LE MASSACRE DES TIRAILLEURS SENEGALAIS A THIAROYE

Massacre de Thiaroye : entre devoir de mémoire et demande de justice 80 ans après la tuerie des tirailleurs sénégalais

Les tombes des tirailleurs sénégalais tués le 1er décembre 1944 à la suite d'un litige concernant leurs revenus avec l'armée française sont photographiées le 20 novembre 2014 au cimetière militaire de Thiaroye, près de Dakar. AFP

Ce dimanche 1er décembre 2024, le Sénégal a commémoré le 80ème anniversaire du massacre de Thiaroye. Ce fut un crime colonial odieux de la part de la France à l’encontre de ceux qui l’avaient soutenue et participé à sa libération de l’occupation nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs activités sont organisées à la mémoire de ces illustres héros et se prolonge par un colloque international à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar du 2 au 3 décembre 2024. Des voix s’élèvent pour demander la mise en place d’une commission d’enquête pour faire toute la lumière sur cette tragédie encore présente dans les mémoires. Analyse

Le 1er décembre 1944, l’armée coloniale française massacrait des tirailleurs sénégalais au camp de Thiaroye situé à 15 kilomètres de Dakar. Ces tirailleurs étaient revenus de la Seconde Guerre mondiale où ils étaient partis aider les militaires français face à l’occupant nazi.

Massacrés pour avoir réclamé des arriérés de salaires

Plusieurs nationalités les contingents des tirailleurs, notamment des Sénégalais, des Maliens, des Bukinabés, des Nigériens, Ivoiriens etc. Ils étaient issus des colonies françaises ouest africaines. Mais ils furent trahis et exécutés par la France pour avoir seulement réclamé leurs arriérés de salaires.

Pendant plusieurs décennies, la France a cherché à nier et à dissimiler ce massacre le qualifiant de mutinerie et déclarant 35 morts.

L’attitude de la puissance coloniale face à cette ingratitude a beaucoup évolué d’ailleurs comme pour tous les crimes coloniaux qu’elle a perpétrés au Sénégal.

Pendant plusieurs décennies, la France a cherché à nier et à dissimiler ce massacre le qualifiant de mutinerie et déclarant 35 morts. Mais le discours change en 2014, lorsque le président François Hollande reconnut la responsabilité de la France et estimait le nombre de tirailleurs tués à plus de 70.

Cette mascarade ne pouvait pas continuer à perdurer au regard de l’engagement sans faille des Sénégalais :  intellectuels, musiciens, artistes peintres, cinéastes, associations, hommes politiques et gouvernements notamment depuis les années 2000. C’est pour cela qu’elle admit que six tirailleurs étaient morts pour la France en juillet 2024. Ce qui constitue une continuité du déni. Car les historiens parlent de centaines de morts.

Histoire bricolée pour cacher la vérité

Le massacre terminé, vite, 48 tirailleurs rescapés furent arrêtés. Parmi eux, 34 ont été jugés, reconnus coupables et condamnés pour un crime qu’ils n’ont pas commis, à des peines de prison allant d’un an à 10 ans de prison. Récemment, trois jours avant la commémoration du 80ème anniversaire de la tragédie de Thiaroye, le Président français Emmanuel Macron a reconnu, dans une lettre adressée à son homologue sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, le massacre des tirailleurs sénégalais.

L’historien sénégalais Ibrahima Thioub a accuse la France de « bricoler un récit mémoriel qui dévoile un malaise certain sur le massacre de Thiaroye ».

Dans tous les cas, la position française reste toujours sa volonté de dissimulation pour reprendre l’expression de l’historien sénégalais Mamadou Diouf. Dans un interview accordé le 1er août 2024 au quotidien d’information national Le Soleil, son homologue et compatriote sénégalais, Ibrahima Thioub, a accusé la France de « bricoler un récit mémoriel qui dévoile un malaise certain sur le massacre de Thiaroye ».

