Traité de libre-échange UE/Mercosur : le monde agricole s’embrase et dit non. Les politiques se concertent
C’est le traité de la peur et du refus pour tous les paysans d’Europe et qui revient régulièrement sur le tapis. Ce traité en préparation entre l’Union européenne (UE) et les pays du Mercosur (Argentine, Bolivie, Brésil, Uruguay, Paraguay) fait monter la tension depuis plusieurs jours, provoquant une mobilisation paysanne importante dans l’ensemble notamment en France et en Belgique. La mobilisation se fait également sentir dans d’autres pays européens (Pologne, etc.). ANALYSE.
La tenue du G20 (les 18 et 19 novembre 2024) au Brésil a ravivé les tensions et la crainte qu’un accord soit enfin trouvé dans le cadre de cet évènement qui regroupe les 20 pays les plus industrialisés de la planète. Tous les manifestants qui défilent en France, en Belgique, en Allemagne, aux abords des sièges des institutions européennes avec leurs tracteurs souhaitent clairement une fois encore exprimer leur opposition à ce traité de libre-échange qui verrait Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie avoir la possibilité d’inonder les marchés européens.
Plus justement : d’envahir ces marchés de produits aux normes moins strictes et mettre en péril l’agriculture européenne cadenassée par une législation européenne souvent considérée comme sclérosante et non compétitive face au reste du monde.
Mercosur, acteur de l’intégration régionale
Le Mercosur est un acteur clé de l’intégration régionale en Amérique du Sud. Bien qu’il ait permis de renforcer le commerce et la coopération entre ses membres, il reste confronté à des défis internes et à des tensions politiques qui limitent son efficacité. Il reste attractif tout de même pour l’Europe. Le Mercosur pourrait représenter une importante zone de libre-échange en Amérique du Sud, avec un marché combiné de plus de 295 millions de personnes et un PIB global d’environ 2 000 milliards de dollars.
Ce marché commun du sud (Mercado Común del Sur) a été créé en mars 1991, avec la signature du Traité d’Asunción par l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Son siège est à Montevideo, Uruguay. Il propose une intégration économique majeure entre ces pays en éliminant les barrières commerciales entre les pays membres, comme les droits de douane. Il favorise la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes et propose une harmonisation des politiques économiques : notamment afin d’encourager une coordination dans des domaines comme l’industrie, l’agriculture et l’énergie.
Les pays du Mercosur à l’assaut de l’Europe
Enfin et c’est là que le bât blesse : il lutte pour un renforcement régional qui permette aux pays membres d’accroître leur influence sur la scène mondiale en agissant comme un bloc. L’UE est donc une cible de choix, puisqu’elle constitue avec plus de 300 millions de membres, un des plus gros marchés au monde.
L’opposition ou la réticence de certains Européens, notamment des institutions, des gouvernements, et des groupes de la société civile, repose avant tout sur des questions environnementales, agricoles, économiques et sociales.
L’accord Mercosur-UE est perçu comme favorisant les exportations agricoles (comme le soja et la viande bovine) du Mercosur vers l’Europe. Cela pourrait intensifier la déforestation de l’Amazonie, qui est un poumon essentiel pour le climat mondial, et qui souffre déjà d’années d’incurie et de gâchis. Beaucoup d’Européens estiment aussi que les pays du Mercosur ne respectent pas suffisamment l’Accord de Paris sur le climat, ce qui entre en contradiction avec les priorités écologiques de l’UE, donc un frein qui devrait être majeur.
Concurrence déloyale
Mais pour les agriculteurs européens, c’est avant tout, au-delà des symboles, une concurrence déloyale dont ils seront les premières victimes. L’Europe se tirerait donc une balle dans le pied, puisque l’accord prévoit une réduction des droits de douane pour les produits agricoles sud-américains, notamment la viande bovine, le sucre et l’éthanol.
Les agriculteurs européens eux, notamment en France, en Irlande et en Belgique, craignent une concurrence accrue avec des produits importés, souvent moins chers car soumis à des normes environnementales et sociales moins strictes. Moins contraints par des normes environnementales, les pays du Mercosur peuvent exporter plus facilement et beaucoup moins cher.
D’autre part, les produits issus du Mercosur ne sont pas toujours soumis aux mêmes normes sanitaires, sociales et de bien-être animal que ceux de l’UE, ce qui peut désavantager les producteurs européens. Enfin, les critiques se portent aussi sur les conditions de travail dans certains pays du Mercosur (comme le Brésil ou le Paraguay) qui ne respectent absolument pas les standards européens, ce qui pose de vrais problèmes éthiques. Enfin, outre l’agriculture, certains secteurs industriels européens (comme l’automobile ou la métallurgie) craignent la concurrence accrue des exportations du Mercosur, notamment du Brésil et de l’Argentine.
Depuis le début de la tenue du G20 à Rio de Janeiro, le président français Emmanuel Macron a réaffirmé son opposition à la signature du traité. D’autres pays comme l’Autriche et les Pays-Bas ont exprimé des réserves ou opposé leur veto à l’accord. La Région wallonne aussi s’oppose au traité avec le Mercosur et l’a fait savoir aux autorités fédérales.
Sébastien BOUSSOIS
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’Ihecs (Bruxelles), associé au Cnam Paris (Equipe Sécurité Défense), à l’Institut d’études de géopolitique appliquée (IEGA Paris), au Nordic center for conflict transformation (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire géostratégique de Genève (Suisse).