FRANCE. C’est l’émotion et la stupeur dans l’Ain. A Douvres, le village d’un millier d’habitants est sous le choc après le drame survenu dans la nuit de mardi à mercredi. Cinq membres d’une famille recomposée, deux adultes et trois enfants mineurs, ont été tués au sabre par le fils du père de famille. Mathieu Darbon (22 ans), qui s’était retranché dans une pièce de la maison familiale, a ensuite été abattu par le GIGN. Ce drame constitue l’une des tueries familiales les plus meurtrières de ces dernières années dans l’hexagone. Le parquet a ouvert une enquête pour homicides volontaires. Une seconde enquête portera sur l’usage de leurs armes par les gendarmes. Le fils de la famille et auteur des faits aurait souffert de troubles psychiatriques. Il aurait également mal vécu l’arrivée de son petit frère. La jalousie peut-elle être meurtrière ? On fait le point avec Marjorie Sueur, psychologue clinicienne, experte près de la Cour d’Appel d’Aix en Provence et consultante en criminologie et victimologie.
Dans la nuit de mardi à mercredi, Mathieu Darbon a décimé les membres de sa famille avec un katana, un sabre japonais, dans leur maison située au 401 route d’Ambérieu, à Douvres. C’est sa mère qui a prévenu les gendarmes pour leur dire que son fils venait de lui envoyer des photos et des vidéos des cinq membres de la famille gisant en sang sur le sol.
A leur arrivée, les forces de l’ordre ont tenté de rentrer en contact avec le mis en cause toute la nuit, en vain. Retranché dans une salle de bain, vêtu d’un gilet par balle et armé d’un fusil à canon long, le jeune homme refusera d’obtempérer. L’assaut est donné en fin de matinée, le mercredi. Les victimes sont : le père du tueur, Lilian Darbon (51), sa belle-mère, Nathalie Jullion (48), sa sœur âgée de 17 ans, la fille de Nathalie âgée de 15 ans, et le fils du couple âgé de 5 ans.
Selon le procureur de Bourg-en-Bresse, l’auteur des faits aurait souffert de troubles psychiatriques pour lesquels il était médicalisé. Selon des témoignages rapportés, le tueur, qui était revenu habiter avec ses proches il y a quelques semaines seulement, après avoir trouvé un emploi dans un fastfood d’une commune voisine, n’avait pas du tout accepté l’arrivée de son demi-frère de 5 ans. Au cœur de la tuerie, il se serait particulièrement acharné sur lui.
Plusieurs témoignages font état d’un épisode de violence survenu déjà en novembre 2021. Le jeune homme aurait à l’époque menacé son père avec des ciseaux, un épisode qui entraînera l’hospitalisation du jeune adulte. Ce dernier aurait également déjà menacé sa propre mère.
Malgré plusieurs sommations adressées au jeune homme l’enjoignant de déposer les armes, Mathieu Darbon s’est avancé en direction des gendarmes et a pointé son arme vers eux. Les forces de l’ordre ont alors fait, à quatre reprises, usage de leurs armes. Le jeune homme serait décédé une vingtaine de minutes plus tard, malgré l’intervention des secours.
Pourquoi ne s’est-il pas rendu ? « A ce moment précis de tension, il y a la personnalité de l’intimé qui rentre en ligne de compte. Il ne faut pas oublier les homicides-suicides où le mis en cause, dans sa vision des choses, n’a pas d’autre issue que sa propre mort », nous explique Marjorie Sueur, psychologue clinicienne et criminologue, qui tente de tracer les contours troubles de la psyché du jeune homme.
Mais, comment peut-on en arriver à un tel massacre quand on n’accepte pas l’arrivée d’un frère ou d’une sœur ?
« Si l’arrivée d’un enfant est synonyme de bonheur dans l’inconscient collectif, il met le couple à rudes épreuves. Passant du statut d’homme et de femme à celui de parents, de celui de couple à famille, il va leur falloir en moyenne deux ans pour retrouver leur équilibre. C’est à ce moment-là aussi que peuvent émerger des problématiques méconnues jusque-là, comme la répétition de schémas familiaux par exemple », nous précise Marjorie Sueur.
« Si ces difficultés se rejouent à l’arrivée de chaque enfant, le couple parental devra faire face aux réactions de leur(s) ainé(s). La jalousie ressentie par ce dernier envers le bébé est saine, mais jusqu’à un certain âge ». Ce lien nouveau entre frères et sœurs va être bien vécu au final, comme une ouverture, ou mal vécu, comme une tragédie, nous enseigne la psychologue.
« Précisons également que la rivalité ressentie sera d’autant plus forte si les enfants sont du même sexe. L’aîné peut alors imaginer ne pas être à la hauteur des attentes de ses parents, ce pourquoi, ceux-ci ont refait un enfant qui sera parfait, à la hauteur de leurs espérances. Cette croyance de l’enfant, qui est alors trop jeune pour comprendre que les parents ne décident pas du sexe de leur progéniture, sera renforcée selon le comportement de ceux-ci et leurs caractères respectifs, comme par exemple un traitement de faveur ou des comparaisons des enfants entre eux. L’ainé peut alors chercher par tous les moyens à faire disparaitre son rival ».
Si les relations intrafamiliales s’avèrent complexes, cette complexité tend à s’amplifier lors de la séparation parentale et s’intensifie encore dans l’hypothèse d’une recomposition.
« L’arrivée d’un beau-père ou d’une belle-mère, avec enfants ou sans, est une nouvelle étape pour le jeune individu Sans en être dans la généralité, le discours des pères que j’ai pu recevoir en consultation m’amène au constat qu’il est parfois difficile pour ces hommes de voir grandir leurs enfants de par le fait qu’ils les ont souvent moins de temps à leur côté. Cette réalité peut expliquer que ces pères s’investissent plus auprès de leurs beaux-enfants qu’auprès des leurs. Cet état de fait peut réactiver chez l’enfant un sentiment de jalousie associées à un sentiment d’injustice, de rejet, de trahison, voire d’abandon ».
L’histoire de l’humanité est jalonnée de meurtres entre membres de la même fratrie. Le premier cas le plus connu est celui de Caïn et Abel. La rivalité entre l’agresseur et la victime, associée à un sentiment de frustration, est l’hypothèse la plus souvent avancée pour comprendre les homicides entre frères et sœurs. Lorsque l’on se trouve en présence d’un fratricide ou d’un sororicide, au cœur des conflits, on retrouve le plus souvent une compétition pour l’attention parentale, sans compter les cas où les parents, consciemment ou non, encouragent les conflits ou, à tout le moins, ne les atténuent pas.
S’ajoute également le profil de santé mentale de l’enfant auteur au moment des faits, tels que le passage à l’acte lors d’un épisode délirant, les hallucinations auditives mandataires qui commandent d’agir ou les troubles de la conduite.
« Dans tous les cas, c’est multifactoriel. Plusieurs paramètres peuvent expliquer qu’un enfant puisse arriver à commettre l’irréparable : sa personnalité, sa maturité psycho affective, son caractère, sa place dans la fratrie, la place qu’on lui accorde dans l’écoute de ses ressentis et dans la communication et la présence d’une pathologie mentale. Quoiqu’il en soit, c’est le signe d’une grande fragilité psychologique et d’une intense souffrance. En ce sens, le rôle des parents est important dans la prévention des passages à l’acte violent chez les enfants et les adolescents ».
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