ENQUETE SUR LA PROLIFERATION DES ARMES 3D

L’identification d’un influenceur pro-armes par le New York Times relance le débat sur les armes 3D

L'Américain John Elik, alias Ivan the troll, l'activiste pro-armes 3D photo DR via 3dgunbuilder.com

Le promoteur le plus actif de la communauté sans cesse croissante des fanatiques d’armes 3D vient d’être identifié. Le quotidien américain le New York Times a établi formellement un lien entre celui qui se fait appeler « Ivan the Troll » et une élue américaine pro-armes. Cette annonce fait grand bruit aux Etats-Unis, non seulement parce que l’anonymat des principaux promoteurs des armes imprimées en 3D est en général savamment préservé, mais aussi et surtout pour le caractère politique que revêt cette affaire. Quelle est l’étendue de la menace des armes 3D aux Etats-Unis, en Europe et singulièrement en Belgique ? C’est le sujet d’une enquête en dix épisodes à paraître sur L-Post à partir du 2 octobre.

Pourquoi le nombre d’armes à feu imprimées en 3D est-il en augmentation constante depuis 10 ans ? Dès le départ, la première publication en ligne de plans pour imprimer les pièces d’une arme à feu (le Liberator, en mai 2013) découlait de la volonté du créateur de ces plans d’armer massivement les populations. La technologie de l’impression 3D était en pleine démocratisation et lui apparaissait comme une aubaine.

Depuis lors, la démocratisation des imprimantes 3D a été constante. Elles ne coûtent désormais que quelques centaines d’euros. Les armes imprimées, dont les plans de fabrication se trouvent facilement en ligne, se sont également multipliées jusqu’à atteindre des niveaux de finition et de durabilité impressionnants aujourd’hui.

Les rapports les plus récents indiquent que ces armes fantômes intéressent de plus en plus la petite criminalité et les groupes politisés désireux de conduire des actions violentes, y compris en Europe.

Ces armes, imprimées à l’aide d’une imprimante superposant des filaments de polymère (un dérivé du plastique), ont d’abord attiré des bricoleurs américains sans intentions criminelles. Aujourd’hui, les rapports les plus récents indiquent que ces armes fantômes intéressent de plus en plus la petite criminalité et les groupes politisés désireux de conduire des actions violentes, y compris en Europe.

Des armes peu coûteuses et intraçables

La prolifération de ces armes peu coûteuses et intraçables (puisqu’elles ne sont pas numérotées) est également stimulée par ceux qui y voient une aubaine financière. En effet, plusieurs ateliers de fabrication d’armes 3D à destination des filières illégales ont été démantelés récemment, en Belgique, aux Pays-Bas ou en Espagne. Cette prolifération, favorisée par une polarisation croissante des sociétés occidentales, inquiète en premier lieu Europol et Interpol qui entendent susciter une prise de conscience imminente des Etats européens vis-à-vis de la problématique.

Depuis la publication en ligne des plans du Liberator, plusieurs étapes décisives ont favorisé la création des modèles successifs d’armes 3D dont les plans sont devenus de plus en plus sophistiqués et de plus en plus faciles à trouver en ligne.

Parts of an FGC-9 homemade firearm seized in Germany in July 2021. D.R. via Koblenz Public Prosecutor's Office, Germany.

 

Le Covid-19 et les pénuries de matières premières qu’il a engendrées à l’époque ont poussé les personnes désireuses de s’armer à passer par ce marché parallèle-là. Ensuite, comme le rappelle Bryan Struvay, référent Armes de la PJF Namur, « Pendant plus d’un an, sous l’administration Trump, la création et la diffusion de plans d’armes a été autorisée aux Etats-Unis. Cela a donné lieu à l’apparition de nombreux plans et à de nombreux téléchargements ».

Depuis, l’apparition de nouveaux modèles et la fabrication de ceux-ci n’a fait qu’augmenter.

FGC-9, l’arme la plus fabriquée

L’arme la plus fabriquée (et la plus souvent saisie, notamment en Europe), c’est le FGC-9, une arme spécialement conçue pour contourner les lois européennes (FGC renvoie à l’expression « Fuck Gun Control », et le 9 signifie que cette arme tire des cartouches de calibre 9 millimètres parabellum). En six jours, avec un minimum de savoir-faire et en suivant méticuleusement les instructions disponibles en ligne, on peut fabriquer une arme prête à l’emploi. Les munitions, elles, se trouvent très facilement.

