Cinéma: l’édition 2024 du Festival de Cannes engluée dans un mauvais scénario
Homme courtois, présentant le 77ème Festival de Cannes qui, cette année, a lieu du 14 au 25 mai, Thierry Frémeaux, délégué général de l’événement, a évoqué un rendez-vous qu’il espère « pacifique, pacifié, joyeux et généreux ». Comment ne pas partager son espoir pour ce qui constitue le plus important festival de cinéma au monde ? Mieux, cette année, sur la Croisette et au Palais des Festivals avec son célèbre tapis rouge, on se plaît à parler d’un festival aux allures d’Hollywood Boulevard : la présidente du jury de la compétition officielle est Greta Gerwig, 40 ans, actrice, scénariste et réalisatrice (entre autres de « Barbie », le plus gros succès au box-office mondial en 2023 !), et l’immense réalisateur états-unien Francis Ford Coppola, 85 ans, absent de Cannes depuis quarante-cinq ans, sera en lice pour la Palme d’Or avec son nouveau film, « Megalopolis » (un long-métrage de science-fiction au budget colossal, 100 millions de dollars !)… Mais rumeurs et accusations d’agressions sexuelles ont déjà plombé l’atmosphère de la Croisette.
Panique à bord du Festival de Cannes
« Pacifique, pacifié, joyeux et généreux », répète, tel un mantra, Thierry Frémeaux. Pourtant, avec la présidente du Festival de Cannes, Iris Knobloch, en coulisses il ne cache pas qu’un vent mauvais souffle fort ces temps-ci sur le cinéma.
Le maintien à son poste du président du CNC qui sera jugé en juin pour agression sexuelle sur son filleul, crispe un secteur déjà sonné par la succession des scandales.
Ainsi, ces dernières semaines dans la foulée de la vague #MeToo et du procès de Gérard Depardieu qui, en octobre prochain, sera jugé pour agressions sexuelles sur deux femmes lors d’un tournage en 2021, les comédiennes Judith Godrèche et Juliette Binoche ont pointé les us et coutumes chez nombre de membres du monde du cinéma français. Des réalisateurs ont été ciblés, particulièrement Benoît Jacquot et Jacques Doillon qui auraient exercé une emprise psychologique et sexuelle sur des actrices encore adolescentes. L’hebdomadaire « Télérama » consacrait récemment sa « Une » et quatre pages intérieures à Dominique Besnehard qui, pendant quatre décennies, aura été un agent incontournable de tout ce qui comptait dans le cinéma français. Titre de la « une » de Télérama : « Dominique Besnehard. Enquête sur un agent trouble », tandis que le quotidien « Libération » titrait en « Une » : « Dominique Boutonnat. L’homme qui embarrasse le cinéma français ».
Le quotidien français expliquait : « Le maintien à son poste du président du CNC qui sera jugé en juin pour agression sexuelle sur son filleul, crispe un secteur déjà sonné par la succession des scandales #MeToo ». Précision : le CNC (Centre national du Cinéma et de l’Image animée) est, selon ses statuts, « un établissement public, qui dispose de recettes affectées pour apporter des soutiens aux arts de l’image animée, et c’est aussi une administration centrale, en charge de ce secteur sous l’autorité du ministre de la Culture »…
Accusations contre le producteur, Alain Sarde
Et ce 13 mai, veille de l’ouverture du 77ème Festival de Cannes, sur le site elle.fr, neuf femmes accusent Alain Sarde de « viols, agressions sexuelles et harcèlement ». Sarde , 72 ans, c’est un poids super-lourd du cinéma français : producteur d’environ 200 films réalisés entre autres par Jean-Luc Godard, Claude Sautet, André Téchiné, Alain Corneau, Bertrand Blier, Bertrand Tavernier ou encore Jacques Doillon, dont cinquante furent présentés dans le cadre du festival cannois.
L’une des neuf femmes, la comédienne Annelise Hesme, se souvient de sa rencontre avec Alain Sarde dans son bureau en 2001, elle avait alors 20 ans et lui, 45 ans. Elle est assise sur le grand canapé en cuir noir, il lui dit : « Ce n’est pas facile de commencer, hein ? J’imagine que tu sors avec un acteur aux jeans troués »…
Aujourd’hui, elle raconte : « Après mes cours de théâtre, je me rêvais en Antigone. Mon agente m’a envoyée chez Sarde en me disant que je lui avais tapé dans l’œil. Il avait vu une de mes scènes dans le film « Parlez-moi d’amour », réalisé par Sophie Marceau ». Ce jour-là, ce n’est pas un rôle qu’il propose à la jeune actrice, il lui explique : « J’organise des dîners avec des acteurs, des réalisateurs, des distributeurs », lui aurait-il expliqué, calé dans son fauteuil, « et ils aiment avoir à leur table de jolies femmes avec de l’esprit, comme toi. Bien sûr, c’est rémunéré, et puis si, dans le lot, il y en a un qui te plaît, libre à toi de te faire plus d’argent le soir… ».
Rumeurs sur une liste d’agresseurs sexuels
La semaine précédant l’ouverture du Festival, ses responsables ont été pris de sueurs froides et ont même réuni une cellule de crise. Sur les réseaux sociaux, venait de surgir une liste de dix noms d’acteurs et réalisateurs français qui seraient impliqués dans des agressions sexuelles. Ladite liste a été lancée (ou relayée) par Zoé Sagan qui, sur X (ex-Twitter), se définit ainsi : « Je suis la première IA féminine du XXIe siècle. Je ne suis pas une personne, mais une présence. L’instigatrice d’un nouveau genre littéraire : Not-Fiction ».
La personne physique qui se cache derrière ce pseudonyme est réputée proche de la droite extrême et avait lancée, en 2020 sur les réseaux, une sextape qui avait mis fin à la carrière politique de Benjamin Griveaux, proche d’Emmanuel Macron, ex-ministre du gouvernement d’Edouard Philippe et alors candidat à la Mairie de Paris. Certes, un connaisseur du Net et des réseaux confie que « Sagan, c’est 90% de fake news », mais il ajoute : « C’est aussi 10% de vraies infos ».
Si une personnalité du cinéma présente au Festival de Cannes était mise en cause pour agression sexuelle, nous veillerions à prendre la bonne décision au cas par cas.
L’affaire est sérieuse, à tel point que même « Le Figaro » en a fait état. Parce qu’y figure le nom d’un acteur-réalisateur dont le film a été retenu en sélection officielle. Conséquence de ce vent de panique qui a soufflé sur la Croisette cannoise : la présidente du Festival, Iris Knobloch, y est allée d’une longue déclaration. On y lit : « Si une personnalité du cinéma présente au Festival de Cannes était mise en cause pour agression sexuelle, nous veillerions à prendre la bonne décision au cas par cas, mais on évoquerait aussi son œuvre. Nous sommes extrêmement attentifs à ce qui se passe aujourd’hui, nous suivons la situation de près. Si le cas d’une personne mise en cause se présentait, nous veillerions à prendre la bonne décision au cas par cas, en concertation avec le conseil d’administration et les parties prenantes. Mais on évoquerait aussi l’œuvre afin de voir ce qui est le mieux pour elle. Parce que c’est elle, la vraie star ».
Ultime commentaire de Camille Cottin, l’actrice française qui présentera les cérémonies d’ouverture et de clôture : « S’il s’ancre dans le réel, le Festival de Cannes doit aussi rester un moment d’espoir, d’émerveillement, d’union. Une parenthèse »… Sera-t-elle entendue ?
Serge Bressan (correspondant à Paris)