SOCIETE

Violences sexuelles et obstétriques: un #MeToo de la gynécologie prend corps


FRANCE. C’est un coup de tonnerre pour l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et pour l’hôpital Tenon en particulier. Le professeur Emile Daraï, un médecin spécialiste de l’endométriose est mis en cause par de multiples signalements pour violences sexuelles. Le collectif « Stop aux Violences Obstétricales et Gynécologiques » a recueilli pas moins de 150 témoignages de patientes dénonçant les agissements du praticien. À ce jour, six plaintes pour viol le visent. D’autres doivent être déposées dans prochains jours. Le praticien âgé de 65 ans conteste les faits. Il a toutefois momentanément été écarté de ses fonctions de chef du service gynécologique-obstétrique et médecine de la reproduction de l’hôpital. Des manifestations pour soutenir les plaignantes sont prévues ce samedi 20 novembre à Paris.

Depuis le mouvement mondial de libération de la parole sur les violences sexuelles #MeToo en 2017, de nombreuses déclinaisons du mot-clé sont apparues. Et c’est un nouveau #MeToo qui est en train de prendre forme sur les réseaux sociaux. Celui des violences gynécologiques et obstétriques : MeTooGyneco. En ligne de mire : le professeur Emile Daraï. Ce gynécologue, chef du centre d’endométriose de l’hôpital Tenon à Paris, a été suspendu de ses responsabilités le 8 octobre dernier suite à une vague d’accusations.
Depuis, les témoignages se multiplient en Ile-de-France. De nombreuses femmes dénoncent la brutalité et les gestes humiliants de ce spécialiste de l’endométriose pour des faits remontant jusqu’à 1996.

Un véritable « boucher »

Sur le compte Twitter Stop violences gynécologiques et obstétricales (@StopVOGfr), les plaignantes accusent le médecin de pratiquer des examens vaginaux et rectaux très violents et d’utiliser des speculums sans consentement. Plusieurs d’entre elles le décrivent comme « un boucher ».

Agnès a eu l’impression de « passer entre les mains d’un vétérinaire ». Avant son rendez-vous avec le Pr Émile Daraï, elle dit pourtant à ses amis qu’elle a enfin rendez-vous avec celui qu’on lui a décrit comme « le plus grand spécialiste parisien de l’endométriose ».
À l’époque elle vient d’être opérée pour une endométriose sévère et a subi de graves séquelles, notamment dues au traitement qu’elle prend pour une ménopause artificielle. Handicapée par des effets secondaires, elle cherche désespérément une solution et obtient après plusieurs mois d’attente un rendez-vous avec le Pr Daraï, à l’hôpital Tenon à Paris.

Sur Twitter, Agnès décrit des actes d’une extrême brutalité : « Il arrive et insère directement un spéculum de manière extrêmement violente, sans lubrifiant, sans rien, raconte Agnès, la gorge serrée. Je pousse un cri, je sens la fissure que j’ai à ce moment-là qui se déchire, je sais que je suis en train de saigner. Il dit alors qu’il va procéder à un toucher rectal. Je lui dis : “non, non, pas de toucher rectal, je viens d’être opérée d’un abcès de la marge anale.” Il ne me regarde pas. Il insère deux doigts dans mon anus, et je sens toutes les sutures qui craquent, les cicatrices qui explosent, j’ai une douleur absolument fulgurante, je me débats dans les étriers, je hurle. »

Copyright : rapport du 28 juin 2018 du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes

Plusieurs étudiants et étudiantes en médecine dénoncent également les pratiques du Pr Daraï. L’une d’entre elle raconte une consultation à laquelle elle a assisté lors de sa formation : « quand je m’éloigne de la patiente, le médecin s’empare du spéculum. Sans prévenir, il l’insère dans le vagin de la dame. D’un coup. Elle se crispe sous la douleur. Ses muscles se contractent et font ressortir l’instrument. Le médecin le renfonce, plus fort. Il hurle “détendez-vous”. Elle gémit, il est évident qu’elle est terrorisée, il s’exaspère. Le speculum ressort encore. Il le renfonce de plus en plus brutalement. J’ai envie de pleurer, parce que je réalise que je viens d’assister à un viol et que je n’ai rien dit ».

Cette étudiante n’a pas signalé ces agissements à sa hiérarchie, mais plusieurs externes et internes en médecine affirment sur les réseaux sociaux avoir alerté des médecins du service, en vain.

Des viols sur mineurs

Parmi les plaintes, une enquête judiciaire a également été ouverte le 28 septembre dernier pour « viol sur personne vulnérable par une personne ayant autorité ». Elle a été confiée à la brigade des mineurs de la direction régionale de la police judiciaire parisienne. Elle fait suite au dépôt de plainte d’une ancienne patiente du professeur Daraï, âgée de 17 ans au moment des faits qu’elle dénonce.
Tout l’enjeu sera de déterminer s’il s’agit d’une agression sexuelle sur mineur de plus de 15 ans ou de violences gynécologiques, une notion récente, apparue pour donner corps à un problème de société, très longtemps tu, celui du respect des patientes lors des examens gynécologiques et obstétricaux.

Rompre l’omerta

On pourrait déplorer que l’affaire qui implique le professeur Emile Daraï soit un cas isolé. Il n’en est rien. La parole se délie aussi à l’encontre d’autres médecins. Un rapport du 28 juin 2018 du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HEC) (https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_les_actes_sexistes_durant_le_suivi_gynecologique_et_obstetrical_20180629.pdf ) dénonçait déjà ce tabou. Il affirmait déjà, chiffres à la clé, que « les actes violents subis par les femmes durant le suivi gynécologique et obstétrical ne sont pas des faits isolés ». Selon le document officiel, 3,4% des plaintes déposées auprès des instances disciplinaires de l’Ordre des médecins en 2016 concernent des agressions sexuelles et des viols commis par des médecins, sans compter les examens brutaux et les naissances dans la violence avec des épisiotomies pratiquées sans anesthésie. Le mouvement MeTooGyneco souhaite donc que la justice se saisissent enfin des violences gynécologiques et obstétriques. Chaque femme a le droit à ce minimum de dignité dans des traitements et des soins, surtout quand ils touchent des régions aussi intimes de leur corps.

 

Copyright compte Twitter Stop aux Violences Obstétricales & Gynécologique