POLITIQUE

Denis Ducarme sur la Loterie Nationale : « Il n’y a pas un bon et un mauvais jeu »


En novembre 2021, le député Denis Ducarme (MR) a déposé deux propositions de loi afin d’apporter plus d’équité sur le marché des jeux d’argent. À l’heure actuelle, il existe en effet une différence d’obligations entre la Loterie Nationale et les opérateurs privés. De son côté, la S.A. Derby (Ladebroks) a introduit, contre l’Etat belge, une requête en annulation du contrat de gestion encadrant les missions de  services public de la Loterie Nationale et de son arrêté royal d’application, signés le 13  septembre 2021, pour les mêmes raisons. L’opérateur de paris sportifs estime que diverses clauses mettent la Loterie en situation d’abuser de sa position dominante sur le marché. On fait le point.

Une iniquité flagrante

Aujourd’hui, la Loterie Nationale ne se limite plus à l’organisation de loteries. Son contrat de gestion prévoit également l’organisation de paris, concours et jeux de hasard. Toutefois, elle reste le seul opérateur du secteur qui ne tombe pas, en partie du moins, ni sous l’application de la loi du 7 mai 1999 relative aux jeux de hasard ni sous le contrôle de la commission des jeux de hasard.

C’est une législation distincte, concernant uniquement la Loterie Nationale, qui régit son fonctionnement. Or, établie en société anonyme, la Loterie Nationale fonctionne aujourd’hui dans la pratique comme une entreprise normale qui fait du chiffre, à l’exception du fait que l’Etat constitue son seul et unique actionnaire.
« Il y a de ce fait une iniquité flagrante sur le marché et les opérateurs privés se sentent, à juste titre, lésés sur divers aspects aspects. Il faut imposer les mêmes règles à tous les opérateurs, ce qui n’est pas le cas actuellement. Cette différence d’approche est incompréhensible. Cela devrait être la priorité des pouvoirs publics que tous les opérateurs qui évoluent sur un même segment de marché soient traités sur un pied d’égalité. Il faut de l’uniformité, plus stricte ou plus permissive, mais de l’uniformité », affirme Denis Ducarme.

Réduire la publicité, mais pour qui ?

Lors de sa formation, le gouvernement fédéral s’est engagé à lutter contre la dépendance aux jeux de hasard qui peuvent être une véritable drogue. En ce qui concerne la publicité, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne s’apprête donc à la restreindre fortement pour les jeux d’argent d’ici la fin de l’année.
Déjà fortement impactées par la crise sanitaire, les agences de paris terrestres craignent un nouveau tsunami économique, d’autant plus que la proposition du ministre ne prévoit pas de brider les publicités pour les jeux de la Loterie nationale (mis à part pour son produit Scooore) et pour cause, ce n’est pas de son ressort, mais de celui du secrétaire d’Etat, Sammy Madhi, en charge de la Loterie.

« Il est, entre autres, argumenté que la Loterie Nationale est une sorte de service public du jeu au service de la société civile sous forme de subsides ou de sponsorings. L’argument ne tient pas la route en termes de prévention. Il n’y a pas de bons jeux d’argent et de mauvais jeux d’argent selon qui fournit le service pour des produits somme toute similaires. Sous l’angle du consommateur, quand on vend de l’ alcool, on vend de l’alcool. Quand on vend du tabac, on vend du tabac. Et quand on vend des jeux, on vend des jeux. Il y a juste une responsabilité collective, ce qui implique que les règles soient les mêmes pour tous. C’est une question d’éthique et c’est la seule manière d’éviter les dérives », poursuit Denis Ducarme.

Une situation de quasi-monopole

A l’article 22 du contrat de gestion, il est stipulé que la Loterie Nationale peut rompre le contrat la liant avec une librairie si celle-ci commercialise aussi par ailleurs des paris qui pourraient s’avérer trop addictifs.  La clause fait bondir la S.A Derby (Ladebroks) car elle met de facto la Loterie Nationale en situation d’abuser de sa position dominante sur le marché.

Pour l’opérateur privé, les produits proposés par Scooore, la filiale de paris sportifs de la Loterie, et ceux offerts par ses concurrents privés présentent exactement les mêmes caractéristiques. Même position du côté de Denis Ducarme : « comment expliquer que les divers jeux de la Loterie se retrouvent dans un nombre toujours plus étendu de points de vente, y compris les supermarchés ? Que l’on n’essaie pas de me convaincre que ça, ce n’est pas de l’incitation aux jeux d’argents ».

Par ailleurs, « la publicité est nécessaire afin d’orienter les consommateurs vers le jeu légal, contrôlé et sûr », précise, dans un communiqué, La Belgian Association of Gaming Operators (BAGO) selon laquelle « l’interdiction de publicité conduirait à des dérives, comme en Italie où l’on a observé une croissance du secteur illégal pouvant aller jusqu’à 50% de 2019 à 2021 ».

Et les assuétudes ?

« On joue actuellement sur l’interprétation de la loi pour discriminer. Or, que ce soient les jeux de la Loterie Nationale ou ceux proposés par des opérateurs privés, cela reste des jeux d’argent. L’argent et le jeu n’ont pas d’odeur et les gains de la Loterie Nationale ne sentent pas moins. C’est de la pure hypocrisie. Six boules qui sortent ou un billet à gratter, c’est du jeu. Et qui dit jeu, dit aussi risques d’addiction. Donc, ouvrons le débat et harmonisons les règles pour mieux encadrer tous les joueurs, ceux des opérateurs privés comme ceux de la Loterie Nationale. Et puis, si jouer demeure une liberté individuelle, protégeons les publics les plus fragiles par des actions de sensibilisation. Ce sera plus productif qu’une interdiction pure et dure », ponctue Denis Ducarme.