La guerre qui se vit actuellement aux frontières de l’Europe est un combat mené sur plusieurs fronts, en ce compris celui de la communication. Entre propagande, désinformations et mensonges subtilement distillés, mais aussi patriotisme et héroïsme savamment mis en scène, la lutte des représentations s’additionne à la lutte des idées entre deux protagonistes qui affichent une image à l’opposé de l’adversaire dans les médias, comme sur les réseaux sociaux. Décryptage du scénario virtuel qui se joue entre David et Goliath.
Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, le président Volodymyr Zelensky multiplie les interventions et les prises de paroles médiatiques où il appelle la communauté internationale à lui venir en aider, tout en exhortant les Ukrainiens à poursuivre la bataille. Il investit également les réseaux sociaux et n’hésite pas à se filmer dans les rues de Kiev pour rappeler sa présence sur le terrain. Si l’Ukraine ne semble pas pouvoir rivaliser avec le géant russe au niveau militaire, l’ancien acteur semble bien vouloir rivaliser sur le terrain de l’image. La Russie est une grande habituée des campagnes de déstabilisation en ligne. Elle aurait donc dû être reine sur ce champ de bataille. Et pourtant…
L’homme du peuple contre le produit d’un système
Président de l’Ukraine depuis le 20 mai 2019, Volodymyr Zelensky est un homme du peuple, tour à tour humoriste, producteur, acteur, scénariste et réalisateur. Il est même un temps une star du petit écran. À partir de 2015, il incarnait Vasyl Holoborodko, professeur d’histoire dans un lycée, dans la série télévisée à succès « Serviteur du peuple ». Le rôle est-il prémonitoire ? La fiction déborde à tout le moins sur la réalité lorsqu’il gagne les élections présidentielles le 21 avril 2019. Principalement soutenu par la jeunesse ukrainienne, il incarne un « renouveau politique », à l’image de Gabriel Boric, l’ancienne figure du mouvement étudiant chilien, élu président à l’âge de 35 ans seulement. Politiciens atypiques, les deux hommes embrassent à tout le moins de nouveaux codes quelque peu inhabituels pour des chefs d’Etat.
A contrario, Vladimir Poutine, ancien agent du KGB, est un pur produit du système russe. A la suite à la démission de Boris Eltsine en 1999, il assure d’abord la présidence ad interim du pays. Après avoir remporté des élections présidentielles anticipées, il en devient le Président de plein exercice en 2000. Depuis, son autoritarisme ne souffre aucune concurrence. Il ne laissera sa place de Président de la Fédération de Russie qu’une seule fois, en 2008, pour permettre à son vice-président Dmitri Medvedev d’endosser ce rôle et de le nommer en tant que président du gouvernement. À partir de 2012, il récupère sa place à la tête de l’état. Sa légendaire autorité acquise au sein des services secrets russes contraste avec la modernité de Volodymyr Zelensky.
L’homme du front contre l’homme du froid
A l’image stratégiquement entretenue d’homme inflexible confortablement installé dans sa tour d’ivoire, Volodymyr Zelensky oppose à Vladimir Poutine une image d’homme de terrain, sur le front et investi au côté de ses troupes. La symbolique est forte : il s’affiche devant un pupitre, simplement vêtu d’un t-shirt kaki à côté du drapeau ukrainien. Il publie des vidéos en selfie et s’adresse directement à la Nation dans les rues de Kiev. « Le Premier ministre est là. Le conseiller Podoliak est là. Le président est là. Nos soldats sont là. ». Il entretien l’image d’un Ukrainien solidaire et comme les autres dans un pays en guerre.
Plus à l’ancienne, incisif et froid, Vladimir Poutine diffuse une image à la communication calculée. Lors de sa déclaration de reconnaissance des républiques séparatistes ukrainienne, il se présente en costume sombre d’un classicisme effroyable, installé dans une pièce vieillotte, parée de lambris de bois vernis, devant les drapeaux de la Fédération de Russie. Il rappelle en permanence l’Histoire de la « Grande Russie » pour justifier l’invasion de l’Ukraine. Il utilise peu les réseaux sociaux. C’est majoritairement via des interventions télévisées qu’il s’adresse aux russes, tout en menaçant en filigrane de sanctions quiconque s’opposerait à cette guerre, une façon de maintenir son peuple sous sa coupe.
De la désinformation à la (ré)information
Connue pour ses activités de cyberpropagande et de déstabilisation en ligne, la Russie a une nouvelle fois opté pour ce biais. Plusieurs vidéos publiées par les dirigeants des républiques séparatistes du Donbass ont été épinglées comme diffusant de fausses attaques ukrainiennes, entre autres. En réaction, l’accès à Twitter a été restreint en Russie et les médias d’Etat sont interdit de diffuser de la publicité sur Facebook. Une réponse ferme du réseau social, alors que l’invasion de l’Ukraine a été l’occasion d’une flambée de fausses informations sur Internet, phénomène devenu récurrent à chaque déclenchement de guerre ou de conflit. Pour contre les Fake News, Volodymyr Zelensky (ré)informe et publie des vidéos où il invite les Ukrainiens à ne pas croire les fausses informations qui circulent : « Je suis là. On ne va pas déposer les armes et on va défendre notre pays ».
Si sur le terrain, l’Ukraine, malgré son actuelle résistance, s’affiche moins puissante face à la force de frappe militaire russe, force est de constater que sa supériorité dans le bras de faire, elle semble l’avoir trouvée dans la mobilisation numérique. Grâce aux réseaux sociaux, relayés par les médias, en quelques jours seulement, Volodymyr Zelensky est devenu un héros national et une stature de guerre internationale. Il est a espéré que l’escalade actuelle entre l’Ukraine la Russie ne fasse pas de lui un martyr si Kiev devait tomber aux mains de l’ennemi…
Maxime KLASSEN
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