SANTE

L’incitation financière à la vaccination telle une pilule douce « nudgée »

AFP

Une récente étude menée en Suède par des chercheurs des Universités de Lausanne, Bâle et Zurich révèle qu’une récompense financière contribue à augmenter le taux de vaccination contre le covid-19. Et dans de nombreux pays, tickets pour l’euro, billets de loterie, bons d’achat, abonnements divers et variés et même burgers gratuits, les idées de cadeaux ne manquent pas pour inciter les citoyens à se faire vacciner. La méthode est-elle efficace ? Peut-être. Mais est-elle éthique ? Pour d’aucuns ce marketing médical est une forme d’extorsion du consentement qui contrevient à la liberté vaccinale.

La vaccination est devenue un enjeu sanitaire mondial. Or, la stagnation des taux de vaccination ralentit l’endiguement de la pandémie et les campagnes de vaccination rencontrent des îlots de résistance. Pour augmenter plus rapidement le nombre de personnes vaccinées contre le Covid-19 et pour convaincre aussi les réfractaires, des États offrent des récompenses aux personnes qui se font injecter leurs doses de vaccin contre le coronavirus. Une étude suédoise publiée en octobre dans la revue Science (https://www.science.org/doi/10.1126/science.abm0475) démontre qu’ils pourraient avoir raison. Un essai mené à grande échelle sur un échantillon de la population âgé de 18 à 49 ans a en effet permis d’augmenter le taux de vaccination de 4 points grâce à une récompense annoncée de 200 couronnes suédoises (19,71 euros). La récompense proposée a fait passer le taux déjà élevé de vaccination dans le pays de 72% à 76% dans les 30 jours suivants.

Un vaccin, une récompense

Les gouvernements, mais aussi certaines entreprises semblent avoir bien compris l’efficacité des stimuli. Ainsi, aux Etats-Unis, dans l’Etat New Jersey, une bière est offerte à tous les nouveaux vaccinés majeurs. Autre initiative, les fans de sport se faisant vacciner, dans le stade, un jour de match des Yankees ou des Mets – deux des équipes de baseball de la ville de New York – reçoivent un billet gratuit pour une prochaine rencontre. Toujours aux États-Unis, l’enseigne de pâtisseries et de cafés Krispy Kreme s’est quant à elle engagée à offrir un beignet par jour jusqu’à la fin de l’année 2021 à toutes les personnes vaccinées, à une seule condition : présenter en caisse un certificat de vaccination contre le Covid. L’opération a commencé en mars dernier, avec un succès foudroyant. La première semaine, Krispy Kreme aurait distribué près de 125.000 donuts.

Convaincre pour mieux protéger, le reste du monde suit la tendance. En Russie, un centre de vaccination de Moscou propose une glace gratuite aux personnes qui se font vacciner. Dans les Émirats Arabes Unis, des restaurants de Dubaï font des remises de 10 % aux clients qui se sont fait administrer une première dose et 20 % à ceux qui ont reçu les deux injections. Israël, l’un des pays les plus vaccinés au monde, n’est pas en reste. Bières et pizzas sont distribuées gratuitement contre une dose de vaccin. Des DJ ont même été embauchés pour mettre de l’ambiance et attirer les jeunes près des sites de vaccination. En Inde, ce sont les orfèvres de la ville de Rajkot, dans l’État du Gujarat, qui ont décidé d’offrir un piercing nasal en or pour encourager la vaccination pendant que, dans un quartier du nord de New Delhi, c’est une réduction d’impôts de 5 % qui est proposée par les autorités locales.

Un coup de pouce comportemental

Les auteurs de l’étude suédoise Monetary incentives increase COVID-19 vaccinations se félicitent que ces incitants conduisent à plus de vaccination. Mais si cette spirale incitative fonctionne, les dispositifs mis en place suscitent un débat éthique. Les citoyens ne sont pas influencés par des raisons médicales, mais pragmatiques et extrinsèques. Ils ont besoin d’un levier externe, de type « carotte », pour s’engager. C’est ce que l’on appelle le nudge (NDLR : « coup de pouce »). Cette manipulation inconsciente qui relève des sciences comportementales a pour but de provoquer des comportements ciblés.

Beaucoup utilisée depuis le début de la crise sanitaire, la technique a été popularisée en 2008 par deux économistes américains, Cass Sunstein et Richard Thaler (lauréat du prix Nobel d’économie en 2017). Leur pensée s’inscrit dans la mouvance du paternalisme libertarien. Le principe consiste, à partir d’une connaissance fine des mécanismes de choix, parfois irrationnels des individus, pour les mener à faire d’autres choix. Aujourd’hui, le nudge étend son influence sur la façon de concevoir de nombreuses politiques publiques. La norme sociale se base sur une pression cognitive.

Une pilule douce « nudgée »

Le Covid-19 est incontestablement nudgeable. L’exécutif utilise la méthode pour favoriser l’adhésion et faire passer la pilule des mesures sanitaires. La gestion de la crise est pilotée. Des cercles au sol apposés sur les quais pour inviter à la distanciation physique ou des élus qui se font vacciner en direct sur grand écran sont des nudge pour inciter le citoyen à agir. Le vocabulaire utilisé par la plupart des gouvernements dans leur communication anti-covid (guerre, première ligne, troisième vague, couvre-feux, masques grand public, gestes barrières ) est aussi un nudge. Enfin, les campagnes publicitaires mettant en scène des petits-enfants se précipitant dans les bras de leur grand-mère vaccinée sont typiquement « nudgées ». Elles suggèrent au citoyen que « cela ira mieux demain » en illustrant les conséquences bienfaisantes de son geste.

Et la liberté vaccinale ?

Si l’on peut trouver l’invitation à la vaccination préférable à une forme d’extorsion du consentement par le biais de logiques punitives aujourd’hui exercées sur des personnes non vaccinées (suspension professionnelle, limitation de la liberté de circuler ou d’accéder à certains lieux, etc. ), dans un cas comme dans l’autre, il est légitime de penser que l’incitation financière, sociale ou morale à un tel acte, soit pour des raisons autres que médicales ne relève plus, à proprement parler, de la médecine. A fortiori, lorsque les objectifs fixés à travers les « nudges sanitaires » sont doublés de contraintes réelles, telles que des amendes. Dans quelle mesure une technique qui repose sur une économie suggestive, massive, répétitive, voire coercitive, respecte-t-elle encore le libre arbitre en matière de soins de santé et la liberté vaccinale ? A ce stade, il n’est peut-être pas inutile de rappeler, qu’actuellement, en Belgique, seule la vaccination contre la poliomyélite est légalement obligatoire.