Cette arme extrêmement populaire chez les amateurs a été créée en 2020 par un activiste allemand d’origine kurde, un certain Jacob Duygu, dont le pseudonyme était JStark, en hommage au général John Stark, major général dans l’Armée continentale pendant la guerre d’indépendance américaine. Jstark est mort mystérieusement en 2021, un an après avoir créé le FGC-9, quelques jours seulement après avoir été interrogé par la police allemande.

Ivan the troll démasqué

Ivan the troll, qui vient d’être démasqué par le New York Times, est toujours en vie, mais la divulgation de son identité n’annonce rien de bon pour lui. Il s’agit d’un jeune homme de 26 ans, répondant au nom de John Elik. Il est Américain, il se filme volontiers tirant du 9 millimètres dans les bois avec diverses armes imprimées par ses soins.

Ivan the troll n’est pas seulement l’activiste pro-armes 3D le plus suivi sur X (ex-Twitter) et l’admirateur fidèle des progrès technologiques suscités par les travaux de JStark.

John Elik n’est pas seulement l’activiste pro-armes 3D le plus suivi sur X (ex-Twitter) et l’admirateur fidèle des progrès technologiques suscités par les travaux de JStark. C’est aussi et surtout son successeur. Il est en effet celui qui a apporté les modifications décisives qui ont fait du FGC-9, l’arme 3D la plus répandue et la plus fréquemment saisie aux Etats-Unis et en Europe. En termes de complicité indirecte, c’est donc un très gros poisson que le New York Times vient de sortir de son anonymat.

Vidéo X sur : https://x.com/nytimes/status/1833596346147750120

L’histoire ne dit pas quel vent favorable a porté cette information à la connaissance des journalistes du New York Times. Ils ont en tout cas prolongé l’investigation de la justice américaine en identifiant formellement la localisation des images mises en ligne par ce jeune homme depuis son domicile.

Il est apparu également dans les conclusions de l’enquête du New York Times que la tante de John Elik, alias Ivan the troll, n’est autre que Amy Elik, une élue Républicaine pro-armes de l’Illinois qui s’est opposée l’an dernier au projet de Loi de son Etat contre la prolifération des armes fantômes, en ce compris les armes 3D.

La tante d’Ivan the troll, Amy Elik, DR via Wikipedia.

 

Une histoire de famille chez les Elik

Cette histoire de famille met en évidence le décalage croissant aux Etats-Unis entre les camps démocrates et républicains sur la question des armes en général et sur celle de la prolifération des armes 3D en particulier. Dans un pays où il est très facile de se procurer des armes légalement, ce sujet est loin d’être secondaire.

Dans un pays où il est très facile de se procurer des armes légalement, la problématique des armes 3D est loin d’être secondaire.

En effet, une pratique courante aux Etats-Unis consiste à transformer des armes classiques en fusils d’assaut à l’aide d’une simple pièce 3D dont les plans sont disponibles en ligne. Ce sont des faits sévèrement réprimés au pays de l’Oncle Sam et à propos desquels les lectures démocrate et républicaine du second amendement de la Constitution américaine continuent de s’opposer. Cette divergence fondamentale était d’ailleurs saillante lors du débat opposant Donald Trump et Kamala Harris le 10 septembre dernier.

Face à la menace, l’Europe change de ton

Pendant longtemps, les principaux services de vigilance en Europe, Europol en tête, ont considéré que la menace des armes 3D était très limitée chez nous. Aujourd’hui, leur discours a considérablement évolué. Face à un nombre croissant de saisies d’armes de ce type, notamment en Europe du Nord, ce sont les services de police de tout le continent européen que ces armes menacent de prendre de court dans les années à venir.

Face à un nombre croissant de saisies d’armes de ce type, notamment en Europe du Nord, ce sont les services de police de tout le continent européen que ces armes menacent de prendre de court.

Comme le rappelle Matt Schroeder, chercheur associé au Small Arms Survey, « C’est un motif de préoccupation majeur. Cette technologie met à mal la plupart des instruments mis en place par les différents Etats pour contrer la prolifération des armes illégales ».

Quelle est l’étendue exacte de la menace que ces armes d’un nouveau genre font planer sur l’Europe et singulièrement sur la Belgique ? Quelles sont les principaux défis que pose la multiplication des armes 3D (enjeux techniques, policiers, technologique, sécuritaires…) ? C’est à ces questions que l’enquête « Armes 3D : état des lieux de la menace » entend répondre.

Cette enquête du journaliste Julien Bal sera diffusée à raison d’un épisode par semaine, pendant les mois d’octobre et de novembre, sur L-post.

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