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Etat de droit : des magistrats européens sanctionnent la Pologne par l’exclusion

Crédit: Brigitte HASE

Alors que les tensions entre Varsovie et Bruxelles ne cessent de s’aggraver, ce 28 octobre, le Conseil national de la magistrature (KRS) polonais a été expulsé par le Réseau européen des Conseils de la Justice (RECJ) en raison des réformes controversées introduites dans ce pays. Selon ses homologues européens, le KRS, déjà suspendu en 2018 pour les mêmes raisons, ne satisfait plus aux exigences d’indépendance. Un nouveau revers pour la Pologne qui s’est vu imposer, le 27 octobre, par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) une amende journalière d’un million d’euros pour ne pas avoir respecté les ordonnances émises cet été. La présence de l’état-membre dans l’UE pourrait être remise en question.

Le RECJ, Réseau européen des Conseils de la Justice, a été créé en 2004. Il constitue un réseau rassemblant les « Conseils supérieurs de la Justice » nationaux dont fait également partie la Belgique. Il est actif autour de thèmes tels que l’arriéré judiciaire, la mesure de la confiance nationale et transnationale de la population en la justice et les normes minimales pour l’évaluation des systèmes judiciaires. Ce réseau a vocation à assurer la connaissance réciproque des différents systèmes judiciaires de l’Union européenne. Il a également pour mission de remplir un rôle de médiateur entre les institutions de l’UE et les organisations judiciaires nationales. Ce 28 octobre, le réseau européen des magistrats a expulsé la Pologne de ses rangs. « Le Conseil polonais de la magistrature, chargé de désigner les juges ne répond plus aux exigences de l’organisation en matière d’indépendance vis-à-vis des autorités politiques », a déclaré par voie de presse Filippo Donati, le président du RECJ. « Il s’agit d’une décision visant à défendre les valeurs du RECJ et les valeurs sur lesquelles chaque conseil de la justice doit être fondé », a-t-il souligné après le vote à Vilnius, en Lituanie, auquel les représentants de la Pologne n’ont pas assisté.

Une mise à l’amende salée

Cette décision est intervenue le lendemain de la mise à l’amende de la Pologne par l’UE. Par un arrêt rendu le 14 juillet (EUROPE B12762A23), la Cour européenne de justice (CJUE) a ordonné à Varsovie de cesser les activités de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise afin « d’éviter un préjudice grave et irréparable envers l’ordre juridique de l’Union européenne et envers les valeurs sur lesquelles cette Union est fondée, en particulier celle de l’état de droit ». Le 7 septembre dernier, la Commission européenne a demandé à l’UE d’imposer une amende journalière d’un million d’euros à Varsovie pour non-respect de cette ordonnance. Varsovie refuse depuis de verser les astreintes.

Une crise de l’Etat de droit

En 2018, la Pologne a entamé une réforme de la Justice décriée par l’UE. L’indépendance menacée de ce pouvoir est depuis confirmée. Le 22 septembre dernier, le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe a rendu public un rapport https://rm.coe.int/quatrieme-cycle-d-evaluation-prevention-de-la-corruption-des-parlement/1680a3efa9) sur la prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs. Ce rapport comprend une mise à jour de l’analyse critique réalisée par le GRECA sur les réformes polonaises réalisée entre 2016 et 2018 (https://rm.coe.int/addendum-to-the-fourth-round-evaluation-report-on-poland-rule-34-adopt/16808b6129). Le nouveau rapport souligne que « cette situation a malheureusement encore été exacerbée par les modifications apportées en décembre 2019 à la Loi sur les tribunaux ordinaires et à la Loi sur la Cour suprême, ainsi qu’à d’autres textes législatifs ». Ses conclusions sont sans appel : les juges dans ce pays sont de plus en plus exposés au contrôle politique. Le GRECO invite la Pologne à répondre sine die à toutes ses recommandations toujours en suspens.

Un bras de fer engagé

Sur la requête du Premier Ministre polonais, Mateusz Morawiecki, le 7 octobre 2021, le Tribunal constitutionnel polonais, jugé très proche du parti conservateur nationaliste au pouvoir « Droit et Justice » (PiS), a jugé que certains articles des traités européens étaient incompatibles avec la Constitution polonaise. La Pologne conteste la primauté du droit européen sur ses propres lois. Cette décision est perçue par Bruxelles, comme une attaque inédite aux règles de l’UE. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a promis, dans la foulée, de sévir face à l’attitude de Varsovie. Plusieurs États partagent cette opinion et estiment que l’approbation du plan de relance polonais de 36 milliards d’euros ne devrait pas se concrétiser. Ce plan est d’ailleurs actuellement bloqué par la Commission qui demande à Varsovie des garanties supplémentaires sur l’indépendance du système judiciaire polonais.

Historiquement, le contexte de ce bras de fer est celui de l’arrivée au pouvoir du PiS suite aux élections législatives du 25 octobre 2015. Le parti aux commandes a immédiatement décidé de prendre le contrôle du gardien et interprète de la Constitution qu’est la Cour constitutionnelle. Le tribunal ayant été efficacement mis sous contrôle, le PiS a décidé de s’en prendre au reste du pouvoir judiciaire.

L’Europe qui menace du bâton a-t-elle aujourd’hui le pouvoir de faire plier la Pologne ? La réponse n’est pas évidente. La primauté du droit européen sur les droits nationaux n’est inscrite dans aucun traité. Elle relève d’un consensus entre les états-membres. Se dirige-t-on dès lors vers un « Polexit » ? Certains observateurs craignent en effet qu’une situation de blocage ne remette en question la présence de la Pologne dans l’UE. D’autres estiment à l’inverse que la Pologne a d’un point de vue économique beaucoup trop besoin de l’UE et que son départ serait un « Polexil ».