Attentat déjoué de Villepinte : retrait de la nationalité belge et 18 ans de prison
Le 30 juin 2018, à Villepinte, un projet d’attentat à la bombe visait le rassemblement annuel du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), une coalition d’opposants dont la principale composante est l’organisation des Moudjahidine du peuple (MEK). Le tribunal correctionnel d’Anvers jugeait mardi trois belgo-iraniens pour « tentatives d’assassinat à caractère terroriste » et « participation aux activités d’un groupe terroriste ». Ils écopent de peines de 18 ans d’emprisonnement pour deux d’entre eux et 17 ans pour le troisième. Ils sont aussi déchus de leur nationalité belge. Assadollah Assadi (50), considéré comme le coordinateur de cette action, dirigé contre l’opposition en exil et organisé depuis Téhéran, s’est désisté de son appel mercredi 5 mai, a annoncé le parquet fédéral. Sa condamnation est désormais définitive. Ce dossier, mêlant espionnage et terrorisme, a suscité des tensions diplomatiques entre Téhéran et plusieurs capitales européennes, dont Paris. Claude Moniquet, ancien agent de la DGSE et expert en antiterrorisme, est intervenu comme expert des parties civiles lors du procès en première instance qui s’était tenu en novembre 2020. Entretien.
L-Post : En quoi ce que l’on a appelé l’ »affaire Assadi » et qui vient de connaître son épilogue judiciaire est-elle exemplaire ?
Il faut d’abord se rappeler que, depuis plus de quarante ans, le régime des Mollahs utilise le terrorisme d’Etat de manière récurrente pour faire pression sur ses adversaires, son opposition et l’Occident. Il utilise la violence pour faire progresser leurs intérêts, au même titre que la diplomatie classique, la propagande ou la subversion. J’ai travaillé sur plusieurs de ces attentats lorsque j’œuvrais pour le compte de la DGSE et j’ai écrit un livre sur la question il y a une dizaine d’années et je pourrais citer des centaines d’exemples. Qu’il me suffise de rappeler l’affaire des otages du Liban dans les années quatre-vingt, les attentats de Paris, qui ont fait vingt morts et plus de 250 blessés en 1985-1986, l’assassinat de l’ancien Premier ministre du Shah, Chapour Bakhtiar toujours à Paris, en 1991 ou l’attaque contre la communauté juive de Buenos Aires en 1994, qui fera près de 100 morts.
L’Iran a ainsi ordonné et dirigé des centaines d’attentats, dont certains ont été de véritables massacres de masse, contre les Etats-Unis, la France, les communautés juives ou encore son opposition en exil et au premier chef l’organisation des « Moudjahidines du Peuple » et des organisations kurdes. Au total, on parle ici de plusieurs centaines de mort et de milliers de blessés. Mais ce qu’il y a d’historique dans le dossier Assadi, c’est que c’était la première fois que l’on avait, dans le box des accusés, un « diplomate » iranien ayant encore le « pistolet fumant à la main ». Et que l’on a pu démontrer ainsi la responsabilité directe du régime.
La justice belge a fait preuve d’indépendance.
L-Post : L’homme a fermement contesté les faits durant l’instruction et le procès. Son implication est-elle aujourd’hui totalement prouvée ?
Certainement et sans équivoque. Lorsque j’ai rédigé mon rapport d’expert pour les parties civiles, j’ai eu accès à l’ensemble des pièces du dossier. Il est accablant. De nombreux éléments prouvent qu’Assadi, qui était en poste à Vienne, mais faisait office de chef des opérations spéciales du ministère du renseignement (MOIS) pour l’Europe occidentale, a reçu ses ordres directement du conseil de sécurité iranien, qui regroupe des représentants des plus hauts échelons du pouvoir.
Il a ensuite été chargé de l’attentat – avec trois agents vivant en Belgique et en ayant acquis la nationalité après y être arrivés comme réfugiés politique – de l’exécution pratique de cette mission. Il s’agit de Nasimeh Naami, qui était la cheffe du groupe, de son mari Amir Saadouni et de Mehrdad Arefani. Il les a financés et il a été filmé et identifié à Luxembourg alors qu’il leur remettait la bombe, envoyée de Téhéran par la valise diplomatique, donc avec la complicité active du ministère des Affaires étrangères. Par ailleurs, Assadi était étroitement observé depuis un moment. C’est ainsi que le 25 juin, le Mossad transmet à la Sûreté de l’Etat un message contenant tous les détails du complot et les noms des protagonistes. Le procureur fédéral Frédéric van Leeuw est aussitôt prévenu et des surveillances sont mises en place. Le 28 juin, alors qu’ils partent vers Paris avec la bombe, Naami et Saadouni sont arrêtés sur le territoire belge. Assadi le sera, quelques jours plus tard, en Allemagne…
L-Post : Comment les autorités iraniennes ont-elles réagi à ces arrestations ?
Très mal, évidemment, puisque le pouvoir était directement mis en cause. Ils ont commencé par nier les faits et puis, par contester l’arrestation d’Assadi qui, d’après les Iraniens, était protégé par l’immunité diplomatique. Cet argument ayant été vite rejeté, ils ont tenté de faire croire qu’il avait agi de sa propre initiative, ce qui ne tenait pas debout et ils ont, surtout exercé d’énormes pressions sur la Belgique et sur d’autres pays européens concernés. Mais sans succès. La justice belge a fait preuve d’indépendance. Il a fait le job et le procès a été jusqu’à son terme.
L-Post : Vous nous rappelez que Téhéran utilise systématiquement le terrorisme. Doit-on craindre des représailles contre la Belgique ?
Des attentats ? Probablement pas. Cela reviendrait à aggraver les choses. Les Iraniens manœuvrent aujourd’hui autrement. D’abord ils lient la conclusion éventuelle d’un accord aux pourparlers nucléaires de Vienne au sort d’Assadi et à celui d’un autre Iranien détenu et jugé en Suède dans une autre affaire. Mais surtout, ils se sont constitué une véritable réserve d’« otages », dont un médecin, irano-suédois mais enseignant à la VUB à Bruxelles, le docteur Ahmadreza Djalali.
Détenu depuis déjà quatre ans à Téhéran pour espionnage, il a été condamné à mort et pourrait être exécuté si Assadi n’est pas libéré. Et pas plus tard que ce mercredi matin, Téhéran a aussi annoncé l’arrestation de deux « Européens » qui organisaient des « troubles » en Iran. Ils auront droit, eux aussi, n’en doutons pas, à un procès à grand spectacle si Bruxelles et Stockholm ne cèdent pas….
L-Post : Dès lors, quel stratégie faudrait-il adopter ?
La marge de manœuvre de la Belgique est inexistante. Assadi et ses complices ont été condamnés par la justice belge et ils ne seront libérables, au mieux et hors raisons de santé, qu‘au tiers de leur peine. Par ailleurs, si l’Europe cède, elle enverra un très mauvais signal, à savoir que le crime paye. Il faut donc être ferme, mais faire comprendre en même temps aux Iraniens qu’il y aura un prix à payer s’ils s’en prennent à nos citoyens pris en otage et qu’il faut évidemment sauver.
Donc, l’Iran dot comprendre que s’il met ses menaces à exécution, il y aura des conséquences graves, en termes de sanctions et de relations diplomatiques. Jusqu’ici, la Belgique et l’Europe ont fait un « sans faute » dans ce dossier. Il faut continuer dans cette voie. L’histoire nous a appris que la République islamique d’Iran ne comprend qu’un langage, celui du rapport de force.