CHAUCHEMAR SUR LES SITES DE RENCONTRES

Agression sexuelle : son rendez-vous Tinder vire au cauchemar

Pour plus de sécurité, depuis mars 2022, Tinder propose aux utilisateurs américains de vérifier le casier judiciaire des utilisateurs - AFP

Plus de 60 millions d’utilisateurs à travers le monde ont déjà succombé à ce grand jeu de la rencontre amoureuse. Les 30 milliards de correspondances comptabilisées par la plateforme commencent toutes de la même manière : en quelques swipes, on peut espérer un match entre les 75% d’hommes et les 25% de femmes inscrits. Mais pour certaines femmes, le cauchemar s’immisce dès les premiers mots échangés. Propos sexuels déplacés, insistance, l’application, où sévit une flopée de fausses identités, devient une zone de non-droit pour les prédateurs sexuels. Pour d’autres, l’enfer commence une fois la frontière du digital franchie, lors d’un rendez-vous avec l’inconnu. Les témoignages font froid dans le dos : brutalités sexuelles, viols, traumatismes psychologiques multiples et durables, c’est la face sombre du date Tinder. M.V., une bruxelloise de 28 ans que nous avons rencontrée, a été victime d’une agression sexuelle à la suite d’un match sur l’application de rencontre. Avec courage, elle témoigne.

Jeudi 6 octobre dernier, M.V. se prépare, heureuse. Mais elle ne le sait pas encore, la jeune uccloise a rendez-vous avec agresseur. Rendez-vous est donné dans un Airbnb loué pour la soirée. La porte s’ouvre. L’homme, arménien d’origine, 38 ans, est égal à sa photo de profil. M.V. est rassurée. Il lui offre un verre de vin et la conversation s’entame.

 Abus de confiance et abus de faiblesse

L’homme lui fait alors remarquer qu’elle semble tendue et peu à l’aise, ce qui est vrai. « Il m’a alors proposé une petite pilule en précisant que c’était comme un calmant, que cela n’allait pas me faire grand-chose, un peu comme le CBD ». Naïvement et à la fois sous le charme de cet homme, la jeune femme, qui ne boit pas d’alcool et qui n’a jamais fumé une cigarette de sa vie, accepte de lui faire confiance et avale ce qu’elle pense être du cannabis.

En fait, ce n’était pas du cannabis qu’il m’avait donné, mais de l’ecstasy, je le saurai après en lisant la signification de MDMA sur le net.

Quelques instants plus tard, elle entre dans une crise de panique totale. Elle se roule au sol, hurle de terreur, pleure, s’arrache les cheveux et tient un discours totalement décousu. Et c’est là que l’homme se fâche en lui disant qu’elle est totalement hystérique et qu’il n’a jamais vu personne avoir une telle réaction avec du MDMA. « En fait, ce n’était pas du cannabis qu’il m’avait donné, mais de l’ecstasy, je le saurai après en lisant la signification de MDMA sur le net. J’ai aussi commencé à avoir des hallucinations, à trembler de partout, je ne tenais plus sur mes jambes. Je faisais un vrai bad trip ».

La soirée avance. M.V. revient quelque peu à elle-même, mais se sent encore très mal. « J’ai fait plusieurs aller-retour à la salle de bain, j’ai essayé de me rafraîchir, ce mal-être était insupportable. J’ai alors voulu appeler les secours, mais il m’a arraché mon téléphone. Il m’a crié qu’on n’appelle personne quand on est défoncée et qu’il serait préférable que je m’allonge et que si j’étais gentille, il resterait à côté de moi jusqu’à ce que cela passe, même si je lui avais gâché sa soirée avec mes conneries ». L’homme somme alors la jeune femme d’enlever ses vêtements. Très faible et apeurée, M.V. s’exécute. « Il s’est alors dénudé également, s’est couché et m’a agressée sexuellement, tout en m’humiliant verbalement. Je fermais les yeux et ne pensais qu’à une chose : que Dieu me ramène à la maison vivante ». La jeune femme sera finalement jetée sans aucun égard par son abuseur dans sa voiture. « Je ne sais pas comment je suis rentrée saine et sauve chez moi. J’avais la vue trouble, je claquais des dents, j’avançais au radar ».

 Une inertie de protection

« Vous n’avez pas crié, alors qu’il vous a violée ? Vous n’avez pas su dire non ou pire, vous ne vous souvenez de rien ? », ce sont souvent les remarques teintées de reproches que l’on entend de la part d’un magistrat devant un tribunal. « L’inertie est une forme d’hypnose de protection », nous explique Gérald Brassine, thérapeute, hypnotiseur judiciaire. « L’hypnose est un état modifié de conscience naturel que l’on vit tout le temps. On décroche de la réalité. On dit d’ailleurs dans le langage courant ‘être dans la lune’. Lorsque vous êtes victime d’un trauma, d’un accident, d’un attentat ou d’un viol, l’état hypnotique permet une diminution de la perception de la douleur et une désinhibition de certaines pensées. L’anesthésie est tant physique qu’émotionnelle. Pour ne pas avoir mal, la victime devient le spectateur de son trauma ».

L’hypnose est un état modifié de conscience naturel que l’on vit tout le temps.

Le fardeau de la culpabilité

Deux jours après les faits, M.V. se rendra aux urgences, toujours en état de choc, pour être prise en charge par un médecin. Mais le sentiment de culpabilité, la honte d’avoir été bernée et une estime d’elle-même proche de zéro la submergent toujours. « Je suis victime et pourtant, je me sens tellement sale et responsable de ce qui s’est passé. Ces sentiments vont devoir être travailler avec une équipe pluridisciplinaire, m’a-t-on dit, pour qu’ils s’effacent peu à peu. Il me faudra du temps. Je dois me répéter que cet homme est un prédateur et que ce que j’ai subi est un viol. Oui, j’ai accepté cette invitation, personne ne m’a forcée, mais je n’ai jamais consenti au reste ». Entretemps, comme la plupart des victimes d’agressions sexuelles, M.V. n’ose pas porter plainte. La peur de dénoncer son agresseur, la peur de ne pas être crue, comme la peur d’être jugée sont autant de facteurs qui anesthésient l’action en justice chez beaucoup de victimes.

La responsabilité de Tinder

La seule option sur Tinder est de signaler l’agresseur à la plateforme. En outre, si un individu se comporte mal sur Tinder, il sera également bloqué sur toutes les autres applications de rencontre appartenant au groupe Match (Match.com, Tinder, Meetic, Disons Demain et une quarantaine d’autres services). L’entreprise a aussi récemment mis en place un partenariat avec Garbo, une société qui permet aux utilisateurs de savoir si leur « match » a des antécédents judiciaires, des signalements de violence ou de maltraitance. Elle s’est enfin dotée d’un portail permettant aux forces de l’ordre ou à des associations d’obtenir des renseignements sur des personnes signalées afin de faciliter les poursuites.

Ce renforcement de la transparence pour moins d’impunité est certes une avancée, mais demeure relativement inefficace lorsque le prédateur dont le compte est supprimé se réinscrit avec un nouvel identifiant et un nouveau numéro de portable. Redoubler de vigilance est donc le meilleur des gestes préventifs.

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