Niger : Retrait à haut risque pour les troupes françaises
Le retrait de l’armée française du Niger sera une opération à haut risque. D’une part l’état-major craint des attaques de dernières minutes de Groupes armés terroristes (GAT), d’autre part, on est conscient, à Paris, que des incidents avec l’armée nigérienne ne sont pas exclus. Le point sur une situation particulièrement tendue.
Paris a résisté durant des semaines face aux demandes pressantes de la junte qui a pris le pouvoir à Niamey le 26 juillet dernier et qui exigeait, depuis deux mois, un retrait des troupes tricolores. La position officielle de la France a longtemps été que le contingent français était présent au Niger à la demande du Président légalement élu Mohamed Bazoum (une requête qui, à l’époque, avait été entérinée par un vote du parlement nigérien), seul le même Bazoum pouvait donc défaire ce qu’il avait fait et négocier le retrait.
Mais les semaines ont passé et il est devenu clair que l’intervention militaire décidée par la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) pour chasser la junte n’aurait pas lieu et que Mohamed Bazoum resterait donc en résidence surveillée et privé de tout pouvoir. Les véritables maîtres du pays sont donc, qu’on le veuille ou non, les militaires qui l’ont renversé.
Principe de réalité et virage à 180°
Ce principe de réalité a entrainé un virage à 180° de la France qui a dès lors accepté l’inévitable et admis que le retrait des quelques 1500 soldats français présents dans le pays était la seule solution réaliste. Le gros de ce contingent (environ 1 100 soldats) est basé à l’aéroport de Niamey tandis que 400 hommes sont stationnés à Ouallam, dans la zone des trois frontières (Niger, Mali, Burkina Faso), à l’ouest du pays. Fin septembre Emmanuel Macron déclarait à la télévision que le retrait serait terminé « avant la fin de l’année ».
Les militaires craignent que Paris puisse, depuis le Bénin, mener des opérations de déstabilisation du nouveau pouvoir
Début octobre, dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux, la junte qui s’est baptisée « Conseil national pour la sauvegarde de la patrie » (CNSP), assurait, de son côté, que « le CNSP et le gouvernement nigérien seront attentifs à ce que ce retrait se fasse dans le respect de leurs intérêts et selon leurs conditions ». Une position qui ne faisait que réaffirmer celle du chef de la junte, Abdourahamane Tiani, qui soulignait, le 30 septembre, que les futures relations avec Paris seraient dictées « par le peuple nigérien. »
En particulier, la junte affirmait, ces derniers jours, vouloir décider à la fois du calendrier de ce retrait et des conditions de son exécution. Hors de question pour Niamey, par exemple, d’accepter que les Français se replient vers le Bénin, étant donné « l’attitude hostile » de ce pays. Les militaires craignent que Paris puisse, depuis ce pays voisin, mener des opérations de déstabilisation du nouveau pouvoir, voire même appuyer une éventuelle opération militaires de la CEDAO (même si celle-ci ne semble plus être à l’ordre du jour).
Pour Paris, c’était trop. Emmanuel Macron, comme l’état-major, souhaitent en effet que les troupes soient redéployées au Bénin et au Tchad, de manière à pouvoir continuer à mener des opérations anti-terroristes dans une région de plus en plus soumise à la pression des groupes terroristes du JNIM (Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn ou « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans », la filiale locale d’al Qaïda) et de l’Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS).
Une pression d’autant plus insupportable que, non contente de s’exercer contre le Niger, le Mali et le Burkina Faso, qui ont connu, ces derniers mois, des attentats sanglants, celle-ci tend désormais à s’étendre à des pays voisins (Tchad, Bénin, Ghana, Cameroun, Guinée…) et pourrait menacer, à terme, les pays alliés de la France que sont le Sénégal et la Côte d’Ivoire sur la façade atlantique.
Si l’armée nigérienne entrave le désengagement français, les soldats tricolores riposteront et avanceront.
Le coût politique sera assumé
La réponse de Paris ne s’est pas fait attendre et le langage est ferme. Selon des fuites répercutées par les médias (entre autres par la radio privée « Europe 1 »), « La France ira jusqu’au bout, quel qu’en soit le prix à payer. L’Hexagone entend imposer son propre calendrier de retrait. » Toujours selon Europe 1, Emmanuel Macron aurait tranché et l’arbitrage du chef de l’État est des plus clairs : si l’armée nigérienne entrave le désengagement français, les soldats tricolores riposteront et avanceront. Le coût politique sera assumé.
Mais au-delà des mots, l’opération apparait comme étant particulièrement délicate car l’armée française évoluera dans un milieu particulièrement hostile, devant à la fois faire face à des menaces d’actions djihadistes, à de possibles manifestations et blocages de groupes civils de « patriotes » mais aussi, si les choses tournent mal, à l’armée nigérienne. En tout état de cause, on confirmait à Paris que l’opération devrait commencer « avant la fin de semaine », donc, probablement, en début de week-end.
Le président Macron déterminé
A l’heure où nous écrivons, dans la nuit de vendredi à samedi, plusieurs options de repli sont toujours sur la table, les pistes du Tchad ou du Bénin restant privilégiées par Paris (mais les forces nigériennes bouclent ces frontières). Et si le mouvement semble imminent, rien n’indique qu’il ne connaîtra pas de retard. Bref, toutes les options sont encore possibles. Nos sources proches de l’état-major répètent, elles, que le ministère de la Défense et le Président de la république sont déterminés, même si l’on ne cache pas espérer un accord de dernière minute qui débloquerait la situation.
Des contacts intensifs entre militaires nigériens et français ont eu lieu depuis jeudi et une cellule de coordination a été mise en place afin de « faciliter et de coordonner les opérations de désengagement à venir et de s’assurer qu’elles se dérouleront en toute sécurité, sous escorte des forces armées nigériennes ».
Mais l’on apprenait également ce jeudi que Paris avait positionné plusieurs chasseurs « Rafale » au Sénégal afin d’apporter, si nécessaire, un appui aérien aux militaires français si ceux-ci étaient pris à partie. On n’est jamais trop prudent….
Hugues KRASNER