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Ladbrokes : la Loterie Nationale a ses « obligés », l’assuétude elle est là !


ENTRETIEN. Depuis plusieurs semaines, le secteur des jeux de hasard est en ébullition. Le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (OpenVLD) a annoncé vouloir interdire quasiment toute forme de publicité dans notre pays. L’objectif ? « Mieux protéger les consommateurs, notamment les plus jeunes, contre les risques d’addiction, alors que le secteur des jeux attire chaque année davantage de mises ». De quoi provoquer l’émoi parmi les opérateurs privés de jeux de hasard, dans la mesure où la Loterie Nationale n’est pas concernée par ce futur nouveau cadre. Les agences de paris sportifs tirent à boulets rouges sur un deux poids, deux mesures. Notre entretien avec Yannik Bellefroid, Managing Director de Ladbrokes Belgium. Il ne mâche pas ses mots.

L-POST : Etant une société anonyme de droit publique régulée via un contrat de gestion, la Loterie nationale n’est pas concernée par le projet d’arrêté royal du ministre. Pour Janine Haek, l’administrateur-délégué de la Loterie nationale, c’est un « faux débat » car la Loterie a un statut à part. Une réaction ?

Un faux débat ? Je dirais plutôt que le vrai débat est là. Dans l’accord de gouvernement, la Loterie Nationale a accepté de payer une rente de monopole supplémentaire de 30 millions d’euros à la condition que les entreprises privées ne puissent plus faire de publicité. Soyons honnête un instant. Sa volonté n’est donc pas de renforcer la protection des consommateurs, mais de renforcer sa position sur le marché. Prétendre canaliser l’addiction aux jeux, alors que l’on poursuit d’autres fins n’est pas éthique. Or, lorsque l’on est une organisation publique aussi forte, il serait utile d’avoir une éthique au-dessus de tout soupçon.

L-POST : La Loterie nationale dit pourtant défendre cette mission de protection du consommateur en canalisant l’addiction aux jeux vers des produits moins risqués.

Jannie Haek passe à côté de son objectif de canalisation depuis des années. En 2013, le chiffre d’affaires de la Loterie Nationale était de 1,345 milliard. En 2021, elle a engrangé 1,530 milliard d’euros. Depuis dix ans, ces résultats sont en croissance constante. La Loterie Nationale n’est pas dans la limitation de l’addiction. Elle est dans une logique de vente. Janine Haek défend tout simplement la position d’une entreprise d’Etat.

L’opérateur public n’est pas dans un schéma de protection des consommateurs et nous le ferons savoir à la Cour constitutionnelle et à l’Union Européenne.

L-POST : Jannie Haek a également déclaré que « La Loterie Nationale est une tombola grandeur nature pour tout le pays. Les associations qui profitent de subsides devraient motiver les joueurs pour financer leurs initiatives ». N’est-ce pas là de l’incitation au jeu ?

Bien évidemment que c’est de l’incitation au jeu. On peut se poser la question de savoir si ce n’est pas de la corruption institutionnalisée? Le monde politique n’est pas suffisamment clairvoyant. La Loterie Nationale prend 50% du prix de chaque participation. Le casinotier prend 5% et pour les jeux et paris, c’est 15%. Allez chercher de l’argent là où il se trouve et s’assurer de nombreux « obligés », ce n’est ni de la bonne gouvernance, ni de l’éthique.

L-POST : « On ne peut pas exister sans publicité », affirme Jannie Haek en parlant de la Loterie Nationale. Si une société publique, avec les avantages tirés d’une telle situation, ne peut pas s’en passer, les opérateurs privés dont vous faites partie peuvent-ils en être privés ?

Il répond à la question. A fortiori, non ! Mais, là où à nouveau, il se trompe de combat, ce n’est pas en nous interdisant toute forme de publicité qu’il va réussir à canaliser quoi que ce soit. L’interdiction, cela ne marche pas. Et dans un contexte de mondialisation, la vrai menace, ce sont les sites illégaux qui prolifèrent en ligne. Et quand il y a frustration du joueur, il y a une augmentation de la consommation de jeux illégaux. Il est là le véritable danger.

