objets du quotidien de leur usage premier. Alain Bauer, criminologue français, qualifie ce type d’assaillants de « lumpen-terroristes », soit des terroristes de basse intensité, de simples voyous, dont certains sont même inconnus de l’Etat islamique ou de ce qu’il en reste. Le mode opératoire, par sa simplicité, ne permet pas de déceler des signes avant-coureurs. Ce terrorisme low cost, sorte de « Jihad du pauvre », est aussi la face sombre de la mondialisation. Ces individus utilisent les nouvelles technologies pour se financer. Peu d’argent peut faire beaucoup de victimes.
Longtemps, le terrorisme fut une affaire d’Etat. Il était nécessaire d’obtenir soutien, aide, assistance, camps d’entraînements, armes, financements, passeports et autres moyens de survie d’un Etat pour pouvoir opérer. En 2017, quatre livres sterling l’unité, soit moins de cinq euros chez Lidl, sera le prix payé par Khuram Butt, Rachid Redouane et Youssef Zaghba, les trois terroristes du London Bridge, pour acquérir les couteaux en céramique rose de 30 centimètres qu’ils utiliseront pour poignarder leurs victimes. En 1845, Karl Marx avait inventé le concept de « Lumpenprolétariat » pour désigner un sous-prolétariat dans son ouvrage « L’idéologie allemande ». Par analogie, le criminologue Alain Bauer parle aujourd’hui de « lumpen-terroristes ». Dans les pays occidentaux, les trajectoires de ces terroristes low cost font apparaître le profil de petits ou moyens délinquants.
Une invisibilité défi
Les nouveaux « opérateurs » ne sont plus importés de l’extérieur, mais sont pour la plupart nés sur le sol des pays cibles. Des terroristes implantés ont ainsi, peu à peu, remplacé les habituels opérateurs importés. L’acquisition de leurs moyens d’action échappe à tout recoupement de signaux de dangerosité. Il n’est pas possible, a priori, de déterminer l’utilisation qui sera faite d’un couteau de cuisine ou d’une hachette. Or, il n’est pas interdit d’acheter, puis de transporter un quelconque « outil » contondant. Enfin, la modicité du prix de ces articles permet un achat facile et le règlement ne nécessite pas la production d’une pièce d’identité.
Ces attaques low cost constituent un défi nouveau pour les forces de l’ordre. Avant de passer à l’acte, l’assaillant est invisible dans ses mouvements. Le modus operandi, sans préparation logistique, ne permet pas de déceler des signes avant-coureurs d’une quelconque préméditation. Ce « Jihad du pauvre » place le curseur à un niveau élevé en termes de sécurité.
Peu de financement
Après le choc planétaire du 11 septembre 2001, la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme est devenue réalité. Sur le plan des financements occultes du terrorisme, aujourd’hui grâce aux garde-fous bancaires et de par la structuration d’organismes spécialisés qui traquent la grande délinquance financière, un attentat de cette envergure ne pourrait plus passer entre les mailles du filet. En conséquence, les terroristes se sont adaptés pour contourner les législations internationales et échapper aux radars de l’anti-terrorisme.
Si le coût des attentats du 11 septembre a été estimé entre 350 et 400.000 dollars, la plupart des attaques commises récemment sur le sol européen ont coûté moins de 10.000 euros, les attentats à l’arme blanche coûtant le moins cher. Peu d’argent, mais peut faire beaucoup de victimes. Ainsi, quinze ans après le World Trade Center, pour l’attentat de Nice à la voiture piégée, coût de l’opération : 2.500 euros, 86 morts et 458 blessés. Les mouvements islamistes, comme les assaillants isolés qui s’en inspirent, utilisent les nouvelles technologies pour financer leurs attentats low cost.
Le web : une manne en or
Les cagnottes en ligne, les plateformes de financement participatif, les escroqueries à la consommation, le commerce illicite, la contrefaçon et l’hameçonnage sont autant de sources de financement. Les réseaux terroristes recherchent cependant une certaine sécurité. Ils prennent alors appui sur des moyens comme Western Union ou Moneygram pour transférer les devises. Et la « Hawala », un processus de transfert d’argent d’un client à un collecteur en contact avec le destinataire finale de l’argent, brouille la traçabilité des transferts. Les cartes prépayées permettent également d’anonymiser les transactions. Le phénomène est accompagné par un processus d’accélération sensible de la radicalisation par le biais des médias sociaux. La gravité de la menace se situe aujourd’hui entre celle représentée par les organisations terroristes et celle d’individus qui se radicalisent seuls.
