France : La cagnotte pour le policier qui a tué Nahel est légale, mais sème le trouble
L’économiste et homme politique français d'origine égyptienne Jean Messiha à l’origine de la cagnotte en faveur de la famille du policier qui a tué Nahel. AFP Ce lundi 3 juillet, en milieu de journée, la cagnotte lancée par le polémiste d’extrême-droite Jean Messiha pour « soutenir la famille du policier » qui a tiré sur Nahel dépassait le million d’euros, soit nettement plus que celle lancée en faveur de la famille de Nahel. Cette dernière action aurait engrangé, à ce jour, moins de 200.000 euros. L’initiative, lancée par un ancien proche d’Eric Zemmour, au profiit de la famille du policier, provoque un certain malaise. Elle est critiquée par le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti et d’autres acteurs de la vie politique française, à droite et à gauche.
C’est donc Jean Messiha, polémiste d’extrême-droite bien connu, qui est à l’origine de cette initiative du succès dont il se vante bruyamment sur les réseaux sociaux depuis plusieurs jours. L’initiative, si elle est légale, suscite pourtant interrogations et malaise.
Pour le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, s’exprimant sur les ondes la radio publique France Inter, le lancement de cette cagnotte « ne va pas dans le sens de l’apaisement », même si « chacun peut y participer ». Eric Ciotti, président des Républicains, qui appelle depuis plusieurs jours à l’instauration de l’état d’urgence, fait la différence, quant à lui, entre l’action initiée par Jean Messiha et une autre, venant de collègues du policier inculpé pour homicide volontaire : « Il y a une cagnotte qui vient d’une origine politique, ce n’est peut-être pas sain, il y en a une autre qui vient des motards de la police nationale. C’est une démarche que je comprends et qui ne me paraît pas contraire à nos principes. Qu’on soutienne la famille d’un policier qui est aussi dans une épreuve ne me paraît pas choquant ». Et d’ajouter qu’il « pourrait » contribuer à cette deuxième cagnotte.
Il y a une cagnotte qui vient d’une origine politique, ce n’est peut-être pas sain, il y en a une autre qui vient des motards de la police nationale.
D’autres élus de la République, eux, condamnent le geste de Messiha. C’est notamment le cas de Thomas Portes (LFI, extrême gauche) ou d’Eric Bothorel (Renaissance, majorité présidentielle), qui dénoncent une cagnotte « indécente et scandaleuse » qui fixe « le prix de la vie des jeunes enfants noirs et arabes ».
« Montrer de quel côté est la France »
S’il semble bien que la cagnotte de Messiha soit légale, on remarquera toutefois qu’elle avait d’abord été lancée sur « Leetchi » qui l’a rapidement fermée, parce qu’elle « ne respectait pas ses conditions générales d’utilisation ». Elle a alors migré sur « GoFundMe » qui estime qu’elle est « conforme » à ses règles, mais insiste sur le fait que l’argent sera versé à la famille du policier (qui doit, entre autres déménager, son adresse ayant été publiée sur les réseaux, ce qui l’a exposée à des menaces) et pas à la défense en justice de ce dernier : la plateforme s’interdit en effet de financer les frais de justice d’auteurs présumés de crimes ou délits.
Jean Messiha, lui, voit dans le succès de sa cagnotte un message politique clair et net qui « montre au gouvernement de quel côté est la France. » Sur Twitter, il se félicitait, ce week-end, de voir son initiative figurer « dans le top 5 des plus grosses cagnottes du monde ».
Son message, en tout cas, est sans ambiguïté : « Soutien pour la famille du policier de Nanterre, Florian M. qui a fait son travail et qui paie aujourd’hui le prix fort » explique-t-il dans l’intitulé de la cagnotte.
Reste que ce « travail bien fait » aux yeux du militant est contesté par le parquet, puisque le policier a été mis en examen pour homicide volontaire. Et même si, ce qui est possible, les faits finissent par être requalifiés, loin de défendre la loi et l’ordre qui lui sont, dit-il, si chers, Jean Messiha prend la défense d’un policier dont le comportement a abouti à la mort d’un gosse de 17 ans.
AFP Des policiers arrêtent des suspects dans une rue de Nice, dans le sud-est de la France, le 1er juillet 2023, au cours de la cinquième nuit d’émeutes à la suite de la fusillade d’un adolescent au volant dans la banlieue parisienne de Nanterre le 27 juin. (AFP).
Des donateurs influencés par les émeutes ?
Pour autant, les plus de 50.000 donateurs qui ont alimenté la cagnotte litigieuse sont-ils des soutiens résolus des tirs sur un adolescent ? On peut espérer que non et que les graves troubles qui ont enflammé la France depuis mardi dernier sont pour beaucoup dans leur réflexe qui, dès lors n’illustreraient rien de plus que le désarroi et la colère face à des violences inexcusables. Le fait est en tout cas que l’augmentation vertigineuse des dons a été concomitante à ces violences, parfois extrêmes, que nous avons régulièrement évoquées ces derniers jours.
Mais qui est Jean Messiha ?
La personnalité de Jean Messiha, précisons-le est complexe, mais particulièrement clivante. Né « Hossam Boutros Messiha », dans une famille cairote de religion copte, il est le fils d’un diplomate égyptien et d’une chimiste. Arrivé en France sans parler la langue, il a payé ses études en travaillant dans l’hôtellerie. Diplômé en économie, puis en sciences politiques avant d’intégrer l’ENA, il entre, en 2005, au ministère de la Défense comme haut fonctionnaire. Jusque-là, rien à dire : le parcours est plus qu’honorable et Messiha n’a pas tort de se décrire comme un « modèle d’intégration et d’assimilation ».
Politiquement, hélas, les choses sont moins brillantes. Il a commencé à gauche (aux jeunesses socialistes) et a été fortement influencé par le souverainisme de Jean-Pierre Chevènement qui souhaitait marier la gauche avec une certaine forme de nationalisme. Il a alors entamé un parcours qui l’a amené à rejoindre le Front national en 2016 et à animer une cellule de réflexion formée de hauts fonctionnaires conseillant Marine Le Pen. Des désaccords portant apparemment sur sa carrière au sein de la formation d’extrême-droite, mais également sur la stratégie de « dédiabolisation » initiée par Marine Le Pen, l’ont poussé à quitter le mouvement et à se rapprocher brièvement d’Eric Zemmour en 2022.
Il est aujourd’hui chroniqueur dans les médias et utilisateur compulsif des réseaux sociaux, activité qui lui a valu une condamnation pour injure publique en octobre 2021 mais aussi diverses accusations pour homophobie.
Au-delà de son côté éthiquement discutable, il est donc permis de penser que la création de la cagnotte est, surtout, un coup de pub personnel destiné à élargir son influence. Regrettable.
Hugues Krasner
