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La future loi numérique de l’UE pourrait changer la donne pour le monde entier


C’est hier que Frances Haugen, l’ancien employée de Facebook et lanceuse d’alerte témoignait devant le Parlement européen.  Elle dénonce le fait que Facebook fasse passer ses immenses profits avant les citoyens, portant atteinte à la santé et à la sécurité des utilisateurs et menaçant nos démocraties. Selon elle, l’UE a une occasion historique de fixer des normes mondiales et d’inspirer les autres pays en imposant plus de transparence pour contrôler les plateformes en ligne et inciter mes usagers à faire des choix éclairés. La future loi sur les services numériques de l’UE pourrait bien changer la sonne en fixant les normes mondiales en matière de transparence, de contrôle et d’application.

Alors que les eurodéputés planchent sur la future loi numérique, hier, lors du passage de Frances Haugen devant le Parlement européen, les révélations de la lanceuse d’alerte sur les pratiques de Facebook et leur impact sur les utilisateurs et leurs droits fondamentaux ont troublé les députés qui ont exprimé leurs préoccupations, entre autres, sur l’exploitation de la santé mentale des enfants et des adolescents et sur le micro-ciblage, y compris à des fins politiques.

Comme devant le Congrès américain, il y a quelques semaines, les questions posées à Frances Haugen ont porté sur la manière de rendre les plateformes plus responsables et de s’assurer que les dispositions relatives à l’évaluation et à l’atténuation des risques dans la proposition de loi sur les services numériques soient suffisamment fortes pour éviter les abus, la polarisation et les risques pour la démocratie.

Il est crucial que les gouvernements protègent les lanceurs d’alerte dans le domaine de la technologie

« La future législation sur les services numériques a le potentiel d’être un « étalon-or mondial » et d’inspirer d’autres pays à “établir de nouvelles règles qui protégeraient nos démocraties », a souligné Frances Haugen lors de son audition. Elle a toutefois prévenu que les règles devaient être solides en matière de transparence, de contrôle et d’application, sans quoi « nous perdrons cette occasion unique d’aligner l’avenir de la technologie à celui de la démocratie ».

Vers un autre monde…plus transparent

Pour rappel, Frances Haugen a travaillé chez Facebook en tant que chef de produit dans l’équipe chargée de la désinformation civique. Cette équipe s’intéressait aux interférences électorales dans le monde entier et travaillait sur des questions liées à la démocratie et à la désinformation. Facebook a mis un terme à cette équipe après l’élection américaine de 2020, dans la foulée, Frances Haugen contactait le Wall Street Journal. La jeune femme a divulgué des milliers de documents internes recueillis lorsqu’elle travaillait encore pour Facebook. Parmi les faits les plus frappants étayés par les documents divulgués figure la manière dont l’utilisation d’Instagram nuit gravement à la santé mentale des adolescents, notamment lorsqu’il s’agit de favoriser les troubles de l’alimentation et de l’image corporelle. Globalement, les documents divulgués montrent comment les affirmations publiques de Facebook sur une variété de sujets – au-delà de la santé mentale, le travail de Facebook sur les discours haineux et la liberté d’expression – contredisent souvent les recherches internes. Frances Haugen affirme que Facebook (qui possède d’autres sociétés de médias sociaux) ne rend pas intentionnellement ces plateformes plus sûres pour les utilisateurs, car cela aurait un impact sur ses bénéfices.

Une audition primordiale

Parmi les questions posées à l’ancienne employée de Facebook, spécialisée en ingénierie informatique et, plus précisément, en gestion de produits algorithmiques, il fut question de connaître son avis sur la réglementation des contenus non seulement illégaux mais aussi préjudiciables, sur les outils de modération des contenus et sur l’interdiction de la publicité ciblée. Quelles garanties  souhaiterait-elle voir incluses dans la législation européenne sur le numérique ? Le projet de loik sur la table est-il suffisant ? Les outils d’application pour s’assurer que la loi ait du poids, la transparence des algorithmes, l’accès des chercheurs universitaires, des ONG et des journalistes d’investigation aux données des plateformes, ont également été abordés lors de cette audition exceptionnelle.

Frances Haugen a rappelé l’importance de veiller à ce que des entreprises comme Facebook divulguent publiquement les données et la manière dont elles les collectent (sur les contenus de classement, la publicité, les paramètres de notation, par exemple) pour permettre aux gens de prendre des décisions transparentes et interdire les « interfaces truquées » en ligne. « Les individus au sein de ces entreprises devraient être tenus personnellement responsables des décisions qu’ils prennent », a-t-elle ajouté.

En ce qui concerne la lutte contre la désinformation et le déclassement des contenus préjudiciables,  « Facebook est nettement moins transparent que d’autres plateformes, l’entreprise pourrait faire beaucoup plus pour rendre les algorithmes plus sûrs en fixant des limites au nombre de fois qu’un contenu peut être partagé à nouveau, en augmentant les services pour prendre en charge davantage de langues, en évaluant les risques de manière transparente, en rendant les plateformes plus humaines et en trouvant des moyens pour que les utilisateurs se modèrent mutuellement plutôt que d’être modérés par une intelligence artificielle », explique-t-elle.  Au final, Frances Haugen a tenu à féliciter les législateurs pour leur approche neutre en termes de contenu, mais aussi a mis en garde « contre d’éventuelles failles et exemptions pour les organisations de médias et les secrets commerciaux. »

Rendre les algorithmes plus sûrs

Au cours de sa présentation, Frances Haugen a tenu à insister sur l’importance cruciale pour les lanceurs d’alerte d’être protégés. « Il est crucial que les gouvernements protègent les lanceurs d’alerte dans le domaine de la technologie, car leurs témoignages seront essentiels pour protéger les personnes des dommages causés par les technologies numériques à l’avenir. »

Cette audition singulière était organisée par la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement, en association avec les commissions de l’industrie, des affaires juridiques et des libertés civiles, et les commissions spéciales sur la désinformation et l’intelligence artificielle.  Des travaux sur la régulation des plateformes sont actuellement en cours au Parlement

Modification de la loi de décembre 2020  en vue?

La commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs discute en ce moment de la manière dont la proposition relative à la loi sur les services numériques, présentée par la Commission européenne en décembre 2020, devrait être modifiée et améliorée. Les propos et la  présentation de Frances Haugen alimenteront les travaux de la commission sur la loi, avant le vote dont la date n’a pas encore été déterminée.

Cette législation est peut-être l’occasion pour l’Europe de façonner l’économie numérique au niveau de l’UE ainsi que de devenir une référence mondiale en matière de réglementation numérique.