Jusqu’ici, la France n’a jamais présenté des excuses et cherche toujours à masquer la réalité œuvrant pour l’oubli. Et même au-delà des excuses publiques, tous les Sénégalais s’attendent à ce que la France fasse manifester la vérité en déclassifiant des archives de son armée coloniale au Sénégal. Reste à savoir elles sont authentiques.

AFP

Présentation d’une affiche pour une exposition sur le « massacre de Thiaroye », le 20 novembre 2014. (Photo par SEYLLOU / AFP).

Documents falsifiés

Pour l’historienne française, Armelle Mabon, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bretagne-Sud, « les historiens ont travaillé sur des documents falsifiés sur ordre, de sorte qu’on ne sait plus ce qui est vrai et ce qui est faux ».

L’établissement de la vérité constitue donc la condition sine qua non pour un dialogue sincère entre les deux pays ; on ne peut pas décoloniser pour co-naître sans l’acceptation française de tous ses crimes coloniaux, ni digérer ce passé qui ne passe pas.

Une commission d’enquête doit être formée pour mener les recherches nécessaires surtout pour déterminer le nombre exact de tirailleurs exécutés et où ils sont enterrés.

Une commission d’enquête doit être formée pour mener les recherches nécessaires surtout pour déterminer le nombre exact de tirailleurs exécutés et où ils sont enterrés. En effet, ils avaient été enterrés dans des fosses communes sans jamais dire aux autorités sénégalaises l’endroit précis.

Par ailleurs, la France doit procéder à la réhabilitation de la mémoire des tirailleurs et concéder à des réparations morales et financières au profit des descendants et ériger les tirailleurs en martyrs. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu une volonté manifeste d’effacer l’effort de guerre des africains aux cotés des puissances alliées. Dans les archives vidéos, les images des tirailleurs ont pratiquement disparu. De même aucun programme scolaire, ni manuels ne mentionnent leurs engagements en Europe.

Comment repartir sur de nouvelles bases ?

Au-delà du massacre de Thiaroye, la France doit aussi reconnaître tous ses crimes coloniaux au Sénégal tels que les multiples exécutions, le massacre suivi d’incendies de plusieurs centaines de villages par le gouverneur français Léon Faidherbe, les disparitions forcées, les déportations, le pillage d’œuvres d’art et autres patrimoines culturels durant la colonisation.

La restitution sans condition des œuvres d’art et autres patrimoines constituent aussi un gage des nouveaux rapports postcoloniaux avec la France.

La restitution sans condition des œuvres d’art et autres patrimoines constituent aussi un gage des nouveaux rapports postcoloniaux avec la France.

Dans ce même ordre d’idée, il apparaît légitime de s’interroger sur cette volonté tardive et récente des anciennes puissances européennes qui parlent de nouvelles relations avec leurs anciennes colonies.

Pourtant, le refus d’affronter leur passé colonial ne constitue pas seulement une attitude singulière de la France.

Quid de la Belgique ?

D’ailleurs le Parlement belge a refusé en janvier 2024 de publier le rapport d’enquête sur la colonisation de la Belgique en République démocratique du Congo (RDC), au Rwanda et au Burundi après deux ans et demi d’auditions.

Et pourtant, il y a eu la mobilisation de plusieurs intellectuels belges soucieux de la manifestation de la vérité. De son côté, l’Allemagne a organisé du 14 au16 novembre 2014 la « Conférence Dekoloniale Berlin » à l’occasion du 140ème anniversaire de la conférence de Berlin sur l’Afrique de 1884 à 1885 sans pour autant affirmer ses méfaits sur le continent.

Le comble est que toutes ces puissances coloniales européennes n’ont pas encore assumé tous leurs crimes liés à la colonisation et consenti à des réparations afin de repartir sur de nouvelles bases avec leurs anciennes colonies. Ce déni de justice doit cesser.

Enfin, l’Afrique d’aujourd’hui appelle à une « deuxième vraie décolonisation » dans tous les domaines : politiques, économiques, culturels.

Serigne Saliou Leye
Professeur d’histoire et géographie au Sénégal
Diplômé en Justices Transitionnelles (Université Catholique de Louvain/Université Libre de Bruxelles)