Iran : depuis sa cellule, une prisonnière politique crie sa soif de justice et de liberté
« Au fond de ma cellule, dans la chaleur brûlante, assise sur le cheval de mes rêves, je partirai loin, très loin pendant de nombreuses années, jusqu’à ce que j’aie le même âge que ma mère, que je n’ai pas vue depuis 13 ans. Je me souviens lorsque nous allions aux prisons d’Evin et de Gohardasht afin qu’elle puisse rencontrer mon frère Abdi. Sans doute était-ce son seul souhait de voir son fils une dernière fois. Après des mois d’incertitude, de tentatives incessantes et d’allers-retours d’une prison à l’autre, nous n’avions reçu qu’un sac contenant ses vêtements ensanglantés par les tortures qui lui avaient été infligées.
Maintenant que je suis mère, je ressens sa soif ardente de revoir son enfant une fois de plus. Et dans ce coin fiévreux de ma cellule, je peux maintenant comprendre ce que ma mère a pu ressentir.
Dans mes souvenirs de ces années lointaines, je vois ma mère passer devant mes yeux pour aller dans une pièce pleine de photos de ses enfants, fermer la porte pour être seule avec celles et ceux qui lui ont toujours souri, jeunes et joyeux à l’intérieur de ces cadres.
Dans mes souvenirs de ces années lointaines, je vois ma mère passer devant mes yeux pour aller dans une pièce pleine de photos de ses enfants, fermer la porte pour être seule avec celles et ceux qui lui ont toujours souri, jeunes et joyeux à l’intérieur de ces cadres. Elle a essayé de cacher ses larmes jusqu’au jour où la douleur atroce de perdre 4 de ses “bien-aimés“ l’a emportée pour toujours… à seulement 40 ans. Oh Dieu ! Les mots ne m’aident pas à décrire la quantité de douleur présente dans son cœur suite à la perte de 4 de ses bien-aimés »
Ces mots sont ceux de la prisonnière d’opinion Maryam Akbari-Monfared, détenue dans des conditions cruelles et inhumaines dans une prison de la province de Semnan depuis mars 2021. Déportée loin de sa famille, exilée interne selon l’expression consacrée par ses bourreaux, Maryam Akbari-Monfared subit les représailles à ses lettres ouvertes dénonçant les violations des droits humains commises par les autorités iraniennes et demandant vérité et justice pour ses frères et sœurs, victimes de disparition forcée et d’exécution extrajudiciaire en secret lors du tristement célèbre été 1988. Elle est injustement emprisonnée depuis près de 13 ans.
Arrestation, emprisonnement et exil interne
Au début du mois de mars 2021, après 11 ans d’emprisonnement, Maryam a été transférée à la prison de Semnan, à 220 km de sa famille, avec la force et la violence, caractéristiques de ceux qui n’assument en rien leurs responsabilités, tant de leurs actes que de leurs motivations. D’ailleurs, à ce jour, aucun des responsables judiciaires du régime n’assume véritablement la responsabilité de cette relocalisation. Depuis son exil à la prison de Semnan, Maryam Akbari-Monfared est détenue parmi les prisonnières ordinaires dans le quartier général de ce centre de détention, en violation du principe de séparation des crimes. Elle doit, de plus, subir une stricte limitation des appels téléphoniques, le manque cruel d’eau et d’équipements d’hygiène minimum. Sans compter qu’il lui est impossible de voir ses enfants, mineurs, et résidant à plus de 220 km de là.
D’abord condamnée à mort pour “Moharebeh” (inimitié envers Dieu) avant que sa peine ne soit commuée en 15 ans de prison, Maryam a été arrêtée en décembre 2009. Sa faute ? Avoir contacté certains membres de sa famille appartenant à l’Organisation des Moudjahidines du Peuple d’Iran (OMPI/MEK). A l’époque, le célèbre juge Salavati s’était adressé à elle directement : « Tu es ici à la place de ta sœur et de tes frères. »
Un de ses frères, Alireza, avait été exécuté à la fin de l’été 1981. Un autre, Qolamreza, subissait le même sort en 1985 pour avoir été soupçonné de liens avec l’OMPI. Une de ses sœurs, Roghyeh, et un troisième frère, Abdolreza, ont quant à eux été victimes du massacre de prisonniers politiques en Iran au cours de l’été 1988.
Bien que j’aime mes enfants, mon amour de la justice est plus encore plus grand. C’est pourquoi je me suis levée pour la justice.
Bien qu’elle estime que la dictature du Shah a rendu possible la répétition de l’injustice par le régime actuel, Maryam reste « déterminée à faire régner la justice en Iran pour toujours ». En ce sens, la condamnation d’Hamid Noury (l’assistant du juge qui a conduit plusieurs milliers de personnes dans la salle de la mort de la prison de Gohardasht Karaj a été condamné à la prison à vie par un tribunal en Suède) est perçu comme un petit pas positif sur le chemin de la justice. Un pas brisant le silence assourdissant sur ce massacre que le gouvernement cherche toujours à camoufler tout en niant la douleur des familles des victimes. Mais, comme l’écrit Maryam, « nous avons porté notre douleur toutes ces années dans l’espoir d’atteindre cet instant et les doux moments prometteurs de la justice. »
Depuis octobre 2016, date à laquelle elle a déposé une plainte officielle auprès du bureau du procureur, Maryam Akbari Monfared a écrit plusieurs lettres ouvertes. A chaque missive, elle demande une enquête officielle sur le massacre de 1988, l’emplacement des fosses communes où les corps des prisonniers ont été enterrés, et l’identité des auteurs. À ce jour, non seulement les autorités n’ont pas traité la plainte, mais elles ont eu, de surcroît, recours à diverses tactiques punitives. Elles ont refusé d’emmener Maryam Akbari Monfared à ses rendez-vous médicaux à l’extérieur de la prison afin qu’elle puisse recevoir un traitement adéquat pour sa polyarthrite rhumatoïde et ses problèmes de thyroïde. En conséquence, elle ressent de fortes douleurs dans les jambes. Ils ont également menacé à plusieurs reprises de mettre fin aux visites, pourtant déjà très limitées, de sa famille.
Dans une lettre ouverte qui a fuité de la prison en novembre 2016, elle a écrit : « Comment pensez-vous pouvoir effrayer quelqu’un dans ma position pour le réduire au silence ? Qu’est-ce que vous avez encore pour moi et dont vous menacez de me priver ? N’avez-vous pas honte de menacer de supprimer les visites familiales d’une mère de famille ? » Dans une autre lettre, Maryam écrit ces mots à ses bourreaux : « Maintenant que j’ai déposé une plainte après trois décennies, qu’avez-vous fait de moi ? A l’exception des menaces, d’une expulsion et d’un emprisonnement illégal continu ? »
Comment pensez-vous pouvoir effrayer quelqu’un dans ma position pour le réduire au silence ?
Maryam Akbari Monfared est emprisonnée depuis décembre 2009, purgeant une peine de 15 ans de prison pour « inimitié contre Dieu » (moharebeh). Sa condamnation repose uniquement sur le fait qu’elle a passé des appels téléphoniques à ses proches, membres de l’Organisation des moudjahidines du peuple d’Iran (OMPI), et qu’elle leur a rendu visite une fois en Irak.
« Il n’y a pas d’échappatoire à la justice. J’ai fait le vœu de traduire devant la justice, un par un, les auteurs du massacre de trente mille prisonniers politiques. Nos blessures sont encore fraîches, mais le jour de la victoire final de la justice guérira toutes nos douleurs… »
Hamid Enayat
Ecrivain
Politologue et expert de l’Iran basé à Paris