Aucune structure externe ne contrôle la Loterie nationale (…) les membres du CA (…) n’ont aucune connaissance des jeux. Ils sont issus du politique. (…) C’est un Etat dans l’Etat qui se permet ce qu’il veut comme avec les oligarques russes

L-POST : « Devenez scandaleusement riche », les campagnes publicitaire de la Loterie Nationale sont parfois considérées comme agressives. Or, grand écart,  il existe une tolérance zéro en ce qui concerne les accroches et slogans des opérateurs privés ? Une réaction ?

Contrairement aux opérateurs privés, qui sont contrôlés par la Commission des jeux de hasard, aucune structure externe ne contrôle la Loterie nationale. Il y a juste, en interne, un Conseil supérieur d’éthique qui rend des avis au conseil d’administration, mais c’est loin d’être suffisant. Tout simplement, parce que les membres du CA ne sont pas des professionnels du secteur et n’ont aucune connaissance des jeux. Ce sont des personnes issues du monde politique. Jannie Haek pratique donc une forme de management autocritique où il peut tout décider. C’est un Etat dans l’Etat qui se permet ce qu’il veut comme avec les oligarques russes. On va même jusqu’à asservir les petits libraires et vendre des produits de la Loterie Nationale dans les grandes surfaces, ce qui les affaiblis encore plus.

L-POST: Autre argument avancé par Jannie Haek pour justifier son statut particulier : « La Loterie Nationale aide la collectivité, ce pourquoi il est logique que les nouvelles restrictions à venir ne la concerne pas ». Votre opinion ?

C’est un non-sens complet. Nous n’aidons pas à la hauteur de la Loterie Nationale, mais comparaison n’est pas raison. Les opérateurs privés soutiennent aussi des causes. Comme je viens de vous le dire, la Loterie crée de nombreux « obligés ». Point. Je souhaite une politique publique plus acceptable dans l’intérêt du joueur et dans une logique d’information. Or, l’opérateur public n’est pas dans ce schéma de protection des consommateurs et nous le ferons savoir à la Cour constitutionnelle et à l’Union Européenne.

L-POST: Le paysage politique est assez clivé nord/sud sur les polémiques de ces dernières semaines. Les partis flamands semblent majoritairement soutenir les positions de la Loterie Nationale. Pourquoi ?

En Flandre, on est confronté à des pères moralisateurs. Je trouve cette indignation très sélective. Chacun cherche à renchérir sur le politiquement correct pour gagner des voix. On prend juste les gens pour des imbéciles. N’oubliez pas que du côté néerlandophone du pays, le cyclisme est sponsorisé par la Loterie Nationale. Du côté francophone, le football est plutôt sponsorisé par les opérateurs privés. Vous aurez compris les enjeux. Je rejoins d’ailleurs Georges-Louis Bouchez lorsqu’il dénonce une vision puritaine du sujet et des prises de positions partisanes.

L-POST: Monsieur Bouchez est même allé plus loin. Il a déclaré : « Certains nous disent qu’il faut interdire la pub pour les voitures, parce que c’est polluant, d’autres pour la malbouffe… on peut aussi interdire aux gens de vivre. Qui va financer cela ? Les vendeurs de quinoa ? ». Quelle est  votre réaction ?

Au-delà d’être très drôle, ce commentaire exprime plus que jamais que les citoyens attendent de leurs élites politiques autre chose que du dogmatisme. Ils veulent que l’on fasse œuvre utile. Si l’on souhaite protéger le consommateur, faisons-le de manière intelligente. Nous ne sommes ni contre la canalisation, ni contre les restrictions, mais ce n’est pas en rendant les opérateurs privés invisibles que le ministre de la Justice va résoudre le problème. Actuellement, il n’agit pas dans l’intérêt du citoyen, mais à des fins partisanes. C’est extrêmement malhonnête et cela ne réconciliera certainement pas le monde citoyen avec le monde politique.